Entretien avec Paul-Louis Netter, président du tribunal de commerce de Paris


lundi 9 mars 20207 min
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Paul-Louis Netter, élu président du tribunal de commerce de Paris en octobre dernier pour quatre ans, nous a accueillis dans les locaux du tribunal, Quai de Corse, afin de nous livrer les orientations qu’il souhaite donner à son mandat. Il en a profité pour revenir sur l’actualité de sa juridiction et sur le rôle des juges, notamment dans les procédures de prévention.


 


Pouvez-vous revenir sur votre parcours ?


J’ai réalisé ma carrière dans le secteur bancaire, chez BPCE, l’organe central commun aux Banques populaires et aux Caisses d’épargne. Ma mission était principalement de fabriquer, gérer et vendre des produits d’épargne, assis sur tous les supports (valeurs mobilières, immobilier, assurance vie…). Mon dernier poste m’a donné l’opportunité, durant plus de six années, d’être le patron de la banque privée du groupe BPCE. Ces missions m’ont permis de trouver un équilibre entre la technique et l’humain, c’est ce qui fait, à mon sens, la richesse du métier. Je retrouve ce même équilibre encore aujourd’hui, à la présidence du tribunal de commerce de Paris.


 


Avant d’avoir été élu en octobre dernier à la présidence du TC de Paris, vous avez remplacé, durant un an, l’ancien président Jean Messinesi. Qu’est-ce qui vous a attiré dans cette fonction ?


Pour tout vous dire, ce fut surtout un concours de circonstances. Je suis entré au départ au TC de Paris pour y être juge, sans aucunement aspirer à la présidence. Le président Jean Messinesi m’a ensuite sollicité pour être vice-président en 2017, ce que j’ai accepté. Puis, en 2018, ce dernier a atteint la limite d’âge instaurée par la loi « J21 » fixée à 75 ans. La question de ma candidature s’est alors posée, mais cela ne s’est pas présenté pour moi comme une évidence. J’ai, au final, accepté ce challenge, en précisant, si j’étais élu, que je me représenterai l’année suivante pour poursuivre mes engagements. J’ai été installé le 22 janvier 2019 en remplacement du président Messinesi, et, en octobre dernier, j’ai été élu pour un mandat classique de quatre années. Étant le seul candidat à me présenter à cette élection, le défi était surtout d’amener les votants à y participer. Je me réjouis alors d’avoir été élu par mes pairs avec un taux de participation de 90 %. Le tribunal de commerce de Paris est une maison exceptionnelle, conviviale, riche de dévouements et de talents.


 


 


« Durant mon mandat, je vais en premier lieu m’attacher à améliorer la qualité du service, en réduisant les délais de traitement des litiges ».


 


 


Quelles sont les priorités de votre mandat ? Quelles orientations souhaiteriez-vous lui donner ?


Durant mon mandat, je vais en premier lieu m’attacher à améliorer la qualité du service, en réduisant le délai moyen de traitement des litiges. Nous sommes actuellement à 13 mois, j’aimerais passer sous la barre des 12 mois. Cependant, la solution n’est pas évidente, et pour y parvenir, il s’agit de mettre en œuvre un ensemble d’actions. Nous menons actuellement des tests mis en place depuis la fin de l’année 2019. Si ces derniers sont concluants, la procédure sera ensuite généralisée à toutes les chambres de contentieux. Le TC peut par ailleurs se féliciter de la qualité de ses jugements, puisque nous enregistrons un taux d’appel très faible (environ 10 %).


L’autre priorité de mon mandat serait d’accroître nos relations avec la cour d’appel de Paris.
Au demeurant, je sais que c’est également un souhait de son Premier président. Une plus grande communication permettrait, à mon sens, une meilleure prévisibilité de la justice. Il est important que les juridictions se parlent.


Le troisième axe concerne les chambres commerciales internationales et l’attractivité de la place de Paris. Il faut poursuivre leur développement, et promouvoir leur notoriété en prenant pied dans le paysage juridique international. Paris est une grande place de droit, et la France dispose de nombreux atouts pour la faire rayonner. Historiquement, la France est un pays de droit, c’est dans son ADN. Nous disposons de cabinets d’avocats très compétents, qui ont rejoint les plus grands cabinets internationaux qui se sont installés dans notre capitale. Outre les avocats, qui, comme on le voit, constituent une profession forte, nous bénéficions de juges expérimentés et intègres, d’un centre d’arbitrage de premier plan mondial et d’auxiliaires de justice organisés. Tout cela participe à la puissance de notre pays sur le plan international. Il faut, à mon sens, valoriser ces atouts, en coordonnant les efforts entre la cour d’appel de Paris bien sûr, le barreau de Paris, et les associations comme Paris Place de Droit, qui fait un travail remarquable, mais pas seulement. L’univers associatif existe, il faut l’intéresser à ces travaux en tentant de parvenir à une meilleure cohésion et une plus grande coordination pour créer un écosystème puissant, une sorte de Task Force, pour imposer Paris comme une place de droit incontournable des règlements des litiges commerciaux internationaux. 


 


Justement, à l’heure du Brexit, la sortie du Royaume-Uni se présente-t-elle comme une opportunité pour la France ?


L’Union européenne a quand même réussi une vraie performance : les décisions rendues aujourd’hui par un tribunal situé dans un pays de l’Union sont automatiquement applicables sur tout le territoire de l’UE. Le Royaume-Uni, en quittant l’Union, perd son passeport judiciaire. Cette conséquence va inévitablement impacter les décisions prises à Londres qui ne profiteront plus de l’effectivité immédiate. Cela va alourdir les procédures, car la demande d’application devra être faite dans chaque pays de l’UE. Une telle situation est de nature à profiter à notre pays où les procédures demeurent à coût raisonnable et les décisions sont immédiatement applicables dans chacun des pays de l’Union.


 


Nous avons fêté en 2019 les 100 ans du Registre du commerce et des sociétés (RCS). Quel regard portez-vous sur cette longévité ?


Le RCS est un instrument essentiel rendant compte de la vie économique du pays. J’ai eu la chance de voir l’exposition réalisée par le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce dédiée au centenaire du RCS qui était très intéressante. Nous nous apercevons que, depuis sa création, son but n’a pas changé, seules les techniques ont évolué, s’adaptant aux besoins et aux technologies offertes. Nous poursuivons cette adaptation, avec pour objectif premier de simplifier les démarches et favoriser leur accessibilité.
Il s’agit d’une réalisation remarquable.


 


Le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce constate une forte hausse de la création d’entreprises en France en 2019 (avec 436 440 immatriculations d’entreprises en 2019, le nombre de créations d’entreprises a augmenté de près de 11 %). Quel commentaire cela vous inspire et comment l’expliquez-vous ?


La hausse de la création d’entreprise prouve que l’aventure entrepreneuriale attire de plus en plus d’individus, des créateurs optimistes et volontaires. Outre ce chiffre encourageant, l’important est toutefois de juger les résultats sur la durée, car dans l’entrepreneuriat, rien n’est jamais acquis. Toutefois, l’échec même peut-être productif au travers de l’expérience qu’il confère. La capacité à rebondir du dirigeant est à cet égard très importante. 


 


À ce sujet, comment le TC accompagne-t-il les dirigeants ?


Le tribunal de commerce et les juges ne sont pas là pour s’engager dans cet accompagnement, ce n’est pas leur rôle. En revanche, à partir des signaux dont ils disposent au travers du Greffe (dépôt des comptes, perte de capital, inscriptions de privilèges pris par les organismes sociaux ou le trésor public…), les juges des tribunaux de commerce peuvent détecter les difficultés et ainsi convoquer les dirigeants pour leur en faire prendre conscience. Ce rôle préventif est très important, car plus tôt la prise de conscience est enclenchée, plus le dirigeant a de chance de résoudre ses difficultés. En effet, le dirigeant peut être seul et est souvent accaparé par les tâches quotidiennes. L’entretien au tribunal permet de verbaliser les difficultés et d’enclencher, le cas échéant, une procédure préventive.


 


Les procédures de conciliation se développent-elles de plus en plus au sein du TC de Paris ?


Ce que l’on appelle les Modes alternatifs de règlement des différends (MARD) représentent environ 10 % des contentieux introduits chaque année au tribunal de commerce de Paris. Après les refus et échecs, la moitié de ces tentatives aboutit. C’est déjà bien, mais nous espérons faire mieux. Même si je considère que chacun a le droit de voir son litige examiné par la justice, nous sommes favorables aux MARD qui, comme l’a précisé la Première présidente de la Cour de cassation, Madame Chantal Arens, constituent une justice apaisée.


 


Enfin, quel regard portez-vous sur l’ubérisation de l’économie ?


On ne peut parler de façon trop générale car tout dépend des secteurs. L’ubérisation de certaines activités n’est-elle pas le révélateur de failles déjà existantes ?


En effet, les clients ont des besoins qui peuvent d’ailleurs évoluer avec les technologies, et c’est aux acteurs du secteur de tenter d’y apporter eux-mêmes des réponses adaptées. Il faut occuper toute la gamme de services. Nous constatons par exemple que les banques en ligne se développent lentement, car les banques classiques ont pu répondre à temps aux besoins, notamment numériques, de leurs clients. Il est préférable d’anticiper les besoins pour y apporter des réponses, avant que d’autres ne viennent prendre position sur un marché dont les utilisateurs sont insatisfaits.

 


Propos recueillis par Constance Périn


 


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