Justice

ENQUÊTE. Greffiers, génération sinistrée


mercredi 3 juillet 20247 min
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03/07/2024 16:24:42 1 10 5064 29 0 24654 4561 4730 Statut des victimes environnementales : quels aménagements ?

Après que la dissolution de l'Assemblée nationale a rebattu les cartes des priorités, le choix de l'écologie sera-t-il envisagé par les électeurs dimanche prochain dans les circonscriptions concernées ?

Le programme du Nouveau Front Populaire prévoit de créer un statut de déplacé climatique. Science-Po Toulouse vient justement d’organiser une journée d'étude autour de la thématique du statut de victime environnementale, incluant celles de la montée des eaux. Professeurs de droit, juristes d'associations et avocats spécialisés se sont réunis pour faire le tour de la question. Lors de cette rencontre, la pollution comme fait générateur du préjudice environnemental a aussi été abordée, de façon distincte de l'évolution climatique.

Parmi les intervenants, certains ont relevé une reconnaissance dorénavant plus étendue des victimes environnementales, et une évolution de la jurisprudence impulsée par l'étranger.

Le cercle des victimes environnementales élargi

Selon Hermine Baron, c'est à partir du scandale de l'amiante dans les usines que la reconnaissance du préjudice environnemental s'est étendu, avec la qualification du préjudice d'anxiété. « On a eu un élargissement du statut. Ce n'est plus seulement la personne malade d'un cancer qui est victime, mais les personnes exposées à un risque sérieux ».

L'avocate évoque ensuite le cas des agriculteurs qui ont un contact important avec les pesticides, et qui sont en première ligne du risque de maladies graves. Au début, concernant ces substances nocives, il n'y avait que les professions agricoles, mais petit à petit, d'autres secteurs sont touchés comme celui des fleuristes.

Désormais, ce sont les juridictions qui jugent de la responsabilité des employeurs malgré un refus de reconnaissance par les caisses de la sécurité sociale.

Ainsi, la qualification de certaines maladies professionnelles telles que Parkinson, les hémopathies, et les tumeurs du type sarcome, comme préjudices environnementaux a élargi le cercle de reconnaissance des victimes. Néanmoins, la difficulté qui persiste parfois pour qualifier le préjudice d'« environnemental » est d'établir un lien de causalité entre la victime et la pollution.

Un préjudice encore difficile à faire valoir pour les victimes

En matière de preuve du préjudice environnemental, le doute ne doit pas profiter au salarié, a jugé la cour d'appel de Limoges.

Les difficultés liées à l'établissement de la responsabilité préoccupent la justice de l'Union européenne comme l'évoquait l'avocat général de la CJUE le 28 avril 2022. Ses réquisitions tendaient, au contraire, à faciliter l'admission du lien de causalité par une présomption réfragable, c'est-à-dire au profit du salarié, jusqu'à preuve contraire. La situation de particulière vulnérabilité de la victime dans son rapport de la preuve serait alors mieux considérée.

Dans le cas d'une pollution dont le lien de causalité est plus facile à établir suite à une catastrophe industrielle révélée, les personnes morales seront alors poursuivies, comme après l'explosion de l'usine AZF à Toulouse. Mais il arrive d'être confronté à une réalité qui est la disparition de la personne morale pour obtenir réparation des préjudices subis.

En Belgique, pour démontrer un préjudice environnemental contre l'entreprise 3M, le lien de causalité a pu être déterminé en constatant des valeurs sanguines très élevées aux PFAS (polluants éternels comme le fluor et le chrome) sur les riverains du site industriel. Les demandeurs ont obtenu gain de cause devant la justice belge malgré le fait qu'ils n'avaient pas développé de maladies dues à cette pollution. Les parties civiles sont allé encore plus loin en assignant le siège international de la société située aux États-Unis à cause du risque de disparition de la branche belge.

En Italie, les dirigeants de l'entreprise Solvay ont été condamnés pour de fortes expositions aux PFAS. La stratégie de défense des parties civiles était de prouver la commission d'une infraction pénale, afin de sanctionner les personnes physiques, et non simplement l'entreprise sur un volet financier. Au Pays-Bas, les dirigeants de l'entreprise Chemours ont été visés par une plainte, suite à une enquête journalistique qui révélait des déversements délibérés de produits toxiques dans l'environnement. Pour condamner les dirigeants, il faut concrètement caractériser l'élément moral de l'infraction, c'est-à-dire une faute intentionnelle ou une malveillance, imputable à une personne.

Hermine Baron évoque aussi l'essor de la reconnaissance des victimes des pollutions de l'air. Au contraire des produits toxiques dont on peut établir un lien de causalité avec un fabricant, l'air est diffus. C'est une autre difficulté à résoudre, lorsque l'émetteur des pollutions n'est pas clairement identifié, pour agir en responsabilité. Il est alors possible de se diriger contre l'État français explique l'avocate.

En juin 2023, le tribunal administratif de Paris a condamné l'État, pour des enfants tombés malades après avoir été exposés à la pollution de l'air. Cette décision inédite en France ouvre le droit à une indemnisation des victimes d'une pollution chronique, et non uniquement massive et soudaine.

Le 9 avril 2024, la Cour européenne des droits de l'Homme a condamné la Suisse pour des « victimes climatiques » par détour de la reconnaissance de l'inaction climatique de l'État.

Même pour le juge européen, il n'est pas nécessaire que l'État provoque lui-même l'émission de substances nocives pour devoir indemniser les victimes de préjudices environnementaux.

Des actions en justice facilitées par le collectif

Selon la même décision en raison de la spécificité du contentieux climatique, la CEDH donne aux associations de protection de l'environnement la qualité pour agir en justice. Cette décision ouvre le prétoire à l'association qui représente les victimes. Pour faciliter les poursuites, l'association Notre affaire à tous propose de supprimer la condition d'ancienneté d'un an des associations pour qu'elles puissent agir en justice le plus tôt possible.

Actions collectives et coalitions de victimes sont des moyens utilisés pour exercer ses droits. C'est notamment le cas avec l'action contre Shell par 17 000 néerlandais et étrangers qui ont délivré une procuration pour être parties au procès, par le biais d'une pétition en ligne.

En France, les personnes morales peuvent aussi être reconnues victimes du préjudice environnemental. À ce titre, elles ont pleine qualité pour agir en justice afin d'obtenir réparation. C'est le cas des entreprises agricoles pour les pesticides de leurs voisins ou de leurs sols récemment achetés mais pollués et inexploitables.

Les communes qui collectent des algues vertes sur les plages peuvent aussi ester en justice. Les associations ont la possibilité de demander une indemnisation du préjudice environnemental en se constituant partie civile dans la procédure pénale. C'est particulièrement le cas avec les associations de protection de l'environnement, qui ne sont pas victimes, mais peuvent agir en raison de leur objet statutaire.

« Aux USA, cela fait longtemps au niveau fédéral et à celui des États fédérés que les victimes ont moyen d'agir. » En France, c'est à force de mobilisations des associations, des riverains, des juristes que l'inscription de cette problématique dans l'agenda gouvernemental s'est imposée.

En parallèle de l'action gouvernementale, l'évolution du statut de victime environnementale va être une construction prétorienne, c'est-à-dire venant des juges directement, et non uniquement du législateur. C'est ce qu'explique Christel Cournil en reprenant les arrêts phares du Conseil d'État. « Des victimes dans un endroit A peuvent intenter un procès dans un endroit B. » La Professeure évoque une émergence des victimes extraterritoriales, qui peut amener à faire évoluer les droits des États.

Une évolution du statut inspirée de l'étranger

Au Chili, tous les riverains d'un lieu de pollution peuvent agir en justice. Aux États-Unis, il y a trois types d'actions contentieuses qui coexistent selon Charline Gillot, juriste de l'association Notre affaire à tous à Lyon. Les victimes de pollutions ont un statut particulier, les autorités locales en ont un autre, et les consommateurs un troisième.

Récemment, une proposition de loi de l'État du Vermont permet de mieux indemniser les victimes du réchauffement climatique spécifiquement.

En droit international, la victime climatique est encore mise de côté. Seules sont reconnues comme telles les États insulaires (cas de la Malaisie), ou des groupes de populations sans qualifier la victime, personne physique.

François Zind, avocat à Strasbourg évoque le projet de l'entreprise StocaMine qui est d'enfouir sous la nappe phréatique d'Alsace, 320 000 tonnes de déchets toxiques. La nappe est située sous le Rhin, entre la Forêt noire et le massif des Vosges. Elle alimente 5 à 6 millions de personnes selon maître Zind. Or, les substances nocives remonteraient par des canaux jusqu'à la nappe à cause des pressions géologiques exercées sur les déchets.

À l'occasion de ce scandale, l'avocat d'Alsace nature a soulevé une question prioritaire de constitutionnalité. Les sages ont été sensibles à l'évolution du droit constitutionnel allemand (puisque l'Allemagne aussi est concernée). Les décisions étrangères ont un impact sur la motivation des juges français. Selon maître Baron, elles permettent de s'en inspirer pour faire évoluer la jurisprudence en donnant des clés d'interprétation du droit. Il faut cependant que les situations soient comparables. La protection de l'environnement dans l'intérêt des générations futures, en tant que victimes potentielles, préoccupent les États qui consacrent ce principe au niveau constitutionnel. C'est le cas avec la QPC précitée du 27 octobre 2023, mais aussi avec la modification dans le même sens de la Constitution italienne un an plus tôt, et avec une décision de la Cour constitutionnelle allemande en avril 2021.

Antonio Desserre

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