Article précédent


Quelques jours avant l’ouverture de la COP29, à Bakou, le Conseil d’État a retoqué le décret interdisant la vente au détail de fruits et légumes non transformés dans des emballages plastiques. De quoi soulager les industriels du secteur et provoquer l’inquiétude des ONG environnementales et de protection des consommateurs.
Le 20 juin 2023 était
acté le décret d’application interdisant dès le mois suivant la vente au détail
de fruits et légumes non transformés dans un emballage plastique. L’exception
était faite pour les produits conditionnés en lots de plus de 1,5 kg et pour
les marchandises fragiles. Ce décret était entré en application dans le cadre
de la loi Anti-gaspillage et économie circulaire (Agec), votée en février
2020. Cette dernière se compose de quatre chapitres : informer le
consommateur, lutter contre le gaspillage, favoriser la responsabilité des
producteurs et réduire l’impact environnemental du plastique. Ainsi, l’article
77 de la loi Agec interdit « l’exposition à la vente des fruits et
légumes conditionnés dans un emballage plastique » depuis le 1er
janvier 2022. Les pommes et les bananes, peu fragiles, sont concernées. Le
texte prévoit également la fin de la mise sur le marché des emballages en
plastique à usage unique d'ici à 2040. Le décret, acté en juin 2023, permettait
donc une mise en application de ce nouveau texte de loi.
Mais à la fin de l’année
2023, soit quelques mois après la parution de ce décret d’application, deux
associations professionnelles du secteur de la plasturgie saisissent le Conseil
d’État. En effet, Plastalliance et Elipso demandent l’annulation du décret en
dénonçant un « excès de pouvoir ». La haute juridiction
administrative a finalement rendu sa décision le 8 novembre dernier, en
annulant le décret. Les commerces de détail peuvent donc, à nouveau, vendre au
détail des fruits et des légumes non transformés de tout type, dans des
emballages plastiques.
Et cette annulation du décret
d’application n’est pas sans conséquence pour le secteur de la plasturgie qui
pèse lourd dans l’économie française. Selon un rapport publié en 2021 par
l’INSEE, la production d’emballage représentait 18,3 milliards d’euros, en
France, en 2019. 38% des emballages produits dans l’Hexagone étaient composés
de plastique. Au total, la filière de l’emballage plastique a généré quelque
6,9 milliards d’euros, en 2019. De plus, à l’échelle européenne, la France se
hisse sur le podium des plus gros producteurs d’emballages plastiques :
elle est le deuxième pays producteur et pèse, à elle seule, 15 % des
facturations européennes du secteur.
La récente décision du Conseil d’État n’est pas, non plus, sans conséquence sur le niveau de pollution plastique dans l’environnement. D’ailleurs, cette annulation survient quelques jours avant le début de la COP29, en Azerbaïdjan, mais également quelques semaines avant le début du cinquième et dernier Comité intergouvernemental de négociation (CIN-5), qui se tiendra en Corée du Sud, le 25 novembre prochain.
Dans le cadre des travaux engagés par l’Assemblée des Nations unies pour
l’environnement, l’objectif du comité sera d’élaborer un traité
international supprimant la pollution plastique en instaurant des normes
juridiquement contraignantes. « Nous comptons sur la France pour saisir
pleinement ce rendez-vous décisif et défendre une réduction de la production
plastique alignée sur l’accord de Paris, de 75% d'ici à 2050 », déclarait,
au début du mois de novembre, Muriel Papin, la déléguée générale de l’ONG No
Plastic In My Sea.
C’est dans ce contexte que, le 17 novembre, a été présenté le rapport « Impact des plastiques sur la santé humaine », de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), au Sénat, par le député et rapporteur Philippe Bolo. Et le rapport met en exergue une production mondiale de plastique en forte croissance : elle a doublé au cours des vingt dernières années et devrait dépasser les 500 millions de tonnes en 2024. « Convertis en film alimentaire, ces 500 millions de tonnes permettraient d’emballer 50 fois la France », illustrent les auteurs du rapport. Il est à noter que 32 % des plastiques utilisés le sont pour la fabrication d’emballages. Aussi, le rapport remarque une forte croissance du secteur, sans pour autant noter un développement conséquent du recyclage : « En 2018, sur les 3,6 millions de tonnes de déchets plastiques produits en France, seul 0,6 million de tonnes a été réellement recyclé (soit 17 %) ».
Dans un
autre rapport, celui de l’ADEME (l’Agence de l’environnement et de la maîtrise
de l’énergie), publié en avril 2024, on peut lire que les tonnages d’emballages
en plastique à usage unique mis sur le marché ont augmenté de 3,3% entre 2018
et 2021. « Cette tendance à la hausse ne suit donc pas la trajectoire
de réduction de 20% en tonnage fixée pour 2025 et ne va pas dans le sens de
l’objectif de fin de mise sur le marché des emballages en plastique à usage
unique en 2040, prévu par la loi Agec », ajoute l’ADEME.
Et si cette intense
production inquiète, c’est parce que la surface du plastique s’érode, avant de
se transformer en micro et nanoparticules qui se répandent dans
l’environnement. Les conséquences sont désastreuses, tant pour la nature
que pour la santé humaine. En effet, les nanoparticules de plastique
« sont susceptibles de traverser la barrière intestinale et d’entrer dans
la circulation sanguine pour atteindre des organes secondaires »,
expliquent les membres de l’OPECST. Ils ajoutent que « des corrélations
inquiétantes entre la présence de plastiques et l’altération de certains
organes et de leurs fonctions, voire l’apparition de pathologies » ont
été observées au niveau de l’appareil digestif, du cerveau et des poumons.
Ainsi, « une augmentation du cancer de l’estomac pourrait être
également due à la déglutition des particules inhalées », tout comme
une augmentation des risques d’infarctus du myocarde.
Face à un tel constat préoccupant, le gouvernement français avait publié un premier décret d’application, relatif à la loi Agec, en octobre 2021. Celui-ci prévoyait une interdiction des emballages plastiques des fruits et légumes, tout en réduisant progressivement la liste des produits autorisés à la vente sous ces emballages. Mais un premier contentieux avait été ouvert par les syndicats Plastalliance, Polyvia, Elipso et par une partie de la filière de production de fruits et légumes. Le Conseil d’État l’avait finalement jugé « illégal », avant de l’annuler, le 9 décembre 2022. La haute juridiction administrative avait considéré, d’une part, que la loi Agec n’envisageait pas, dans sa rédaction, la possibilité de mettre en place un calendrier pour une interdiction progressive des emballages plastiques. D’autre part, elle avait considéré que la liste des exemptions incluait des produits « ne présentant pas de risque de détérioration lors de leur vente en vrac ». Non découragés, les ministres de la Transition écologique et de l’Agriculture avaient alors déclaré : « Un nouveau décret sera republié au plus vite pour maintenir l’interdiction d'emballage plastique de fruits et légumes du quotidien pouvant être vendus en vrac sans enjeu de fragilité. »
Ce « nouveau
décret » a donc vu le jour le 20 juin 2023, en prenant en compte les précédentes
remarques du Conseil d’État : le nombre de produits exemptés était plus
restreint et l’interdiction n’était plus progressive (même si elle laissait le
temps aux industriels d’écouler leurs stocks). Le décret prévoyait ainsi une
interdiction totale, sauf pour les produits exemptés, des emballages plastiques
des fruits et légumes non transformés, à partir du 1er janvier 2024.
Des prérogatives qui, selon le ministère de la Transition écologique, ont
permis « une réduction d'environ 25 % des emballages plastiques de
fruits et légumes frais entre 2021 et 2023 ».
Comme l’exige le processus
communautaire, le gouvernement avait fait part de son projet de décret à la
Commission européenne, en décembre 2022. Cette dernière lui avait demandé de
reporter son adoption, au moins jusqu’au 15 décembre 2023. En effet, Bruxelles
avait rappelé qu’une proposition de règlement sur l’usage des emballages
plastiques avait été déposée en novembre 2022, dans le cadre de son « Pacte
vert pour l’Europe » et était en cours de négociation. Par cette
demande, Bruxelles souhaitait s’assurer que les normes des pays membres en la
matière demeurent harmonisées, permettant notamment d’ériger un garde-fou
contre le risque de pratiques anticoncurrentielles entre les 27. Mais malgré la
demande de report de la Commission européenne, le gouvernement a publié son
second décret, six mois trop tôt. Pour ces raisons, qualifiées de « vice
substantiel », le Conseil d’État a annulé, une seconde fois, le décret
relatif à l’emballage plastique des fruits et légumes. En revanche, le
législateur pourra prendre un nouveau décret d’application, tout en suivant le
même processus : le notifier auprès de Bruxelles et « respecter les
délais imposés par le droit de l’Union européenne avant de l’adopter »,
a précisé la haute juridiction administrative.
Une seconde annulation
provoquant de vives réactions
Du côté d’Elipso, l’heure a
été au soulagement, après cette décision. Gaël Bouquet, le directeur général du
syndicat, déclarait à l’AFP : « On se satisfait de la décision,
mais il y a sujet d’atermoiement de l’administration sur la rédaction de ses
textes ». Il a ajouté que « la situation générale crée de
l’incertitude, or les industriels ont besoin d’une base solide ».
Aussi, dans un communiqué, le directeur général a expliqué qu’il souhaitait « vivement »
que l’administration « puisse associer plus étroitement Elipso dans
l’élaboration de ses décisions, de façon à assurer la lisibilité règlementaire ».
Le syndicat Plastalliance a, quant à lui, annoncé vouloir saisir la
justice, au cours des prochaines semaines, estimant que les interdictions du
décret ont provoqué un préjudice financier important. Selon le syndicat, le
décret aurait coûté « plusieurs millions d’euros » à ses
membres.
Pour les ONG de défense de
l'environnement et des consommateurs, c’est la douche froide. « Ce
n’est pas gagné… Même pour une mesure aussi évidente que la fin du plastique
pour emballer des fruits et légumes qui n’en ont pas besoin, le gouvernement
doit s’y prendre à plusieurs reprises », s’exclamaient les membres de
l’association UFC-Que choisir. Aussi, dans un article publié le 13 novembre
dernier, l’association Zéro Waste France écrivait : « C’est la seconde
annulation d’un décret venant préciser cette loi (ndlr : la loi Agec), au
détriment de la planète et de la santé humaine ». L'association dénonçait
« l’inaction de la grande distribution pour réduire son impact sur
l’environnement et la santé des consommateurs et consommatrices »,
avant de préciser que « 62% des Français souhaiteraient plus de
produits en vrac ». En attendant, le règlement européen en cours
prévoit un volet sur la lutte contre l’augmentation des déchets et pour
l’encouragement de l’économie circulaire. L’Union européenne compte interdire
les emballages en plastique à usage unique des fruits et légumes non
transformés à partir du 1er janvier 2030. Mais le Conseil européen
doit encore approuver officiellement ce nouveau règlement, avant qu’il n’entre
en vigueur.
Inès
Guiza
Infos locales, analyses et enquêtes : restez informé(e) sans limite.
Recevez gratuitement un concentré d’actualité chaque semaine.
0 Commentaire
Laisser un commentaire
Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *