Entretien avec Frédéric Sicard, Bâtonnier de Paris


jeudi 2 juin 20165 min
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Le 219e Bâtonnier de Paris, Frédéric Sicard, a été élu en juin 2015, et a pris ses fonctions en janvier dernier. Ce spécialiste du droit du travail avait déjà tenté une candidature en 2012, mais avait été battu au deuxième tour par le très médiatique Pierre-Olivier Sur. À 55 ans, Frédéric Sicard est un fin connaisseur des instances du barreau où il a déjà exercé de nombreuses fonctions.

 

 

Voilà un peu plus de cent jours que vous êtes bâtonnier de Paris. Quel bilan tirez-vous de ce début de mandat ?

 

La tâche est exaltante, mais il y a tant et il y aura encore tant à faire. Nombre de nos consoeurs et de nos confrères ignorent tout simplement les possibilités de services de leur Ordre. De ce point de vue, ils ne font ni mieux ni moins bien que nos concitoyens qui ont besoin de droit mais qui ont besoin d’un accès au droit de qualité, ce qui suppose un respect strict de la déontologie. L’avenir des avocats existe à condition qu’ils gardent leur âme.


 

Vous déclariez lors de votre élection : « le service peut être précieux sans être dispendieux ». Vous souhaitez « la rigueur budgétaire » pour l’ordre. De quelle manière avez-vous mis en place cette rigueur ?

 

Dès janvier 2016, nous avons demandé au conseil de l’Ordre de réduire les cotisations ordinales de 10 %. Cette réduction a été possible moyennant la réduction du train de vie de l’Ordre et des coupes budgétaires qui ont essentiellement affecté le budget communication. J’ai également décidé de la mise en place d’une commission de contrôle qui a précisément pour objet d’en rajouter dans la rigueur budgétaire. Nous étions déjà transparents en ce que la commission des finances du barreau de Paris a bien plus de pouvoirs et de process  qu’il en existe ailleurs. Nous sommes également dotés de deux commissaires aux comptes. Tant la commission financière que les commissaires aux comptes aident les élus à vérifier le respect du budget. La commission de contrôle vérifiera l’adéquation des dépenses par rapport au budget et nous suggèrera les process supplémentaires, indispensables pour encore plus de rigueur.

 


Avez-vous mis en place l’enregistrement filmé des débats du Conseil de l’Ordre comme vous l’aviez annoncé ?

 

Dès la première séance, le conseil de l’Ordre a voté à une courte majorité pour que les débats soient filmés et retransmis. Les débats sont longs, 3 ou 4 heures, et portent sur des sujets extrêmement variés. Chacune de nos consœurs et chacun de nos

confrères parisiens reçoivent le film chaque semaine et peuvent prendre connaissance des débats. Les films sont ensuite placés sur le site de l’Ordre où ils peuvent à nouveau se connecter pour regarder les séances. Cette diffusion connaît plus de succès que nous en espérions. Rares sont ceux qui regardent tout, mais chacun peut y trouver le sujet qui l’intéresse. La qualité des débats est incontestable.

 

 

Vous aviez également annoncé vouloir « plus de démocratie participative ». Qu’en est-il ?

 

Une plateforme participative ouvrira très prochainement. Elle permettra aux avocats de nous faire part de leurs idées. Nous avons mis en place un budget participatif qui sera tranché à la majorité en fin d’année, pour l’exercice 2017. Nous avons relancé le système d’échanges présentiels dits des colonnes. Ce système qui permet aux avocats parisiens de se regrouper par groupes a moins de succès que nous l’escomptions, mais nous n’avons pas encore terminé de réunir tout le barreau. Sont encore prévus des états généraux de la collaboration qui se tiendront à Campus du 4 au 7 juillet 2016. En fin d’année, l’ensemble des avocats parisiens voteront sur des questions importantes pour la profession, mais surtout pour l’avenir du droit et de la justice. Ce référendum sera une nouvelle avancée démocratique.


 

Vous êtes entré en fonction peu de temps après les attentats et en période d’état d’urgence. S’ajoute à cela une réforme pénale qui veut notamment renforcer les pouvoirs des procureurs. Que craignez-vous concrètement ?

 

A court terme, il va falloir sortir de l’état d’urgence. C’est une situation provisoire et chacun s’accorde à dire qu’elle n’a plus d’intérêt pour gérer la prévention des actes terroristes. Il faut juste préparer nos concitoyens à la fin de cet état d’urgence. Quant aux textes qui trouveront à s’appliquer à l’avenir, ils n’auront pas beaucoup contribué à l’action des forces de sécurité, puisqu’ils n’ont précisément pas pour objet de réprimer la situation passée et encore moins la situation présente. Or ces textes sont problématiques. Avec des pouvoirs publics bienveillants, nous n’avons probablement rien à craindre si ce n’est les excès habituels, au cas par cas, et c’est déjà beaucoup ! Avec un pouvoir extrémiste, il n’y aurait plus aucune retenue. Préfet et parquetier ont tous les pouvoirs. Il suffit de bien les choisir et il ne restera pas grand-chose de nos libertés. Il leur suffira de ne pas utiliser la loi simplement contre les terroristes, mais comme bon leur semble. Or, chacun sait qu’actuellement, même avec un pouvoir bienveillant, nous n’en sommes plus à des mesures extrêmes qui ne concerneraient que la menace terroriste.

 

 

Quel est le rôle de l’avocat dans ces moments de danger pour les libertés individuelles ?

Ce sont des moments de danger pour les libertés individuelles et les libertés publiques. L’avocat est précisément celui qui va être appelé à prendre le parti tantôt du coupable, tantôt de la victime, tantôt de l’individu, pour que le point de vue individuel ne soit pas soumis à la seule force de l’intérêt général. Trop souvent l’État de droit se confond avec le droit de l’État. Nous devrions tout au contraire aspirer à une société de droit. Dans une société de droit, qui aurait un avenir mobilisateur, l’avocat aurait tout son rôle à jouer, puisqu’il est le médiateur social par excellence. En toute matière, c’est à l’avocat de se lever pour rappeler que l’intérêt général ne peut en aucun cas étouffer les intérêts individuels. Ils doivent juste se concilier.

 

 

Vous souhaitez que soit consacré dans la Constitution le droit de chaque citoyen de recourir à un avocat. Dans votre éditorial du Bulletin de février du barreau de Paris, vous précisez que cela «donnera toute sa place à l’avocat dans la cité». La profession souffre d’un manque de reconnaissance d’après vous ?

 

Tous les sondages le prouvent, nos concitoyens ont confiance dans leur avocat même si parfois ils craignent la profession en général. La question de la reconnaissance constitutionnelle n’est pas une question de communication. Toutes les démocraties modernes en font un point fondamental d’une sociét é de droit. Il suffit de lire les textes constitutionnels. Or, notre République l’oublie. La simple reconnaissance constitutionnelle du rôle de l’avocat dans la Constitution, nous garantirait que le législateur seul pourrait traiter de questions aussi importantes que l’indépendance ou le secret professionnel. Or la liberté, l’indépendance et le secret sont les conditions absolues de la confiance du public.

(…)

 

Retrouvez la suite de cette interview dans le Journal Spécial des Sociétés n° 43 du 1er juin 2016

 

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