Article précédent

On compte aujourd’hui près de 2 380 détenues pour 80 000 détenus. Si la philosophie carcérale repose, depuis 1945, sur un égal traitement des hommes et des femmes, dans les faits, les traitements réservés à ces dernières différent, parfois en leur faveur, parfois à leur détriment. Trois professionnels des institutions carcérales invités par l’Université Paris II-Panthéon Assas en conviennent en tout cas : il y a, en France, un « oubli collectif » des détenues.
18 % des mis en cause, 10 % des condamnés et 3,4 % de la population carcérale sont des femmes. Loin des « sorcières criminelles, empoisonneuses d’âmes » dépeintes par Molière dans L’École des femmes, les femmes commettent, elles aussi, des crimes et des délits.
Ces femmes emprisonnées se caractérisent par leur grande vulnérabilité liée souvent à des parcours de vie chaotiques. « 85 % des femmes incarcérées ont été victimes de violences sexistes et sexuelles en tant que mineures et, ou en tant que majeures, davantage que les hommes incarcérés », analyse Catherine Ménabé, maître de conférences habilitée à diriger des recherches à l’Université de Lorraine, lors d'une table ronde sur l'incarcération des femmes, à l'occasion d'un colloque organisé par les étudiants du master 2 Justice, procès et procédures de l’Université Paris II-Panthéon Assas, mercredi 26 mars.
Céline
Clément-Petremann, directrice conseil chez Vae Solis Communication et autrice
de La prison vue de l’intérieur : regards et parole de ceux qui travaillent
derrière les murs (2007, Albin Michel) se souvient des « regards vides des femmes aux parcours de vie que vous ne souhaiterez
pas à votre pire ennemi », au centre pénitentiaire pour femmes de Rennes où
elles purgent de longues peines. Dans cet établissement tenu longtemps par des
religieuses, elles apprennent notamment à cuisiner des pommes de terre pour
retrouver des gestes du quotidien.
Disparités
géographiques
Bien
que certaines soient condamnées à de nombreux mois derrière les barreaux, les
femmes restent moins longtemps en prison que les hommes. « Les femmes résistent au
crime », clamait le juriste Robert Cario. En effet, le traitement
judiciaire différencié dirige les femmes vers davantage d’aménagements de
peine, et elles se retrouvent donc nécessairement moins en prison.
Résultat, on compte
aujourd’hui près de 2 380 détenues pour 80 000 détenus. Cette proportion est
relativement stable et n’a « jamais
dépassé les 4 % des détenus depuis les cinquante dernières années »,
indique Bruno Clément-Petremann, directeur du centre
pénitentiaire de Paris-la-Santé.
Un
espoir, face à une population carcérale masculine en surnombre ? Pourtant,
des difficultés subsistent. Le directeur détaille : « Le taux d’occupation féminine est de 115 % contre 130 % chez les hommes. » Un chiffre à nuancer
en fonction des disparités sur le territoire, comme le rappelle la professeure
de droit pénal : « Dans
le sud de la France, les taux d’occupation des prisons pour femmes montent
jusqu’à 213 % à Nîmes et 236 % à Perpignan. »
Peu de femmes
condamnées, peu d’établissements pénitentiaires prêts à les accueillir : seuls
55 établissements le font sur les 190 en France. Les affectations ne
s’effectuent donc pas nécessairement en maintenant les liens familiaux. « La plupart des établissements pour femmes
sont situés dans le Nord de la France. Les femmes, majoritairement des mères de
famille ayant la charge de leurs enfants, se retrouvent loin d’eux. Un
préjudice à la fois pour leur insertion comme leur réinsertion dans la société »,
conclut Catherine Ménabé.
Des traitements réservés aux femmes détenues
Une fois réparties dans l’un des 55 centres pénitentiaires, centres de détention, maisons centrales ou établissements pénitentiaires pour mineures, les femmes constituent des détenues à part entière. De nombreux présupposés pourraient laisser entendre qu’elles seraient moins dangereuses, qu’elles dégraderaient moins leur cellule. Céline Clément-Petremann a elle-même constaté ces femmes « coquettes » qui avaient tenté de faire de leur cellule « un cocon » avec des objets « bien sentis ».
Pour autant, elle se rappelle également les maisons d’arrêts où les femmes devaient purger des plus petites peines ou étaient en détention provisoire, à Fleury-Mérogis et Fresnes : « Ce sont des cris, des femmes agressives entre elles parce qu’elles ont besoin de se faire leur place. » Finalement, la prison fonctionne « comme une micro-société organisée autour du travail, de l’argent, du sexe et de la religion ».
« Tout ce qui fonde la philosophie carcérale depuis 1945 repose sur des
principes qui doivent s’appliquer exactement de la même manière aux hommes et
aux femmes », théorise Bruno Clément-Petremann. Pourtant, face
à des comportements et des vécus spécifiquement féminins, les traitements
réservés aux femmes criminelles diffèrent. Par ailleurs, « il y a bien une spécificité de la prise en charge des femmes qui est
prévue par le législateur. » Tout commence par des locaux séparés et une
surveillance par des agents du même sexe. Alors que côté masculin, de nombreuses
femmes sont des agents pénitentiaires. À la Santé, sur les 380
personnels de surveillance, 175 femmes travaillent au contact de criminels.
Autre différence majeure, les femmes incarcérées ont le droit de
vivre avec leur enfant jusqu’à ses deux ans. Plusieurs cas se présentent : l’enfant
peut les accompagner en détention, ou naître directement en prison. Le
responsable de l’établissement carcéral parisien décrit ces trente-trois
quartiers-nurserie : « Ce sont des
endroits où elles peuvent vivre à part des autres femmes emprisonnées avec leur
enfant jusqu’à deux ans. » Les nourrissons peuvent, si des accords existent
avec les municipalités ou l’Aide sociale à l’enfance (ASE), être placés en
crèche la journée afin de les sociabiliser et qu’ils ne soient pas enfermés 24h
/24h. Le directeur de centre pénitencier s’interroge : « Pourquoi une femme aurait-elle le droit de vivre avec son enfant, mais
pas le père ? »
De meilleurs soins en
prison
En parallèle, les femmes sont prises en charge psychologiquement
et physiquement. De récents rapports ont témoigné de la persistance des
stéréotypes de genre dans les traitements et ont tenté de prendre en compte les
particularités de ces femmes. Catherine Ménabé met en exergue le travail
accompli pour un suivi médical somatique et psychique complet : « Des gynécologues sont présents régulièrement
pour assurer la prévention de cancers ou l’accès à la contraception d’urgence
ou à des interruptions volontaires de grossesse. »
Depuis 1994, les prisons signent des partenariats avec les
hôpitaux proches et les médecins n’interviennent plus sous le contrôle de la
Justice. À la Santé, ce sont les praticiens de l’hôpital Cochin qui
interviennent derrière les barreaux. Son directeur se félicite : « L’accès au soin est parfois plus facile à
l’intérieur qu’à l'extérieur d’une prison, nous prenons en charge médicalement
les détenus dès le lendemain de leur arrivée. »
Si en septembre 2020, la
Direction de l’administration pénitentiaire avait lancé une distribution
mensuelle de protections hygiéniques gratuites, la précarité menstruelle
carcérale reste présente et inégale. De manière générale, la spécialiste du
droit souligne « une grande variation
selon les territoires » : « Si un
gynécologue vient deux heures par semaine dans un centre pénitentiaire, il peut
recevoir 200 ou 20 femmes selon les unités. C’est très variable et dangereux
pour des populations déjà précaires, sans recours pour une prise en charge à
l’extérieur. »
Moins nombreuses, moins prises en
compte
Une
variabilité des traitements s’est, ainsi, systématisée dans l’incarcération
féminine. Ces femmes criminelles sont sous-représentées. Or, c’est cette
invisibilisation qui a conduit à un oubli collectif.
THÉMATIQUES ASSOCIÉES
Infos locales, analyses et enquêtes : restez informé(e) sans limite.
Recevez gratuitement un concentré d’actualité chaque semaine.
0 Commentaire
Laisser un commentaire
Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *