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Diplômée notamment, d’une maîtrise de droit privé et d’une autre en droit des affaires, Maître Hélène Moutardier s’est inscrite au Barreau de l’Essonne en 1992. Elle s’est rapidement spécialisée en droit de la famille, domaine à la fois humain et technique. Membre du Conseil de l’Ordre, et très investie dans les modes amiables de règlements des conflits, elle souhaite en faire son cheval de bataille au cours de son mandat comme nouvelle bâtonnière élue du barreau de l’Essonne.
Pouvez-vous vous présenter ?
J’ai prêté serment en janvier 1990. J’ai fait mon stage au sein du cabinet parisien Krief-Gordon. Deux ans après, je me suis installée au barreau de l’Essonne. J’ai créé mon cabinet individuel en 1996, et je me suis spécialisée en droit de la famille. Je suis assez investie, comme beaucoup de membres de mon barreau, dans les modes amiables de règlement des conflits, notamment dans la procédure participative, et le processus collaboratif. Nous sommes 40 confrères formés à ce processus particulier.
Selon vous, quelles sont les spécificités du barreau de l’Essonne ?
C’est un barreau à taille humaine, nous sommes 350 avocats. Lorsque je me suis installée ici, j’ai découvert un barreau très accueillant, très solidaire, il est d’ailleurs réputé pour être un peu à part. Nos relations avec le tribunal sont généralement bonnes et sereines.
C’est un barreau qui a une histoire, malgré son jeune âge. Notre commission Droit de l’enfant fut l’une des premières créées en France, et les avocats de notre barreau ont été dans les premiers à pénétrer dans les prisons, pour défendre les détenus au sein des commissions de discipline, bien avant que la loi ne les y autorise.
Ce dynamisme, cet esprit d’initiative et de résistance, nous l’avons conservé.
Nous comptons parmi nos membres de nombreuses spécialités, pour couvrir de vastes domaines du droit, et répondre aux attentes des justiciables.
Car en Essonne, nous avons une population contrastée et un maillage économique très varié. Au sud la campagne, au nord davantage d’entreprises.
Nous ne faisons pas de rentrée solennelle, mais nous avons une soirée du bâtonnier, beaucoup moins formelle. Et nous avons aussi une revue du barreau tous les deux ans. C’est un très beau moment. La prochaine devrait se dérouler en mars-avril 2018.
Quelles sont les raisons qui vous ont poussée à vous présenter à l’élection du bâtonnat ?
Cela fait des années que je m’occupe de l’Ordre, par des mandats en son sein. J’ai longtemps présidé la commission Famille du barreau, ce qui signifie des contacts avec les magistrats, et des formations au sein du barreau, axées sur le droit de la famille.
Depuis quelques années, je me suis investie dans le développement de la procédure participative. Ainsi, au sein des commissions familles des barreaux d’Île-de-France, nous avons pu établir des modèles d’actes et un vade-mecum de la procédure participative, lesquels ont été diffusés dans tous les barreaux d’Île-de-France. Et j’ai entrepris des actions de formation sur l’Île-de-France et des barreaux de province. J’ai également participé à la formation dispensée par le CNB.
À maintes occasions, j’ai eu le sentiment que la profession était en train d’évoluer profondément dans ses méthodes de travail. J’ai souhaité m’investir davantage dans la conduite de l’Ordre, pour accompagner mes confrères dans cette évolution.
Pouvez-vous en dire davantage sur la procédure participative ?
C’est un mode amiable qui est réservé aux avocats, la recherche de l’accord amiable se faisant dans le même temps que la procédure, qui se déroule en dehors du tribunal, sans le juge, sous la responsabilité des avocats. Les avocats fixent le cadre de la procédure conventionnelle, ils établissent un calendrier de procédure, avec des conclusions, des pièces échangées, etc. Et parallèlement, ils tentent de trouver un accord, par des phases de négociations. C’est différent de la médiation, car il n’y a pas de tiers. Les avocats formés au processus collaboratif savent mener des négociations, et aident leurs clients à trouver un accord qui leur est personnel, et qui sera pérenne. Si aucun accord n’est trouvé, alors le juge est saisi, et il statue à bref délai. Il y a un gain de temps, et les parties se réapproprient leur procès. Cette procédure participative est applicable en droit de la famille, mais pas seulement : en droit commercial, en droit social aussi.
C’est une nouvelle manière de travailler, ce n’est plus seulement le contentieux judiciaire, c’est le contentieux, dirigé par les avocats, en dehors du tribunal. C’est quelque chose de plus serein. Une nouvelle posture pour les avocats, que le public ne voit pas encore. Il s’agit pourtant d’un vrai besoin, car de plus en plus, les justiciables refusent de se laisser imposer une solution, par le tiers qu’est le juge, mais préfèrent trouver leur solution. C’est très positif que nos barreaux soient en mesure de les y aider.
Pouvez-vous développer sur les modes alternatifs de résolution des conflits ?
Depuis quelques années, il y a une volonté du Gouvernement de promouvoir les modes amiables en toute matière. Il existe la médiation et la conciliation. Le conciliateur cherche à orienter l’accord vers ce que le juge aurait tranché, alors que le médiateur n’oriente pas. Il ne fait que reformuler pour être sûr que l’autre entende bien ce qui est dit. Il cherche à rétablir une communication entre les parties pour que celles-ci trouvent leur solution. C’est un état d’esprit différent. Chaque mode amiable correspond à une façon différente de régler les litiges. Il faut, il me semble, développer chacun des modes amiables, car ils répondent à des problématiques distinctes.
Il existe aussi les modes amiables réservés aux avocats, dont la procédure participative évoquée ci-dessus et le processus collaboratif. Ce dernier vient du Canada. Il est réservé aux avocats qui ont reçu une formation spécifique. Il est totalement secret, et les avocats se déportent s’ils ne parviennent pas à faire en sorte que les parties trouvent un accord. Ils cherchent avec les parties à trouver une solution très ouverte, qui réponde le plus possible aux besoins de chacun. Ainsi, personne ne renonce, c’est du « gagnant-gagnant ». Si on trouve un accord, on le fait homologuer par le juge. Ce processus a inspiré la loi sur la procédure participative, mais en réalité, il s’agit de deux modes amiables très différents. Le choix du mode amiable le mieux adapté se fait avec l’avocat.
Que pensez-vous de la loi concernant le divorce par consentement mutuel sans juge ?
Cela participe du même mouvement et je pense que c’est ce que le public attendait. Cela ne diminue pas l’importance du juge. Il n’est pas possible de faire de l’amiable en toute occasion.
Que retenez-vous des actions de votre prédécesseur ?
Il a géré l’ordre durant deux ans, c’est en soi un investissement conséquent ! Il l’a fait dans la continuité des actions de ses prédécesseurs, comme je vais tenter de le faire à mon tour. Mais il a laissé son empreinte : il a refondu le site internet de l’ordre. Il a renoué le partenariat avec l’Université d’Évry.
Que pensez-vous des actions entreprises jusqu’à présent par le ministère de la Justice ?
Il y a, par vagues, des périodes où on sent une grande défiance à l’égard des avocats. Or, les avocats sont un des piliers de la justice, de la défense des personnes, des droits et des libertés individuelles, donc de la démocratie. Aujourd’hui, notre secret professionnel est bafoué, c’est un vrai problème de démocratie et de défense. J’appelle de mes vœux une loi constitutionnelle, qui mettrait à l’abri, définitivement, le secret professionnel des avocats. C’est un impératif.
Concernant notre département, la Chancellerie ne semble pas avoir pris en compte le fait qu’il a connu une forte progression de son activité économique, que sa population a beaucoup augmenté. La structure de notre tribunal n’a pas suivi. Nous manquons de juges et de greffiers. Nous peinons à maintenir un rythme qui soit satisfaisant pour les justiciables. Jean-Jacques Urvoas a bien spécifié qu’il allait augmenter le nombre de juges (il est grand temps !). Mais, c’est aussi une question de moyens financiers. Quand le budget de la Justice augmente, l’argent ne va pas aux tribunaux, mais dans les prisons, et toujours de façon insuffisante d’ailleurs ! Notre budget de la Justice est ridiculement faible par rapport à ceux de nos voisins européens. Plutôt que de l’augmenter, le Gouvernement préfère la déjudiciarisation. En effet, en développant les modes amiables, on diminue le nombre d’affaires dans les tribunaux, et on diminue le coût de l’aide juridictionnelle.
Toujours ce problème de l’aide juridictionnelle, non résolu depuis vingt ans ! Le déséquilibre qu’on connaît aujourd’hui vient du fait que l’État a augmenté durant toutes ces décennies le nombre de missions accessibles à l’aide juridictionnelle et relevé les seuils d’accessibilité à celle-ci. Ainsi, désormais, plus d’un dossier sur deux en droit de la famille est admissible à l’aide juridictionnelle dans certains départements. Quand on sait que l’indemnité perçue par l’avocat ne couvre que la moitié des frais du dossier, et ne lui apporte aucun bénéfice, on comprend que le poids financier de l’aide juridictionnelle est devenu insupportable pour les cabinets d’avocats. En conclusion, je pense que nous sommes arrivés au bout du chemin avec l’aide juridictionnelle. (…)
Propos recueillis par Maria-Angélica Bailly
Retrouvez la suite de cette interview dans le Journal Spécial des Sociétés n° 3 du 11 janvier 2017
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