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Une enfant des colonies
Élisabeth Vallier naît le 6 août 1946 à
Marrakech.
Sa grand-mère vient seule, à 18 ans, après la
Première Guerre mondiale, créer La Poste dans cette grande ville du Maroc.
Son père, Georges, s’engage à 22 ans dans l’armée
française en Italie et participe à la bataille de Monte Cassino en 1944. À son retour, il crée une
entreprise de conservation d’olives, d’huile d’olives, puis d’abricots. Il
épouse Jeannine Flecchia, d’origine piémontaise, mais née en Algérie.
Élisabeth témoigne du milieu où elle grandit :
« Très jeune, j’ai été révoltée par la bêtise épaisse des machos, assez
nombreux parmi les Européens du Maroc où je vivais. Je haïssais les
plaisanteries grasses et vulgaires, l’autoritarisme imbécile, l’obstination
bornée, la violence des propos, le mépris pour les plus faibles, les femmes,
bien sûr, mais aussi les Arabes et les Juifs. Le "macho-racisme" me
fit très tôt horreur ». (1)
La décolonisation va bouleverser la vie familiale.
Perturbée par des événements qui plongent ses parents dans la précarité, la
jeune fille constate que le monde est traversé d’oppositions. Elle ne comprend
pas que les communautés ne puissent vivre en bonne intelligence et en conçoit
un grand intérêt pour les relations internationales autour de la question à la
fois simple et fondamentale : pourquoi la guerre ?
Après l’indépendance du Maroc (1956), elle arrive en
France, où ses parents montent une nouvelle affaire agricole, des vergers, qui
subiront quelques années plus tard la concurrence des produits espagnols.
Forte d’une année d’avance, Élisabeth est douée à
l’école. Après son baccalauréat, elle aimerait aller à Paris pour embrasser une
carrière diplomatique. Elle garde en mémoire le modèle de cette femme
consul de France à Casablanca, élégante et impressionnante.
Mais ses parents la pensent trop jeune, et puisqu’elle
parle déjà bien anglais, pour avoir passé tous ses étés d’adolescente en
Angleterre, elle s’inscrit à la faculté des lettres de Montpellier en littérature
américaine. Elle rédige un mémoire sur Jack Kerouac et la Beat
Generation. Elle lit Faulkner, Salinger, Dos Passos, Henry James et Alan
Ginsberg.
En 1966, à l’âge de 20 ans, elle épouse
Jean-Louis Guigou avec qui elle aura un fils.
Elle dépose un dossier à Sciences-Po Paris et le refus
de son profil la révolte. Opiniâtre, elle passe à trois reprises le concours de
l’ENA et l’obtient, à 26 ans, au 10e rang, avec le sentiment
d’avoir accompli un parcours difficile mais aussi triomphé des préjugés. Elle
milite avec les 20 femmes admises (sur 150 élèves) pour que leur
promotion 1972 soit
baptisée d’un nom de femme : ce sera celui de la philosophe Simone Weil.
Élisabeth Guigou mène ensuite une carrière autour des
questions internationales, et plus précisément européennes, qui la passionnent.
Elle est aussi une femme engagée, qui milite depuis 1973 au Parti
socialiste où toute une génération aspire au changement. Douée, intelligente et
vive, elle travaille huit années, à partir de 1982, au cabinet de François
Mitterrand qui repère celles qui feront l’avenir (2).
« Il faut dire qu’avant d’entrer en politique,
je ne me suis jamais sentie brimée en tant que femme. » « Ma
fibre féministe, endormie dans le confort de la réussite professionnelle et du
bonheur personnel, se trouva aiguisée » par « le machisme
politique qui se déploie avec impunité et efficacité » en France plus
qu’ailleurs, témoigne-t-elle.
Garde des sceaux : la première femme place Vendôme 1997
Son parcours prend un nouveau tournant alors que
Jacques Chirac, président de la République, perd les élections législatives
après avoir dissout l’Assemblée nationale. Lionel Jospin devient le Premier
ministre d’une nouvelle cohabitation en 1997.
Ayant conquis une circonscription difficile dans le
Vaucluse, elle sait qu’elle sera ministre, mais ne s’attend pas à ce qu’on lui
propose la chancellerie. Elle n’est pas juriste, n’a pas participé au groupe
« justice » du Parti socialiste bien qu’elle en connaisse les
engagements pour l’indépendance.
Elle réfléchit à cette proposition : « Je
savais que c’était un poste difficile où tous, hormis Robert Badinter, avaient
été broyés » (3).
Elle accepte car le Premier ministre la veut auprès de
lui, en figure forte du gouvernement.
Pour prix de son engagement, elle exige un budget à la
hauteur des ambitions et le courage politique de concrétiser les changements
promis. Elle précise : « J’y vais parce que je préfère mener des
réformes que seulement gérer un grand ministère ».
Le secrétaire général de l’Élysée annonce un gouvernement composé d'un
tiers de femmes, 6 sur 18 (4), Élisabeth Guigou est la numéro 3 du
gouvernement.
Elle rejoint la place Vendôme à l’âge de 50 ans. Elle est consciente
de la rupture historique : elle est la première femme garde des Sceaux en
France.
Les photographies officielles, gardant la trace de la succession des gardes
des Sceaux, illustrent parfaitement l'arrivée des femmes, sur la toute dernière
ligne.
Son portrait officiel apparaît en bas à gauche, comme pour inaugurer une
nouvelle période.
Elle constitue son cabinet, dont la direction est
mixte : un homme, Christian Vigouroux, mais aussi une femme, Mireille
Imbert-Quaretta. « Je voulais des collaborateurs qui aient de la
personnalité et qui viennent d’horizons différents, qu’il y ait des femmes (…).
Cette diversité est pour moi gage de liberté (5) ». Son directeur
de cabinet indique : « elle occupait toute sa place de garde des
Sceaux, quand elle entrait quelque part c’était "la
patronne" (6) ». Sa directrice adjointe ajoute : « c’est
une intellectuelle, mue par des convictions profondes » (7).
Exemplaire, elle cherche constamment à nommer des femmes, et demande qu’on
lui en propose. Elle désigne la première directrice des Affaires civiles et du
Sceau, Danièle Raingeart de la Bletière, une directrice de la protection
judiciaire de la jeunesse, Sylvie Perdriolle ; des procureures générales.
Elle a conscience d’être au cœur de l’État et
d’imposer, en tant que femme, une autre façon de gouverner, sans hyperbole mais
avec son style : « Il faut imprimer sa marque et poser les bonnes
questions. Les administrations ne demandent que ça : des instructions (8) ».
N’étant pas issue du milieu de la magistrature,
Élisabeth Guigou expose sa méthode : « Je ne suis pas une experte
et je n’entends pas le devenir. Nous allons engager des réformes avec l’œil du
citoyen. » En rupture avec la période précédente, elle déclare :
« ce ne sera plus le ministère des Affaires, mais le Ministère du droit ».
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