Femmes incarcérées, une réalité à repenser ? Les institutions carcérales s'interrogent


dimanche 30 mars6 min
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On compte aujourd’hui près de 2 380 détenues pour 80 000 détenus. Si la philosophie carcérale repose, depuis 1945, sur un égal traitement des hommes et des femmes, dans les faits, les traitements réservés à ces dernières différent, parfois en leur faveur, parfois à leur détriment. Trois professionnels des institutions carcérales invités par l’Université Paris II-Panthéon Assas en conviennent en tout cas : il y a, en France, un « oubli collectif » des détenues.

18 % des mis en cause, 10 % des condamnés et 3,4 % de la population carcérale sont des femmes. Loin des « sorcières criminelles, empoisonneuses d’âmes » dépeintes par Molière dans L’École des femmes, les femmes commettent, elles aussi, des crimes et des délits. 

Ces femmes emprisonnées se caractérisent par leur grande vulnérabilité liée souvent à des parcours de vie chaotiques. « 85 % des femmes incarcérées ont été victimes de violences sexistes et sexuelles en tant que mineures et, ou en tant que majeures, davantage que les hommes incarcérés », analyse Catherine Ménabé, maître de conférences habilitée à diriger des recherches à l’Université de Lorraine, lors d'une table ronde sur l'incarcération des femmes, à l'occasion d'un colloque organisé par les étudiants du master 2 Justice, procès et procédures de l’Université Paris II-Panthéon Assas, mercredi 26 mars. 

Céline Clément-Petremann, directrice conseil chez Vae Solis Communication et autrice de La prison vue de l’intérieur : regards et parole de ceux qui travaillent derrière les murs (2007, Albin Michel) se souvient des « regards vides des femmes aux parcours de vie que vous ne souhaiterez pas à votre pire ennemi », au centre pénitentiaire pour femmes de Rennes où elles purgent de longues peines. Dans cet établissement tenu longtemps par des religieuses, elles apprennent notamment à cuisiner des pommes de terre pour retrouver des gestes du quotidien.

Disparités géographiques

Bien que certaines soient condamnées à de nombreux mois derrière les barreaux, les femmes restent moins longtemps en prison que les hommes.  « Les femmes résistent au crime », clamait le juriste Robert Cario. En effet, le traitement judiciaire différencié dirige les femmes vers davantage d’aménagements de peine, et elles se retrouvent donc nécessairement moins en prison.

Résultat, on compte aujourd’hui près de 2 380 détenues pour 80 000 détenus. Cette proportion est relativement stable et n’a « jamais dépassé les 4 % des détenus depuis les cinquante dernières années », indique Bruno Clément-Petremann, directeur du centre pénitentiaire de Paris-la-Santé.

Un espoir, face à une population carcérale masculine en surnombre ? Pourtant, des difficultés subsistent. Le directeur détaille : « Le taux d’occupation féminine est de 115 % contre 130 % chez les hommes. » Un chiffre à nuancer en fonction des disparités sur le territoire, comme le rappelle la professeure de droit pénal : « Dans le sud de la France, les taux d’occupation des prisons pour femmes montent jusqu’à 213 % à Nîmes et 236 % à Perpignan. »

Peu de femmes condamnées, peu d’établissements pénitentiaires prêts à les accueillir : seuls 55 établissements le font sur les 190 en France. Les affectations ne s’effectuent donc pas nécessairement en maintenant les liens familiaux. « La plupart des établissements pour femmes sont situés dans le Nord de la France. Les femmes, majoritairement des mères de famille ayant la charge de leurs enfants, se retrouvent loin d’eux. Un préjudice à la fois pour leur insertion comme leur réinsertion dans la société », conclut Catherine Ménabé.

Des traitements réservés aux femmes détenues

Une fois réparties dans l’un des 55 centres pénitentiaires, centres de détention, maisons centrales ou établissements pénitentiaires pour mineures, les femmes constituent des détenues à part entière. De nombreux présupposés pourraient laisser entendre qu’elles seraient moins dangereuses, qu’elles dégraderaient moins leur cellule. Céline Clément-Petremann a elle-même constaté ces femmes « coquettes » qui avaient tenté de faire de leur cellule « un cocon » avec des objets « bien sentis ».

Pour autant, elle se rappelle également les maisons d’arrêts où les femmes devaient purger des plus petites peines ou étaient en détention provisoire, à Fleury-Mérogis et Fresnes : « Ce sont des cris, des femmes agressives entre elles parce qu’elles ont besoin de se faire leur place. » Finalement, la prison fonctionne « comme une micro-société organisée autour du travail, de l’argent, du sexe et de la religion ».

« Tout ce qui fonde la philosophie carcérale depuis 1945 repose sur des principes qui doivent s’appliquer exactement de la même manière aux hommes et aux femmes », théorise Bruno Clément-Petremann. Pourtant, face à des comportements et des vécus spécifiquement féminins, les traitements réservés aux femmes criminelles diffèrent. Par ailleurs, « il y a bien une spécificité de la prise en charge des femmes qui est prévue par le législateur. » Tout commence par des locaux séparés et une surveillance par des agents du même sexe. Alors que côté masculin, de nombreuses femmes sont des agents pénitentiaires. À la Santé, sur les 380 personnels de surveillance, 175 femmes travaillent au contact de criminels.

Autre différence majeure, les femmes incarcérées ont le droit de vivre avec leur enfant jusqu’à ses deux ans. Plusieurs cas se présentent : l’enfant peut les accompagner en détention, ou naître directement en prison. Le responsable de l’établissement carcéral parisien décrit ces trente-trois quartiers-nurserie : « Ce sont des endroits où elles peuvent vivre à part des autres femmes emprisonnées avec leur enfant jusqu’à deux ans. » Les nourrissons peuvent, si des accords existent avec les municipalités ou l’Aide sociale à l’enfance (ASE), être placés en crèche la journée afin de les sociabiliser et qu’ils ne soient pas enfermés 24h /24h. Le directeur de centre pénitencier s’interroge : « Pourquoi une femme aurait-elle le droit de vivre avec son enfant, mais pas le père ? »

De meilleurs soins en prison

En parallèle, les femmes sont prises en charge psychologiquement et physiquement. De récents rapports ont témoigné de la persistance des stéréotypes de genre dans les traitements et ont tenté de prendre en compte les particularités de ces femmes. Catherine Ménabé met en exergue le travail accompli pour un suivi médical somatique et psychique complet : « Des gynécologues sont présents régulièrement pour assurer la prévention de cancers ou l’accès à la contraception d’urgence ou à des interruptions volontaires de grossesse. »

Depuis 1994, les prisons signent des partenariats avec les hôpitaux proches et les médecins n’interviennent plus sous le contrôle de la Justice. À la Santé, ce sont les praticiens de l’hôpital Cochin qui interviennent derrière les barreaux. Son directeur se félicite : « L’accès au soin est parfois plus facile à l’intérieur qu’à l'extérieur d’une prison, nous prenons en charge médicalement les détenus dès le lendemain de leur arrivée. »

Si en septembre 2020, la Direction de l’administration pénitentiaire avait lancé une distribution mensuelle de protections hygiéniques gratuites, la précarité menstruelle carcérale reste présente et inégale. De manière générale, la spécialiste du droit souligne « une grande variation selon les territoires » : « Si un gynécologue vient deux heures par semaine dans un centre pénitentiaire, il peut recevoir 200 ou 20 femmes selon les unités. C’est très variable et dangereux pour des populations déjà précaires, sans recours pour une prise en charge à l’extérieur. »

Moins nombreuses, moins prises en compte

Une variabilité des traitements s’est, ainsi, systématisée dans l’incarcération féminine. Ces femmes criminelles sont sous-représentées. Or, c’est cette invisibilisation qui a conduit à un oubli collectif.

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