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Après que la dissolution de l'Assemblée nationale a rebattu les cartes des priorités, le choix de l'écologie sera-t-il envisagé par les électeurs dimanche prochain dans les circonscriptions concernées ?
Le programme du Nouveau Front Populaire
prévoit de créer un statut de déplacé climatique. Science-Po Toulouse vient
justement d’organiser une journée d'étude autour de la thématique du statut de
victime environnementale, incluant celles de la montée des eaux. Professeurs de
droit, juristes d'associations et avocats spécialisés se sont réunis pour faire
le tour de la question. Lors de cette rencontre, la pollution comme fait
générateur du préjudice environnemental a aussi été abordée, de façon distincte
de l'évolution climatique.
Parmi les intervenants, certains ont
relevé une reconnaissance dorénavant plus étendue des victimes
environnementales, et une évolution de la jurisprudence impulsée par
l'étranger.
Selon Hermine Baron, c'est à
partir du scandale de l'amiante dans les usines que la reconnaissance du
préjudice environnemental s'est étendu, avec la qualification du préjudice
d'anxiété. « On a eu un élargissement du statut. Ce n'est plus
seulement la personne malade d'un cancer qui est victime, mais les
personnes exposées à un risque sérieux ».
L'avocate évoque ensuite le cas des
agriculteurs qui ont un contact important avec les pesticides, et qui sont en
première ligne du risque de maladies graves. Au début, concernant ces
substances nocives, il n'y avait que les professions agricoles, mais petit à
petit, d'autres secteurs sont touchés comme celui des fleuristes.
Désormais, ce sont les juridictions qui
jugent de la responsabilité des employeurs malgré un refus de reconnaissance
par les caisses de la sécurité sociale.
Ainsi, la qualification de certaines
maladies professionnelles telles que Parkinson, les hémopathies, et les tumeurs
du type sarcome, comme préjudices environnementaux a élargi le cercle de
reconnaissance des victimes. Néanmoins, la difficulté qui persiste parfois pour
qualifier le préjudice d'« environnemental » est d'établir un lien de
causalité entre la victime et la pollution.
En matière de preuve du préjudice
environnemental, le doute ne doit pas profiter au salarié, a jugé la cour
d'appel de Limoges.
Les difficultés liées à l'établissement
de la responsabilité préoccupent la justice de l'Union européenne comme
l'évoquait l'avocat général de la CJUE le 28 avril 2022. Ses réquisitions
tendaient, au contraire, à faciliter l'admission du lien de causalité par une
présomption réfragable, c'est-à-dire au profit du salarié, jusqu'à preuve
contraire. La situation de particulière vulnérabilité de la victime dans son
rapport de la preuve serait alors mieux considérée.
Dans le cas d'une pollution dont le lien
de causalité est plus facile à établir suite à une catastrophe industrielle
révélée, les personnes morales seront alors poursuivies, comme après
l'explosion de l'usine AZF à Toulouse. Mais il arrive d'être confronté à
une réalité qui est la disparition de la personne morale pour obtenir
réparation des préjudices subis.
En Belgique, pour démontrer un préjudice
environnemental contre l'entreprise 3M, le lien de causalité a pu être
déterminé en constatant des valeurs sanguines très élevées aux PFAS (polluants
éternels comme le fluor et le chrome) sur les riverains du site industriel. Les
demandeurs ont obtenu gain de cause devant la justice belge malgré le fait
qu'ils n'avaient pas développé de maladies dues à cette pollution. Les parties
civiles sont allé encore plus loin en assignant le siège international de la
société située aux États-Unis à cause du risque de disparition de la branche
belge.
En Italie, les dirigeants de l'entreprise
Solvay ont été condamnés pour de fortes expositions aux PFAS. La
stratégie de défense des parties civiles était de prouver la commission d'une
infraction pénale, afin de sanctionner les personnes physiques, et non
simplement l'entreprise sur un volet financier. Au Pays-Bas, les dirigeants de
l'entreprise Chemours ont été visés par une plainte, suite à une enquête
journalistique qui révélait des déversements délibérés de produits toxiques
dans l'environnement. Pour condamner les dirigeants, il faut concrètement
caractériser l'élément moral de l'infraction, c'est-à-dire une faute
intentionnelle ou une malveillance, imputable à une personne.
Hermine Baron évoque aussi l'essor de la
reconnaissance des victimes des pollutions de l'air. Au contraire des produits
toxiques dont on peut établir un lien de causalité avec un fabricant, l'air est
diffus. C'est une autre difficulté à résoudre, lorsque l'émetteur des
pollutions n'est pas clairement identifié, pour agir en responsabilité. Il est
alors possible de se diriger contre l'État français explique l'avocate.
En juin 2023, le tribunal administratif
de Paris a condamné l'État, pour des enfants tombés malades après avoir été exposés
à la pollution de l'air. Cette décision
inédite en France ouvre le droit à une indemnisation des victimes d'une
pollution chronique, et non uniquement massive et soudaine.
Le 9
avril 2024, la Cour européenne des droits de l'Homme a condamné la Suisse pour
des « victimes climatiques » par détour de la reconnaissance de l'inaction
climatique de l'État.
Même
pour le juge européen, il n'est pas nécessaire que l'État provoque lui-même
l'émission de substances nocives pour devoir indemniser les victimes de
préjudices environnementaux.
Selon
la même décision en raison de la spécificité du contentieux climatique, la CEDH
donne aux associations de protection de l'environnement la qualité pour agir en
justice. Cette décision ouvre le prétoire à l'association qui représente les
victimes. Pour faciliter les poursuites, l'association Notre affaire à tous
propose de supprimer la condition d'ancienneté d'un an des associations pour
qu'elles puissent agir en justice le plus tôt possible.
Actions
collectives et coalitions de victimes sont des moyens utilisés pour exercer ses
droits. C'est notamment le cas avec l'action contre Shell par 17 000
néerlandais et étrangers qui ont délivré une procuration pour être parties au
procès, par le biais d'une pétition en ligne.
En France, les personnes morales peuvent
aussi être reconnues victimes du préjudice environnemental. À ce titre, elles
ont pleine qualité pour agir en justice afin d'obtenir réparation. C'est le cas
des entreprises agricoles pour les pesticides de leurs voisins ou de leurs sols
récemment achetés mais pollués et inexploitables.
Les
communes qui collectent des algues vertes sur les plages peuvent aussi ester en
justice. Les associations ont la possibilité de demander une indemnisation du
préjudice environnemental en se constituant partie civile dans la procédure
pénale. C'est particulièrement le cas avec les associations de protection de
l'environnement, qui ne sont pas victimes, mais peuvent agir en raison de leur
objet statutaire.
« Aux USA, cela fait longtemps au
niveau fédéral et à celui des États fédérés que les victimes ont moyen d'agir. » En
France, c'est à force de mobilisations des associations, des riverains, des
juristes que l'inscription de cette problématique dans l'agenda gouvernemental
s'est imposée.
En parallèle de l'action gouvernementale,
l'évolution du statut de victime environnementale va être une construction
prétorienne, c'est-à-dire venant des juges directement, et non uniquement du
législateur. C'est ce qu'explique Christel Cournil en reprenant les arrêts
phares du Conseil d'État. « Des
victimes dans un endroit A peuvent intenter un procès dans un endroit B. » La Professeure évoque une émergence des
victimes extraterritoriales, qui peut amener à faire évoluer les droits des
États.
Au Chili, tous les riverains d'un lieu de pollution peuvent agir en justice. Aux États-Unis, il y a trois types d'actions contentieuses qui coexistent selon Charline Gillot, juriste de l'association Notre affaire à tous à Lyon. Les victimes de pollutions ont un statut particulier, les autorités locales en ont un autre, et les consommateurs un troisième.
Récemment, une proposition de loi de
l'État du Vermont permet de mieux indemniser les victimes du réchauffement
climatique spécifiquement.
En droit international, la victime
climatique est encore mise de côté. Seules sont reconnues comme telles les
États insulaires (cas de la Malaisie), ou des groupes de populations sans
qualifier la victime, personne physique.
François Zind, avocat à Strasbourg évoque
le projet de l'entreprise StocaMine qui est d'enfouir sous la nappe
phréatique d'Alsace, 320 000 tonnes de déchets toxiques. La nappe est située
sous le Rhin, entre la Forêt noire et le massif des Vosges. Elle alimente 5 à 6
millions de personnes selon maître Zind. Or, les substances nocives remonteraient
par des canaux jusqu'à la nappe à cause des pressions géologiques exercées sur
les déchets.
À l'occasion de ce scandale, l'avocat d'Alsace
nature a soulevé une question prioritaire de constitutionnalité. Les sages
ont été sensibles à l'évolution du droit constitutionnel allemand (puisque
l'Allemagne aussi est concernée). Les décisions étrangères ont un impact sur la
motivation des juges français. Selon maître Baron, elles permettent de s'en
inspirer pour faire évoluer la jurisprudence en donnant des clés
d'interprétation du droit. Il faut cependant que les situations soient
comparables. La protection de l'environnement dans l'intérêt des générations
futures, en tant que victimes potentielles, préoccupent les États qui
consacrent ce principe au niveau constitutionnel. C'est le cas avec la QPC
précitée du 27 octobre 2023, mais aussi avec la modification dans le même sens
de la Constitution italienne un an plus tôt, et avec une décision de la Cour
constitutionnelle allemande en avril 2021.
Antonio
Desserre
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