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de quatre ans après l’entrée en vigueur, le 25 mai 2018, du règlement (UE)
2016/679 du 27 avril 2016 (le RGPD), plusieurs questions demeurent toujours en
suspens concernant les exigences concrètes du RGPD lors de la phase de due
diligence ou d’audit préalable à toute
transaction économique, notamment de type « mergers and acquisition »
(M&A).
En effet, des données à caractère personnel (DCP) de l’entité cédée sont
communiquées par le cédant au(x) candidat(s) à la cession lors de la
communication des documents, souvent par le biais d’une Data Room,
notamment concernant les salariés (les contrats de travail, d’intérim, les
mandats...), les fichiers clients (les contrats commerciaux…) voire même
fournisseurs. Or, ces DCP font l’objet d’une protection spécifique au titre du
RGPD. Il n’existe plus de déclaration ou d’autorisation auprès de la CNIL qui
viendrait valider l’échange d’informations sur une opération.
Pour
éclaircir au mieux les exigences et donc les précautions d’usage pour toute
partie prenante à une due diligence concernant les DCP en trois temps :
l’identification des parties prenantes (devant toutes être qualifiées de
responsables du traitement de DCP au sens du RGPD), sera suivie de l’analyse
des bases légales des traitements, puis des obligations respectives des parties
de manière plus détaillée.
Dans le cadre d’une due diligence préparatoire à une
transaction économique, il s’agit de mettre à disposition de l’information pour
analyse et étude, en préalable à l’émission d’une offre ou des pourparlers. Les
candidats, les conseils de part et d’autre reçoivent de l’information et en
sont donc destinataires. Ce terme est défini à l’article 4 du RGPD comme visant
« la personne physique ou morale, l’autorité publique, le service ou tout autre organisme qui reçoit la communication de données à caractère personnel, qu’il s’agisse ou non d’un tiers (…) ».
Le responsable du traitement est défini comme la
personne déterminant les finalités et les moyens d’un traitement de données
personnelles (1) (même article 4 du RGPD).
Il peut faire appel à un sous-traitant qui traitera les DCP, uniquement
pour le compte du responsable
du traitement (2).
À
partir du moment où les données nominatives leur sont communiquées et qu’ils
peuvent les gérer de manière autonome, c’est-à-dire en fixant les finalités et
les moyens. L’ensemble des parties prenantes, incluant notamment le cédant,
le(s) candidat(s) à la cession, le(s) conseil(s), doivent être qualifiées de
responsable du traitement. Ils sont dès lors soumis à une responsabilité
disjointe. Ils disposent en effet chacun d’une certaine autonomie dans la
gestion de ces données, corollaire d’une responsabilité disjointe.
Cette
dernière est particulièrement bienvenue dans le contexte actuel de
cyber-insécurité avec la constatation de l’augmentation des fraudes
informatiques et du piratage. En effet, elle fournira plusieurs niveaux de
responsabilité chez chacun des responsables du traitement. Un cabinet d’avocat
devra notamment mettre en place les "mesures techniques et
organisationnelles appropriées afin de garantir un niveau de sécurité adapté au
risque "(article 32 du RGPD (3).
Elle permet ainsi au cédant de limiter son exposition au risque si un conseil
ou un candidat à la cession se fait pirater, en cloisonnant juridiquement
l’étendue de sa responsabilité en cas de défaillance. Une telle qualification
entraîne des obligations au sens du RGPD qui seront détaillées ci-après.
L’intensité des obligations aux termes du RGPD est
appréciée au regard de l’objet de l’opération et de la sensibilité des données.
Le plus souvent, il s’agit d’une transaction économique qui affecte la vie des
affaires et n’est pas susceptible "d’engendrer un risque élevé pour
les droits et libertés des personnes physiques "(article 35 du RGPD). Dès lors, il n’est
pas nécessaire d’effectuer
systématiquement une analyse d’impact
relative à la protection des données, sauf cas particulier qui réunirait au moins deux des
critères précisés par le Comité européen à la protection des données (CEPD)
dans ses lignes directrices (4). Toutefois,
les obligations en termes de minimisation des données communiquées (pour
garantir que seules les données nécessaires au regard de chaque finalité
spécifique du traitement sont traitées) et d’ « accountability » (obligation de mettre en œuvre des mécanismes et
procédures internes permettant de démontrer le respect des règles
relatives à la protection des données )5) du RGPD doivent être dûment respectées et documentées.
Les bases légales des traitements
Il ne
peut y avoir de traitement autorisé sans une seule (et rien qu’une seule) base
légale applicable. Cette identification de la base légale est souvent
compliquée. La solution de facilité serait d’éviter l’application des
contraintes du RGPD en faisant disparaître les DCP par le biais de l’anonymisation
des documents.
Le
RGPD protège les données à caractère personnel. Dès lors, afin d’éviter
l’application même du RGPD, il suffirait de supprimer les DCP des documents en
les anonymisant ou en les agrégeant (caviardage, production de modèle de
contrat…). Cette solution est possible lorsque l’opération de M&A porte sur
une entité à taille assez réduite et devient impossible en pratique lorsque des
centaines voire des milliers de documents doivent être analysés (6). En effet, pour toute transaction et
particulièrement pour les M&A, « time is of the essence ».
L’allongement des délais pour anonymiser tous les documents serait
problématique, sans compter le coût supplémentaire d’une telle procédure (7). De plus, il est difficile de déterminer
précisément une DCP car une même donnée peut être considérée comme ayant un
caractère personnel dans une matière juridique ou un contexte donné, et ne plus
avoir ce caractère personnel lorsque l’on bascule dans une autre matière
juridique ou un autre contexte.
Il
faut ajouter à ces réflexions que les outils d’anonymisation disponibles sur le
marché ne sont pas infaillibles et que plutôt que de parler d’anonymisation, il
vaudrait mieux parler de pseudonymisation. Par recoupement d’informations ou de
documents, l’identification de la personne reste possible. La pseudonymisation
n’est qu’une technique de sécurisation des données au sens de l’article 32,
toutes les obligations du RGPD doivent être respectées par ailleurs.
Enfin,
à trop "manipuler" les documents avant la mise à disposition aux
candidats à une opération, il peut exister un doute légitime dans l’esprit de
ces derniers à une opération sur leur intégrité qui, à un moment donné des
discussions, pourront toujours demander à voir l’original d’un document, très
légitimement. L’anonymisation comme solution définitive à la question de
l’évitement ou à l’inverse de la conformité au RGPD est clairement illusoire.
Une balance des intérêts
Puisque le RPGD s’applique bel et bien en phase de due
diligence, l’ « intérêt légitime » est en doctrine la base légale généralement retenue pour permettre le traitement de
données à caractère personnel dans ce cadre. Toutefois, plusieurs intérêts légitimes peuvent entrer en conflit. Il y a d’une part l’intérêt légitime du cédant qui
veut vendre son entité dans le secret des
affaires, inhérent
à la vie des affaires et sans lequel il n’y
aurait pas de liberté de commercer. D’autre part, il y a la protection de la vie privée des salariés et des
clients dont l’usage des DCP devrait
faire l’objet d’une
information préalable (en réalité dès la collecte des données). Une
balance des intérêts
est alors nécessaire afin de déterminer quels sont les droits et obligations de chacun. La
CNIL précise que ce travail doit
être fait au cas par cas pour justifier l’intérêt légitime du traitement concerné (8).
En
pratique, une notice d’information peut être communiquée à l’ensemble des
salariés de l’entité prévoyant la possibilité de la communication de leurs DCP
à des destinataires autorisés (partenaires commerciaux, avocats, consultants,
etc.) lors de tout type de transactions économiques (articles 13 et 14 du
RGPD). En termes de transparence, il n’est pas nécessaire d’être plus précis
puisque le secret des affaires implique qu’un salarié ne devrait pas être
informé des prémices d’une négociation avec un candidat à la cession.
De plus, dans la balance des intérêts,
le principe de minimisation des DCP transmises est clé. Le fait de communiquer
au candidat à la cession uniquement les données personnelles dont il a
strictement besoin afin de réaliser la due diligence, sans pour autant
contrarier les exigences en termes de transparence de l’information (9) avec
l’obligation d’information précontractuelle à l’opération du cédant envers un
candidat à la cession (article 1112-1 du Code civil) (10),
contribue à la conformité juridique de l’ensemble de l’opération.
La pratique de marché tend de plus en plus à faire cette
sélection afin de limiter le risque juridique de la transaction par rapport au
RGPD, ce qui est l’un des signes de la croissante prise de conscience des
problématiques RGPD dans les transactions.
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