Article précédent

Si
le texte n’a pas réellement changé la donne pour restreindre l’irresponsabilité
pénale en cas de trouble mental résultant de la consommation de produits
psychoactifs, il risque en revanche d’avoir des incidences sur la durée des
instructions et des enquêtes, préviennent les spécialistes intervenus lors
d’une table ronde au Conseil national des barreaux.
Face
à l’émotion suscitée chez une partie de la société civile par l’absence de
procès dans l’affaire Halimi, la loi du 24 janvier 2022, commandée par Emmanuel
Macron, est venue limiter l’irresponsabilité pénale en cas de trouble mental
résultant de la consommation de produits psychoactifs. Le 20 octobre dernier,
un colloque organisé par l’École nationale de la magistrature et la Compagnie
nationale des experts médecins de justice, en partenariat avec le Conseil
national des barreaux, a consacré une table ronde à l’origine et aux incidences
de ce texte. « Quand le pouvoir est démuni, il prend une loi. C’est un
fonctionnement auquel on sera de plus en plus confrontés », observe à cette
occasion l’avocat Jérôme Dirou, ancien bâtonnier du barreau de Bordeaux.
Devant
l’incompréhension, « légiférer, c’est agir »
Pour
rappel, en avril 2021, la Cour de cassation avait confirmé la décision
judiciaire qui déclarait Kobili Traoré irresponsable pénalement du meurtre de
la sexagénaire juive Sarah Halimi, à Paris, en 2017, en raison d’une bouffée
délirante aiguë à la suite d’une forte consommation de cannabis. Dans cette
affaire, la colère et l’incompréhension ont été fortes du côté de l’opinion
publique, car « la société a besoin d’avoir un responsable, un puni. Le
procès permet à chacun d’exprimer son ressenti – le rôle de l’audience tend à
prendre cette dimension », estime Valérie Dervieux, présidente de chambre
de l’instruction à la cour d’appel de Paris. Pour le psychiatre et expert
honoraire Jean-Claude Pénochet, un élément a particulièrement mis le feu aux
poudres : les juridictions ont retenu que le meurtrier était antisémite mais
qu’il était aboli dans son discernement, ce qui n’est pas forcément « lisible
ni compréhensible » par les citoyens. « Comment le meurtrier peut-il
être l’un et l’autre à la fois ; sachant qu’être antisémite, c’est avoir une
construction de sa haine dirigée ? » Le psychiatre juge que ce paradoxe a
été mal expliqué. Autre point de tension, les positions différenciées des
experts sur la notion d’altération ou d’abolition du discernement ont elles
aussi nourri un scepticisme important. « Que des experts puissent ne pas
être d’accord est compliqué à entendre », souligne Jean-Claude Pénochet. «
S’il y avait eu unanimité sur l’abolition du discernement, peut-être que
l’affaire aurait moins enflé », remarque-t-il.
En
réaction à la décision de la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire, 25
000 manifestants avaient réclamé justice en France : quelques jours plus tard,
le gouvernement annonçait un projet de nouvelle loi sur l’irresponsabilité
pénale, faisant fi des conclusions du rapport Belloubet, lequel indiquait qu’il
n’était pas nécessaire de modifier le Code pénal. Pour Valérie Dervieux,
l’exécutif a choisi de faire évoluer la loi « car légiférer, c’est agir. On
ne se demande qu’après comment mettre en exécution », affirme la magistrate.
De son côté, l’avocat Boris Kessel, vice-président de la commission Libertés et
droits de l’Homme au CNB, estime qu’il ne s’agit pas seulement d’un instrument
politique, mais qu’il y avait « une nécessité de clarifier » : «
L’affaire est remontée jusqu’à la Cour de cassation, qui a rendu un communiqué
pour expliciter sa décision, interprété comme appel du pied au législateur pour
prendre position. » Par ailleurs, l’avocat considère qu’il y a eu « un
vrai travail de fond », le rapport Houillon sur le projet de loi ayant été
rendu après 18 mois de travaux.
Une
loi circonscrite à des cas d’école
Quant
au contenu même du texte, Boris Kessel propose de le décortiquer. Il précise
que l’article 122-1 du Code pénal, qui consacre la double possibilité
d’abolition du discernement ou de l’altération, n’a pas été modifié, mais que
sont venus s’adjoindre deux articles introduisant des restrictions à
l’irresponsabilité pénale. Le nouvel article 122-1-1 concerne ainsi l’abolition
et indique que pour qu’exception soit faite à l’irresponsabilité, il faut une
consommation de « substance psychoactive » – toutefois, il n’en donne
pas de définition, laissant se référer aux textes internationaux –, une
ingestion de cette substance dans un « temps très voisin de l’action » –
notion que, là encore, la loi ne définit pas, mais que l’on retrouve dans le
Code de procédure pénale, appliquée à l’enquête de flagrance –, une abolition
temporaire du discernement, une causalité entre la consommation de substances
et l’abolition, et, critère « original », commente Boris Kessel, ces
substances doivent avoir été consommées « volontairement et dans le dessein
de commettre l’infraction ou de la faciliter ». C’est finalement le cas de
figure où une personne a pris une substance illicite pour se « donner du
courage » et passer à l’acte. « Je n’ai pas connaissance, dans la
jurisprudence, de juges qui se sont posé la question de comment condamner dans
cette hypothèse », nuance toutefois l’avocat, qui parle de pur « cas
d’école ». À son sens, « le texte est ici circonscrit à des cas
extrêmement réduits. On voit peu comment il pourrait recevoir une application.»
Deuxième
limite, le nouvel article 122-1-2 porte pour sa part sur l’altération du
discernement. On y retrouve la nécessité d’une altération temporaire, d’une
consommation volontaire de substances, mais disparaît la finalité (« dans le
dessein de »), examine l’avocat. « Ici, un simple lien de causalité
suffit. On imagine qu’on peut avoir plus souvent recours à cet article, mais
nous sommes uniquement sur l’altération ». Par ailleurs, la consommation
doit avoir été faite de façon illicite ou manifestement excessive, cependant,
aucun seuil n’est précisé : ce sera donc au juge de statuer, fait remarquer
Boris Kessel. Selon lui, se pose notamment la question des consommations
modérées mais aux conséquences disproportionnées du fait de la physiologie des
individus : là encore, le magistrat devra trancher.
Du
flou dans les nouveaux délits d’intoxication volontaire
«
Le recours à ces articles sera donc très limité, augure Boris Kessel. Le
législateur en avait conscience car il a créé de nouvelles infractions qui
viennent réprimer non une infraction finale mais la prise de produits à
l’origine de l’abolition du discernement qui conduit l’auteur à réaliser une
infraction. » En effet, le chapitre relatif aux atteintes à
la vie est dorénavant assorti d’une section 1 bis intitulée « De l’atteinte
à la vie résultant d’une intoxication volontaire » contenant trois nouveaux
délits d’intoxication volontaire, expression que l’avocat juge «
intéressante dans le Code pénal ». Ces textes répriment « le fait pour
une personne d’avoir consommé volontairement, de façon illicite ou
manifestement excessive, des substances psychoactives en ayant connaissance du
fait que cette consommation est susceptible de la conduire à mettre
délibérément autrui en danger, lorsque cette consommation a entraîné un trouble
psychique ou neuropsychique temporaire sous l’empire duquel elle a commis »
un homicide volontaire, ou des tortures et actes de barbarie ou des violences
volontaires, ou un viol.
THÉMATIQUES ASSOCIÉES
Infos locales, analyses et enquêtes : restez informé(e) sans limite.
Recevez gratuitement un concentré d’actualité chaque semaine.
0 Commentaire
Laisser un commentaire
Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *