Édito : Les anciennes ont la cote !


lundi 18 mai 20205 min
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« Aux environs des belles années mille neuf cent dix

Lorsque le monde découvrait l’automobile Une pauvre femme abandonnée avec ses fils 

Par son mari qui s’était enfui a` la ville

Dans une superbe Panhard et Levassor Qu’il conduisait en plein essor... »

(A` la porte du garage, chanson de Charles Trenet) 


Fédérations, clubs, rallyes, pique-niques, concours, expositions, foires, salons, rassemblements locaux, bouchons routiers, ouvrages, journaux et revues spécialisés, guides et cotes, mécaniciens, carrossiers, selliers, collections, musées, sites d’annonces, ventes de gré´ a` gré´, ventes aux enchères... Tous ces termes sont familiers aux plus en plus nombreux amateurs et propriétaires d’automobiles anciennes (encore appelées « automobiles de collection » ou même plus simplement « les anciennes »1.

En effet, depuis quelques années, on assiste a` un très vif engouement pour les automobiles anciennes. Les motivations en sont diverses et variées. 



DES MOTIVATIONS 

LA NOSTALGIE 

« Mon père, mon grand-père avait la même », « Mon père, mon grand-père m’a appris a` conduire sur cette automobile », entend-on dans les foires et salons automobiles. 

L’intérêt pour l’automobile ancienne fait souvent référence au père, mais aussi a` sa propre jeunesse. Le souvenir d’hier provoque l’émotion d’aujourd’hui : Freud, qui pratiquait « l’auto-analyse », n’est pas bien loin. Mais au fait, quelle automobile conduisait Freud ? Dans la réalité, je ne sais pas, mais dans la fiction, il roule en Jaguar (voir le film Un divan a` Tunis, de Manele Labidi). L’automobile ancienne est-elle majoritairement une affaire d’homme ? La question est déjà risquée ! Rusons : on connait tous de brillantes femmes pilotes et des passionnées d’anciennes ! 


LA PASSION 

Comment ne pas aimer passionnément ces belles automobiles d’antan qui sont autant d’œuvres d’art, originales, différentes les unes des autres, au contraire de celles d’aujourd’hui qui se ressemblent toutes et ne sont que des clones, des « ORNI » (Objet Roulant Non Identifiable) ? Quant a` leur conduite, ce n’est que plaisir, émotion et fierté, et, chose curieuse, il en est de même pour leur entretien, réparation et restauration ! 

Comment ne pas admirer les lignes et la noblesse des carrosseries des « anciennes » ?

Comment ne pas voir de véritables artistes en les prestigieux carrossiers qu’étaient les Brandone, Chapron, Figoni et Falashi, Letourneur et Marchand, Saoutchik, Vanvooren... ? 

Comment l’acheteur de l’époque (la belle) ne pouvait-il pas hésiter devant un grand choix de carrosseries : coupe´ chauffeur, conduite intérieure, berline, limousine, cabriolet, faux cabriolet, landaulet, spider, coupe´... ? Comment ne pouvait-il pas rêver a` l’évocation des mythiques marques de constructeurs : De Dion Bouton, Delahaye, Delage, Bugatti, Hispano-Suiza, Hotchkiss, Panhard et Levassor, Salmson... ? 


LA PRE´CAUTION ET LA SPE´CULATION 

Comme toute œuvre d’art, l’automobile de collection fait l’objet d’acquisitions de précaution, notamment quand les autres placements possibles deviennent peu rentables ou trop risqués. C’est aussi une valeur que certains font entrer dans leur patrimoine en vue de sa diversification.

La spéculation n’est pas, non plus, étrangère au domaine de l’automobile de collection. Des achats pour revendre sont fréquents : achats d’automobiles au meilleur prix pour les restaurer et les revendre ensuite, mais aussi achat d’automobiles pour les revendre en l’état lorsque leur cote aura monte´. 

Comme pour les valeurs mobilières cotées, les automobiles anciennes font l’objet d’une cote et d’un prix a` la vente qui monte parfois très haut, même pour des automobiles en l’état de ruine mais qui ont une histoire a` raconter. 

Leur cote peut aussi stagner voire descendre. La cote des anciennes a fortement grimpe´ ces dernières années et l’on a vu beaucoup de ventes aux enchères présentant des automobiles de collection « sorties de granges », c’est- a`-dire a` l’état d’épave, mais adjugées a` des prix astronomiques (la grange est souvent en meilleur état et d’un prix beaucoup plus raisonnable. Avis aux amateurs !). Aujourd’hui, leur cote connaît une « correction », comme on dit dans les milieux boursiers. 

Un constat s’impose : l’engouement pour les anciennes, quelles qu’en soient les motivations, ne sont pas sans conséquences. 



page3image38318848page3image38319424page3image38319040DES CONSE´QUENCES 

UN MARCHE´ 

On l’aura compris : toutes les raisons précitées ont conduit a` l’émergence d’un véritable marche´ national et international. Offres de ventes fleurissent sur des sites Internet, spécialisés ou non, dans des catalogues de ventes aux enchères, dans des journaux « autos anciennes », dans des clubs de marques et dans des garages et espaces de ventes dédiés. 

En 2018, le montant total des ventes aux enchères d’automobiles de collection réalisées en France s’est élevé a` 90 millions d’euros, hors frais de vente, révélant une baisse de 20 % par rapport a` 20172. 97 % de ce chiffre d’affaires est le fait des six principaux opérateurs de ventes dans ce domaine, Artcurial en étant le leader2

Il ne s’agit la` que du chiffre d’affaires des maisons de ventes aux enchères. Au-delà`, la Fédération française des véhicules d’époque – FFVE – estime a` 4 milliards d’euros le chiffre d’affaires total du domaine en France. Elle recense 800 000 automobiles de collection, 230 000 propriétaires et 4 000 professionnels3


UN PATRIMOINE 

Il faut ici souligner le rôle majeur des nombreux passionnés d’anciennes ; ils sauvegardent, enrichissent et animent un patrimoine culturel et industriel. Ils font vivre, voire survivre, les rares métiers encore au service de l’automobile ancienne, comme les selliers, mécaniciens spécialisés, carrossiers, fabricants et distributeurs de pièces détachées, de produits d’entretien, tous indispensables a` la survie des belles anciennes. 

Ce patrimoine appartient a` tous les Français et participe de la mémoire collective et de l’histoire industrielle de notre pays : il doit être respecte´ et protégé´. Les propriétaires d’anciennes sont les passeurs de la grandeur de notre industrie automobile passée : ils doivent être remerciés et encouragés ! 



ET LE DROIT DANS TOUT CELA ? 

Il est la`, invisible mais toujours et partout présent. Il est embusque´ et peut surgir a` tout instant ! C’est le cas lorsqu’il s’agit de définir l’automobile de collection, de l’assurer, de la vendre, de l’acheter, de l’importer, de l’exporter ou encore d’organiser des manifestations regroupant des anciennes. Ces questions de droit seront traitées dans les pages qui vont suivre par d’éminents juristes, membres de l’Institut Art & Droit ; je les remercie chaleureusement pour leur participation a` ce dossier. Allez, roulez ! 




Gérard Sousi,

Président de l’Institut Art & Droit Ancien,

Vice-président de l’Université Lyon 3 



1) Je préfère l’expression « automobile de collection » ou encore « ancienne » a` celle de « véhicule de collection », souvent employée par les normes juridiques et fiscales. D’abord parce que les premières sont celles utilisées par les passionnés, ensuite parce que la dernière est trop générique car recouvrant tous types de véhicules. Quant au terme « voiture », je le réserve aux « voitures a` pédales » et a` l’injonction « en voiture Simone ! ». 

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