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Le paranormal est un terme utilisé pour qualifier un ensemble de phénomènes supposés qui ne sont ni observables, ni explicables scientifiquement. On pense à toute une série de pseudo-phénomènes, comme le monstre du Loch Ness, le spiritisme, la magie noire (ou blanche !), le Yéti, le vaudou, les fantômes et les ectoplasmes, les ovnis, l’écriture automatique, les maisons hantées, le magnétisme, la divination et autres voyances, la parapsychologie et les perceptions extrasensorielles, la nécromancie… Tous ces phénomènes, aussi divers que… divertissants, se rencontrent plus fréquemment dans la littérature et le cinéma que dans la vie réelle.
Le droit se montre donc, légitimement, très réticent à reconnaître l’existence des phénomènes paranormaux. En matière pénale, il s’agit même davantage d’hostilité que de réticence, car le droit pénal est une matière très rationnelle, et très matérialiste. L’étrange, le bizarre, l’anormal, le paranormal n’ont pas leur place en droit pénal.
Il est vrai que le droit pénal n’a pas toujours été aussi rationnel. Au Moyen Âge, ou même plus tard sous l’Ancien Régime, le droit pénal intégrait volontiers une dimension religieuse, voire mystique. Ainsi, se trouvaient incriminés la sorcellerie, l’hérésie, ou encore le blasphème. De même, le droit pénal s’appuyait parfois sur des modes de preuve qui ne nous semblent aujourd’hui guère rationnels, comme les ordalies, ou même la question ordinaire ou extraordinaire. On pourrait aussi rappeler comment, sous l’Ancien droit, il n’était pas si rare que l’on juge les animaux lorsqu’ils causaient un accident, ou les cadavres, l’action publique ne s’éteignant donc pas avec la mort…
Toutefois, depuis la Révolution française, la raison l’a clairement emporté, et le droit pénal est certainement devenu le plus rationnel de nos droits. L’affaire pourrait donc être entendue … si le paranormal ne connaissait pas aujourd’hui un retour en force aussi réel qu’inquiétant. Des complotistes de tous horizons avancent des explications farfelues qui ont trouvé sur les réseaux sociaux un moyen de se développer au-delà de toute espérance… Des para-scientifiques osent aujourd’hui affirmer que la Terre est plate, ou que les animaux mythiques comme la licorne existent. Dans la même perspective, des para-historiens proposent des thèses bien peu académiques, parfois conspirationnistes, parfois aussi mystiques… Christophe Bourseiller, dans un ouvrage passionnant intitulé Et si c’était la vérité ? (Vuibert, 2015), passe en revue quelques-unes de ces théories délirantes, et pourtant répandues : le Christ ne serait pas mort sur la croix, Molière n’aurait rien écrit, Napoléon ne serait pas mort à Sainte-Hélène, l’Homme n’aurait jamais marché sur la Lune, l’attentat du 11 septembre n’aurait jamais eu lieu…
Ce contexte invite à nous intéresser à la manière dont le droit pénal appréhende le « paranormal », prolongeant ainsi la remarquable étude qui avait été consacrée, il y a quelques années, aux relations entre le droit et le surnaturel [J-Ch. Roda (dir.), Droit et surnaturel, LGDJ, 2015].
Malgré cette résurgence dans des croyances irrationnelles, le droit pénal maintient la position qui est la sienne depuis le siècle des Lumières, en ignorant, ostensiblement, le paranormal (I). Pour autant, il prend en compte l’exploitation qui est faite du paranormal, et sanctionne cette forme particulière de malhonnêteté qui consiste à abuser de la faiblesse ou de la crédulité des gens (II).
L’ignorance du paranormal par le droit pénal
Le droit pénal est aujourd’hui un droit rationnel, et même rationaliste. Il est donc logique qu’il ignore, purement et simplement, le paranormal. Les phénomènes paranormaux n’existent pas en soi (puisque par définition ils ne peuvent être prouvés), et ils n’existent pas pour le droit pénal. Cela se traduit par l’absence d’incrimination directe du paranormal, et par le refus de la justice d’y recourir.
L’absence d’incrimination du paranormal
Il fut un temps où le droit pénal avait une dimension largement irrationnelle, et incriminait, à ce titre, des phénomènes que nous qualifierions aujourd’hui de paranormaux, comme la sorcellerie, l’hérésie, ou, bien que dans un registre un peu différent, le blasphème. Il est par ailleurs des législations pénales étrangères qui incriminent de tels phénomènes, visant « la pratique de la sorcellerie », la « magie » ou encore le « charlatanisme ». C’est le cas du Cameroun (art. 251 du Code pénal), du Gabon (art. 310 du Code pénal), du Bénin (§1 de la section VI du Titre II du Code pénal), du Mali (art. 281 de la loi du 7 juillet 2016 portant Code pénal au Mali), en Centre-Afrique (art. 149 à 151 du Code pénal) ou encore du Tchad (art. 189 de la loi du 8 mai 2017 portant Code pénal au Tchad). L’exemple du Tchad est particulièrement intéressant, car l’incrimination vise les "pratiques de divination ou de magie n’obéissant à aucune règle de logique et dont les résultats sont de nature à troubler la paix publique, à opposer des individus les uns aux autres ou à susciter des actes de vengeance".
Aujourd’hui, en France, point d’incrimination similaire. Le phénomène paranormal n’existant pas, il n’est pas – ou plus – nécessaire d’en parler. Le Code pénal entré en vigueur en 1994 a même abandonné la contravention qui incriminait spécialement « ceux qui font métier de deviner et pronostiquer ou d’expliquer les songes ». Mais cette ignorance dans laquelle le droit pénal tient désormais le paranormal est – à notre sens – parfaitement regrettable, et les législations africaines mentionnées plus haut paraissent bien plus raisonnables que notre silence. En effet, dans ces législations, il ne s’agit pas de reconnaître la réalité de la sorcellerie et autres phénomènes similaires, mais de sanctionner spécialement (et parfois lourdement) ceux qui invoquent ces pratiques imaginaires pour causer des troubles bien réels dans la société. La loi pénale comporte, on le sait, une dimension pédagogique, et on peut déplorer que le droit pénal français ait finalement abandonné le terrain de la lutte frontale contre ces pratiques, permettant ainsi à des astrologues et autres voyants de venir prétendre à une reconnaissance médiatique, sociale, et même scientifique.
L’absence de recours de la justice pénale au paranormal
Face aux contraintes et aux difficultés de la preuve, le paranormal s’est parfois proposé comme un recours pour le justiciable, et même pour le juge. Cependant, la justice pénale a clairement refusé cette aide, considérant implicitement que le paranormal manquait de sérieux, et que la culpabilité ou l’innocence d’un individu ne pouvait en aucune manière reposer sur des arguments aussi peu fiables.
Ainsi, la procédure pénale ne saurait recourir aux services des astrologues, devins et autres cartomanciens pour évaluer la dangerosité d’un individu, notamment à l’occasion de l’examen d’une demande de libération conditionnelle. On sait qu’une telle évaluation est complexe, et qu’elle comporte nécessairement une marge d’erreur. Pour autant, cela n’autorise pas – et heureusement – de pouvoir motiver une décision sur « l’art divinatoire ».
Plus encore, la jurisprudence a fermement rejeté le recours à l’hypnose. En l’espèce, un juge d’instruction avait commis un hypnologue et sophrologue, expert non inscrit sur une liste, afin qu’il procède à la mise sous hypnose d’un témoin ayant préalablement donné son accord et en présence d’enquêteurs chargés d’acter ses déclarations. La chambre d’accusation de la cour d’appel de Rennes avait estimé que si l’efficacité d’une telle technique, mise en œuvre dans des conditions normales de forme, pouvait être discutée, l’audition ainsi réalisée n’était pas irrégulière et n’avait pas eu pour effet de porter atteinte aux intérêts des mis en examen.Mais la Cour de cassation, dans un arrêt du 12 décembre 2000?(n° 00-83852, Bull. crim. n° 369, D. 2001, p. 1340, note Mayer et Chassaing ; dans le même sens Crim. 28?nov. 2001, n° 01-86467, Bull. crim. n° 248), a censuré cette décision, considérant donc que le recours à l’hypnose n’était pas conforme aux dispositions légales relatives au mode d’administration des preuves en matière pénale.
Enfin, dans la même perspective, on refuse en France d’accorder du crédit au polygraphe ou détecteur de mensonge, machine destinée à recueillir les réactions physiques de l’individu pendant un interrogatoire, où sont mêlées des questions anodines et des questions liées aux circonstances de l’infraction, afin de déterminer si l’individu ment ou dit la vérité. Utilisé aux États-Unis, le polygraphe est interdit non seulement en France, mais également dans toute l’Europe, étant considéré comme révélant davantage l’émotivité ou la nervosité d’un sujet que sa culpabilité éventuelle. L’appareil enregistre en effet les réactions du corps, de sorte que le résultat est évidemment très aléatoire.
Pour le droit pénal, les phénomènes paranormaux n’existent pas. Il n’est donc pas nécessaire de les incriminer spécialement et, a fortiori, la justice pénale ne saurait s’en servir. Pour autant, le paranormal connaît – aujourd’hui comme hier – un véritable succès, et le droit pénal offre à cet égard des ressources intéressantes pour sanctionner ceux qui abusent de la crédulité des autres.
La sanction du paranormal par le droit pénal
Si le droit pénal n’incrimine pas spécialement le paranormal, il
sanctionne certaines pratiques qui s’en inspirent et qui, sous couvert de
phénomènes inexplicables, exploitent la détresse ou la crédulité des autres.
Le droit pénal intervient ici, finalement, pour sanctionner la manipulation
d’autrui, pour lui soutirer de l’argent le plus souvent, mais aussi pour abuser
son corps ou son esprit. Le droit pénal sanctionne ainsi les atteintes aux
biens et à la personne, pouvant être commises sous couvert de « paranormal ».
La sanction des atteintes aux biens
Les magiciens, les devins, les chiromanciens, les spiritistes, les sorciers, les guérisseurs et autres chasseurs de fantômes ne sont généralement pas gratuits… Le paranormal a un prix, souvent assez élevé. Les détournements qui sont ainsi réalisés peuvent alors tomber sous le coup des incriminations réprimant les atteintes aux biens, et spécialement de l’escroquerie. L’article 313-1 du Code pénal réprime ainsi « le fait, soit par l’usage d’un faux nom ou d’une fausse qualité, soit par l’abus d’une qualité vraie, soit par l’emploi de manœuvres frauduleuses, de tromper une personne physique ou morale et de la déterminer ainsi, à son préjudice ou au préjudice d’un tiers, à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque, à fournir un service ou à consentir un acte opérant obligation ou décharge ». La Cour de cassation rappelle régulièrement les ressources qu’offre cette incrimination pour lutter contre l’escroquerie à la divination. Ainsi, la Chambre criminelle a rejeté le pourvoi contre un arrêt d’appel qui avait condamné un médium qui s’était fait remettre des sommes importantes d’argent – en espèces – au prétexte qu’elles constituaient le seul moyen d’intercéder auprès des esprits… (Crim., 12 septembre 2018, n° 17-86.475 ; dans un sens proche, Crim., 26 septembre 2012, n° 11-84.222).
La qualification d’escroquerie est assez bien adaptée pour réprimer ces mises en scène, qu’il s’agisse de désenvoûtement, de discussions avec les morts, ou de lecture de l’avenir dans les astres ou les entrailles de tel ou tel animal. Encore faudrait-il que les victimes se rendent compte de la supercherie et osent déposer plainte. Mais d’autres qualifications sont éventuellement applicables, comme l’exercice illégal de la profession de médecin, pour sanctionner les guérisseurs et autres rebouteux (art. L. 416-1 du Code de la santé publique) ou la publicité mensongère (cf. Crim., 25 avril 1990, n° 87-81.583).
La sanction des atteintes à la personne
Le paranormal peut servir à la commission d’infractions plus graves encore que l’escroquerie, en ce qu’elles portent atteinte à la personne et non plus « seulement » à ses biens. Tel est le cas de l’infraction d’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de faiblesse, que le législateur avait initialement rangée dans les infractions contre les biens (Livre III du Code pénal), avant de la faire figurer dans les atteintes à la personne (Livre II du Code pénal). L’article 223-15-2 du Code pénal dispose ainsi que « est puni de trois ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende l’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de la situation de faiblesse soit d’un mineur, soit d’une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de son auteur, soit d’une personne en état de sujétion psychologique ou physique résultant de l’exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement, pour conduire ce mineur ou cette personne à un acte ou à une abstention qui lui sont gravement préjudiciables ». Le même texte précise encore que « lorsque l’infraction est commise par le dirigeant de fait ou de droit d’un groupement qui poursuit des activités ayant pour but ou pour effet de créer, de maintenir ou d’exploiter la sujétion psychologique ou physique des personnes qui participent à ces activités, les peines sont portées à cinq ans d’emprisonnement et à 750 000 euros d’amende ». Cette disposition s’inscrit dans le cadre de la lutte contre les mouvements sectaires, et permet de réprimer les gourous avant même que leurs actes ne prennent une tournure plus grave encore, comme dans l’affaire du Temple solaire.
Cela étant, les atteintes à la personne commises au sein des sectes peuvent aussi tomber sous le coup des infractions de droit commun, comme les agressions sexuelles, les violences, et même le meurtre.
En définitive, le droit pénal dispose d’armes efficaces pour lutter contre les mages et les gourous, et pour protéger les biens et les personnes des victimes de l’exploitation du paranormal. Il est sans doute dommage que le droit pénal ne reconnaisse pas plus clairement que toute pratique se revendiquant du paranormal est – en soi – susceptible de troubler l’ordre public et de porter atteinte aux personnes et aux biens. Mais peut-être le législateur considère-t-il que les prétoires sont déjà suffisamment encombrés ou qu’il serait politiquement imprudent de stigmatiser ainsi une partie non négligeable de l’électorat. Rappelons à cet égard que selon deux études de l’IFOP réalisées en 2018 et 2019, près de 10 % des Français croient « possible que la Terre soit plate et non pas ronde comme on nous le dit depuis l’école », et « un Français sur quatre affirme avoir déjà vécu une expérience paranormale »…
Philippe Bonfils,
Professeur à Aix-Marseille Université,
Doyen honoraire de la faculté de droit et de science politique,
Avocat au barreau de Marseille
Article paru dans le JSS n° 68 du 31/10/2020 - lire un extrait ici.
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