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Alors que Gérald Darmanin prévoit d'adapter en France le régime pénal italien contre les narcotrafiquants, Lorenza-Louise Geay, maîtresse de conférences en droit privé, est intervenue mi-février à l'institut d'études judiciaires de Strasbourg pour parler de la transition écologique et de la lutte pénale contre les risques de financement de la mafia.
Comment la mafia se finance-t-elle par le trafic de stupéfiants et comment sont blanchis les revenus qui en sont tirés en infiltrant l'économie verte, l'écomafia ? C'est ce que détaillait la Lorenza-Louise Geay, maîtresse de conférences à l'Université de Vannes, jeudi 13 février, auprès de l'institut d'études judiciaires de Strasbourg.
D'abord, il faut comprendre l'évolution du financement des mafias italiennes. Cosa Nostra est
une organisation très ancienne née en Sicile, retrace Lorenza-Louise Geay lors de . Elle a étendu ses tentacules
outre-Atlantique, notamment à New-York et Chicago au cours du 19ème
siècle. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, les troupes américaines ont
utilisé le réseau de la pègre entre la Sicile et les États-Unis pour faciliter
le débarquement sur l'île. En échange, la pieuvre sicilienne a su profiter de
ses liens avec la classe politique nord-américaine pour prospérer en toute
illégalité. Cette capacité à nouer des contacts avec les dirigeants s'est
ensuite étendue aux administrations centrales de l'Italie.
Cosa Nostra s'est particulièrement
financée avec le trafic de cocaïne, puis d'héroïne. Pour étendre son marché aux
États-Unis et dans le reste de l'Europe, la drogue était d'abord importée sur
l'île, puis acheminée vers Marseille. Cosa Nostra s'est entendu avec la Camorra
à Naples pour la faire passer, puis avec le milieu corso-marseillais pour la
redistribuer.
La 'Ndrangheta (mafia calabraise) est,
elle, plus récente, mais a également tissé son réseau international via le
trafic de drogues. Ce mode de financement oblige les organisations mafieuses à
entretenir des liens entre elles, que ce soit pour le transport des produits
stupéfiants ou pour superviser les commanditaires des petites mains qui la
revendent. Ces commanditaires ont, eux, besoin du réseau de la mafia pour
assurer leur sécurité contre des bandes rivales, et faire blanchir l'argent
tiré du trafic.
En France, la question de savoir si la mafia est présente sur le territoire ne se pose plus, selon Roberto Saviano, auteur de Gomorra, un roman qui décrit le fonctionnement pyramidal de la Camorra. Ce journaliste engagé dans la lutte contre les organisations mafieuses explique que le Fentanyl, importé du Mexique, échappe aux trafiquants français uniquement parce que le milieu corse l'a décidé.
Aujourd'hui, la mainmise de la mafia sur le trafic de stupéfiants, et sa capacité à fermer un marché aux bandes affiliées, interpellent sur la puissance d'un réseau. Collaborant depuis longtemps avec la Cosa Nostra des États-Unis, le milieu corso-marseillais brisait déjà les grèves des dockers commanditées par Staline contre les arrivages d'aides du plan Marshall. Le 7 décembre dernier, des liens récents entre la DZ Mafia et le grand banditisme corse ont été révélés par le procureur de la juridiction interrégionale spécialisée de Marseille. Le journaliste Roberto Saviano ponctuait au micro de France Inter le 6 février dernier : « Le blanchiment, c'est le méga problème de la France. »
Les organisations mafieuses ont modifié
leurs modes opératoires de blanchiment, en tissant un réseau avec les
entrepreneurs, et en se tournant vers la transition énergétique. En Italie, le
blanchiment se dit justement riciclaggio (recyclage). « Le risque, dans les années à venir, d'une infiltration, même en France ou dans
les autres pays, dans le domaine de la transition énergétique, est bien réel.
Il ne s'agit plus d'une hypothèse formulée par les enquêteurs italiens. »
selon la professeure.
C'est au tournant des années 1980 que
Cosa Nostra s'est lancée dans le commerce des déchets toxiques. Pour la
Camorra, c'est à partir de 1989, qu'elle a commencé à infiltrer les entreprises
chargées de recycler. Des entrepreneurs du Nord de la péninsule ont passé des
accords avec ceux du Sud qui ont déchargé des tonnes de déchets toxiques dans
des friches. Le « Triangle de la mort », en Campanie, est jonché des
immondices que ces industriels véreux y ont déversés, après avoir falsifié les
bordereaux de transport vers des déchetteries.
Autre exemple, en 1999, les producteurs d'énergie ont dû commencer à fournir un minimum de 20% d'énergies renouvelables. « Il y avait de grandes entreprises au sein desquelles la mafia n'a pas tardé à s'infiltrer, qui étaient en mesure de produire en excès de l'énergie verte. Elle a pu monétiser ces surplus en mettant sur le marché des certificats verts qui pouvaient être négociés et dont le prix a grimpé en flèche. ». Il s'agit d'un mode opératoire proche de celui de la fraude à la TVA sur les quotas carbone. Le contrôle de ces certificats par la mafia s'est étendu à la gestion des parcs éoliens, selon les résultats de l'enquête Eolo menée par la police judiciaire de Sicile en 2009.
Mais en 2021, une nouvelle enquête est
diligentée en Calabre. Elle permet d'expliquer les motivations des
organisations mafieuses. Il s'agit « d’utiliser des entreprises en lien
avec la transition énergétique comme écran pour les activités plus classiques
telles que le trafic de stupéfiants, de les utiliser pour le blanchiment
d'argent qui découle du trafic de stupéfiants et des autres moyens de
financements mafieux ». Ces opérations permettent aussi de profiter
des énormes revenus tirés des activités licites elles-mêmes, poursuit Lorenza-Louise
Geay. Les entreprises servent donc à la fois à blanchir et à financer encore
plus la mafia.
Le déploiement dans les marchés légaux et
illégaux caractérise l'association de type mafieux. Incorporer dans le système les revenus illégaux, c'est ce que savent faire les organisations qui affilient les bandes du trafic
de stupéfiants. Simultanément, financer l'économie verte n'est pas illicite, c'est l'origine de cet investissement qui l'est. La méthode permet de blanchir les
sommes tirés de l'économie parallèle. Une organisation mafieuse est donc
caractérisée par cette diversité d'activités qui relie ses "abonnés" à
son blanchiment.
Pour le député (Moselle) Ludovic Mendes,
« le blanchisseur, c'est le même pour tous les
trafiquants ». En conséquence, il propose la légalisation du cannabis.
Cela permettra de lutter contre le trafic, l'introduction de ses capitaux dans une activité licite et donc contre le
réseau mafieux au sommet de la pyramide. L'association mafieuse n'a pas
d'équivalent en droit français, même si dans les faits, certaine groupes criminels ont un lien avec la mafia. À ce propos, le ministre de la Justice
souhaite créer une nouvelle infraction : « l'appartenance à une
organisation criminelle ».
Avant de définir le délit d'association
mafieuse italien, il a fallu s'intéresser aux organisations, et les qualifier
en droit.
La définition d'association de malfaiteurs en France est assez proche de celle de l'association de type mafieux en Italie, notamment pour ce qui la constitue. La Cour de cassation italienne retient spécialement que l'organisation doit être composée de trois membres au minimum. Cependant, la différence entre mafia et grand banditisme, c'est l'obligation d'intimider, selon la professeure Geay. En réalité, de cette intimidation découle une soumission de la population. Pour la mafia, l'intimidation ne passe pas toujours par l'emploi de la violence, au contraire d'une organisation criminelle de droit commun.
Car les organisations mafieuses se sont construites une réputation sur le long terme, tellement sulfureuse, qu'elles n'ont pas toujours besoin d'exercer de violence pour obtenir ce qu'elles veulent. Elles peuvent s'appuyer sur leur histoire en quelque sorte. De leur côté, les associations de malfaiteurs, qui n'ont pas vocation à durer autant que les mafias, sont obligées d'être systématiquement violentes pour contraindre la population. Et donc, modifier le Code pénal français, en s’inspirant du Code pénal italien, nécessite de savoir si en France, des organisations criminelles intimident la population sans avoir à utiliser systématiquement la violence. L'omertà (loi du silence en napolitain) est un indicateur de cette intimidation.
En Italie, le délit d'association mafieuse est constitué dès qu'il y a une collaboration effective, même si aucun plan n'est exécuté par la suite. Les auteurs du délit (les crimes sont aussi des délits en Italie) doivent seulement avoir une volonté éclairée d'adhérer à la mafia. La création de cette infraction en 1982 a permis aux juges italiens d'exploiter des possibilités conséquentes du droit commun. Ils peuvent saisir les biens susceptibles de servir à l'organisation.
La loi française a adopté ce moyen de lutte contre la criminalité organisée. Mais en Italie, les juges peuvent aller plus loin dans les saisies puisqu'elles concernent aussi toutes les personnes qui ont un lien avec la mafia sans même avoir commis d'infraction pour le compte de l'organisation. Il suffit que la personne ait un train de vie qu'elle ne puisse pas justifier. D'autres moyens sont utilisés comme le programme de protection renforcée des repentis, et l'isolement des mis en cause pour les écarter du milieu.
Le Garde des sceaux a dernièrement fait
un déplacement à Rome pour visiter la prison de Rebibbia dans laquelle sont
reclus des condamnés pour délit d'association mafieuse sous le régime de
l'article 41-bis du code de l'organisation pénitentiaire (isolement
quasi-permanent). Le ministre souhaite utiliser ce modèle carcéral pour lutter
contre le narcotrafic.
Pour la professeure Geay, l'arsenal pénal
italien, bien qu’impressionnant, n'a pourtant pas permis d'éradiquer les
phénomènes mafieux. Il faut toutefois le conserver, mais aussi réfléchir à
l'économie qui permet le blanchiment par la transition écologique.
Antonio
Desserre
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