Droit pénal et paranormal


vendredi 29 octobre 20216 min
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Le paranormal est un terme utilisé pour qualifier un ensemble de phénomènes supposés qui ne sont ni observables, ni explicables scientifiquement. On pense à toute une série de pseudo-phénomènes, comme le monstre du Loch Ness, le spiritisme, la magie noire (ou blanche !), le Yéti, le vaudou, les fantômes et les ectoplasmes, les ovnis, l’écriture automatique, les maisons hantées, le magnétisme, la divination et autres voyances, la parapsychologie et les perceptions extrasensorielles, la nécromancie… Tous ces phénomènes, aussi divers que… divertissants, se rencontrent plus fréquemment dans la littérature et le cinéma que dans la vie réelle.

Le droit se montre donc, légitimement, très réticent à reconnaître l’existence des phénomènes paranormaux. En matière pénale, il s’agit même davantage d’hostilité que de réticence, car le droit pénal est une matière très rationnelle, et très matérialiste. L’étrange, le bizarre, l’anormal, le paranormal n’ont pas leur place en droit pénal.

Il est vrai que le droit pénal n’a pas toujours été aussi rationnel. Au Moyen Âge, ou même plus tard sous l’Ancien Régime, le droit pénal intégrait volontiers une dimension religieuse, voire mystique. Ainsi, se trouvaient incriminés la sorcellerie, l’hérésie, ou encore le blasphème. De même, le droit pénal s’appuyait parfois sur des modes de preuve qui ne nous semblent aujourd’hui guère rationnels, comme les ordalies, ou même la question ordinaire ou extraordinaire. On pourrait aussi rappeler comment, sous l’Ancien droit, il n’était pas si rare que l’on juge les animaux lorsqu’ils causaient un accident, ou les cadavres, l’action publique ne s’éteignant donc pas avec la mort…

Toutefois, depuis la Révolution française, la raison l’a clairement emporté, et le droit pénal est certainement devenu le plus rationnel de nos droits. L’affaire pourrait donc être entendue … si le paranormal ne connaissait pas aujourd’hui un retour en force aussi réel qu’inquiétant. Des complotistes de tous horizons avancent des explications farfelues qui ont trouvé sur les réseaux sociaux un moyen de se développer au-delà de toute espérance… Des para-scientifiques osent aujourd’hui affirmer que la Terre est plate, ou que les animaux mythiques comme la licorne existent. Dans la même perspective, des para-historiens proposent des thèses bien peu académiques, parfois conspirationnistes, parfois aussi mystiques… Christophe Bourseiller, dans un ouvrage passionnant intitulé Et si c’était la vérité  ? (Vuibert, 2015), passe en revue quelques-unes de ces théories délirantes, et pourtant répandues : le Christ ne serait pas mort sur la croix, Molière n’aurait rien écrit, Napoléon ne serait pas mort à Sainte-Hélène, l’Homme n’aurait jamais marché sur la Lune, l’attentat du 11 septembre n’aurait jamais eu lieu…

Ce contexte invite à nous intéresser à la manière dont le droit pénal appréhende le « paranormal », prolongeant ainsi la remarquable étude qui avait été consacrée, il y a quelques années, aux relations entre le droit et le surnaturel [J-Ch. Roda (dir.), Droit et surnaturel, LGDJ, 2015].

Malgré cette résurgence dans des croyances irrationnelles, le droit pénal maintient la position qui est la sienne depuis le siècle des Lumières, en ignorant, ostensiblement, le paranormal (I). Pour autant, il prend en compte l’exploitation qui est faite du paranormal, et sanctionne cette forme particulière de malhonnêteté qui consiste à abuser de la faiblesse ou de la crédulité des gens (II).

 

L’ignorance du paranormal par le droit pénal

Le droit pénal est aujourd’hui un droit rationnel, et même rationaliste. Il est donc logique qu’il ignore, purement et simplement, le paranormal. Les phénomènes paranormaux n’existent pas en soi (puisque par définition ils ne peuvent être prouvés), et ils n’existent pas pour le droit pénal. Cela se traduit par l’absence d’incrimination directe du paranormal, et par le refus de la justice d’y recourir.

 

L’absence d’incrimination du paranormal

Il fut un temps où le droit pénal avait une dimension largement irrationnelle, et incriminait, à ce titre, des phénomènes que nous qualifierions aujourd’hui de paranormaux, comme la sorcellerie, l’hérésie, ou, bien que dans un registre un peu différent, le blasphème. Il est par ailleurs des législations pénales étrangères qui incriminent de tels phénomènes, visant « la pratique de la sorcellerie », la « magie » ou encore le « charlatanisme ». C’est le cas du Cameroun (art. 251 du Code pénal), du Gabon (art. 310 du Code pénal), du Bénin (§1 de la section VI du Titre II du Code pénal), du Mali (art. 281 de la loi du 7 juillet 2016 portant Code pénal au Mali), en Centre-Afrique (art. 149 à 151 du Code pénal) ou encore du Tchad (art. 189 de la loi du 8 mai 2017 portant Code pénal au Tchad). L’exemple du Tchad est particulièrement intéressant, car l’incrimination vise les "pratiques de divination ou de magie n’obéissant à aucune règle de logique et dont les résultats sont de nature à troubler la paix publique, à opposer des individus les uns aux autres ou à susci

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