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Invités
par l’Association française pour l’avancement des sciences (AFAS), Claude
Monneret, directeur de recherche émérite du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), et Caroline Victorri-Vigneau, professeure des
universités-praticien hospitalier, responsable du Centre nantais d’addictovigilance,
se sont exprimés sur le protoxyde d’azote. Les caractéristiques de ce gaz
apportent en médecine une aide qualitative incontestable. Indépendamment, son
détournement récréatif s’apparente à un fléau de santé publique.
Découvert
par Humphrey Davy (1778-1828), le protoxyde d’azote (N²O) a mis longtemps à
s’imposer dans l’univers hospitalier. Connu au XIXe siècle
sous le nom de gaz hilarant, il a eu une première carrière dans l’industrie du
divertissement, particulièrement aux États-Unis. En réalité, le rire qu’il
provoque par inhalation est dû à une hypoxie aiguë transitoire conséquente à
l’administration du produit pur, précise le directeur de recherche émérite du
CNRS Claude Monneret. Ce gaz sert de nos jours en médecine pour ses qualités
anesthésiques et analgésiques. Incolore et inodore, c’est également un
propulseur utile à l’art culinaire. Il est librement commercialisé sous forme
de cartouches ou de bonbonnes. Le E942 – son nom selon la nomenclature des
additifs alimentaires – sert principalement de propulseur dans les siphons
de cuisine. En médecine, il est employé comme anesthésique de courte durée en
unité de chirurgie et d’urgence, notamment en pédiatrie où il est associé à
l’oxygène (dans un mélange tant pour tant) sous le nom de MEOPA. Ce médicament
fait partie de la liste 1 des substances vénéneuses et suit une partie de
la réglementation des stupéfiants. Pourtant, en tant qu’additif alimentaire, le
N²O pur
est disponible dans les supermarchés ou sur Internet sans restriction, s’étonne
le directeur de recherche.
La
professeur Caroline Victorri-Vigneau indique que le Centre d’addictovigilance
des Pays de la Loire est responsable de la surveillance du protoxyde d’azote.
En France, deux vigilances sanitaires opèrent : la pharmacovigilance, qui relève les
effets indésirables des médicaments, et l’addictovigilance, qui évalue le potentiel d’abus et de dépendance des
médicaments, mais aussi des autres substances. La mission d’un centre
d’addictovigilance pourrait se résumer à quelques points : le produit considéré a-t-il un potentiel
d’excès ?
Quel est le risque ?
Comment le prévenir en santé publique ?
Ses analyses reposent sur la collecte directe d’informations recueillies sous
forme de déclarations (notifications spontanées) obligatoires pour les
professionnels de santé des cas constatés dans le cadre de l’exercice de leur
métier. Ce formulaire comporte tous les items de la définition officielle de la
dépendance. La responsable souligne qu’en addictovigilance, le patient ne se
plaint pas nécessairement. Son comportement éventuellement occulté, tant qu’il
n’admet pas son problème, ne facilite pas le recueil des données. C’est
pourquoi, complémentairement aux déclarations, ont été développés des outils
épidémiologiques qui établissent une vision indirecte par différents
indicateurs significatifs des phénomènes addictifs. En France, chaque centre
enregistre les informations pour sa région, leur ensemble fournissant une cartographie
nationale.
Le premier outil épidémiologique des
centres d’addictovigilance est la surveillance des ordonnances falsifiées. 10 % des officines de pharmacie du territoire
collectent de fausses ordonnances qui leur sont présentées. Les médicaments
présents sont détournés. Des enquêtes de terrain sont également diligentées
auprès des usagers pharmaco-dépendants dans les centres de soins pour
toxicomanes. De plus, les décès liés à l’utilisation de médicaments ou d’autres
substances sont pris en compte, ainsi que la soumission chimique obtenue par
administration à l’insu de la victime, ou encore l’utilisation de produits à
dessein délictueux. Enfin, les centres d’addictovigilance scrutent en
permanence l’émergence de comportements inédits en la matière (rave party,
discothèque…). Caroline Victorri-Vigneau estime que la circulation des produits
fait partie des éléments fondamentaux à connaître pour comprendre l’ensemble du
problème.
Par
ailleurs, les centres d’addictovigilance informent les professionnels de santé
sur les produits susceptibles d’entraîner des pharmaco dépendances. Ils
répondent également aux interrogations des autorités telles l’Agence nationale
du médicament (ANSM) et mènent éventuellement les enquêtes nécessaires. Sur les
questions mal connues, des protocoles de recherche sont mis en place. Notre
pays compte 13 centres d’addictovigilance qui couvrent l’intégralité du
territoire et multiplient les partenariats avec les médecins, les pharmaciens,
les magistrats…
Indicateurs de dépendance
Pour beaucoup, la dépendance se définit comme la perte
de la liberté de s’abstenir. Dans le DSM (le manuel diagnostique et statistique
des troubles mentaux), la dépendance est évaluée selon différents types de
critères. D’abord, ceux pharmacologiques montrent qu’un sujet qui prend une
quantité constante ne ressent plus d’effet après un certain temps parce qu’il
devient tolérant. En conséquence, il augmente la dose par prise. A contrario,
l’arrêt d’absorption provoque des signes de manque, c’est le sevrage. Ensuite,
la compulsion occupe une place centrale. Elle se caractérise par
l’impossibilité de maîtriser sa consommation (un médicament est pris au-delà de
la durée et de la dose prévue). Derniers critères, la dépendance entraîne des
conséquences dommageables. Le temps est déraisonnablement consacré à se
fournir, à prendre et enfin à récupérer. À ce stade, l’individu se désocialise.
Il perd amis, emploi, etc. Il est conscient de subir des dommages physiques et
psychiques, il désire arrêter, mais il continue.
Selon le produit consommé, la
dépendance est très pharmacologique (héroïne, benzodiazépines), très psychique
(cocaïne)… les centres regroupent des pharmacologues qui décrivent les
comportements pour chaque substance et avancent des voies d’amélioration en
termes de santé publique. L’ANSM coordonne et finance leur action. Distincte
des services d’addictologie et de la pharmacovigilance, l’addictovigilance se
concentre sur l’utilisation anormale des produits.
En
France, la pharmacodépendance est un problème de santé publique important,
rappelle Caroline Victorri-Vigneau. Les Français se situent parmi les champions
des consommateurs de psychotropes, de benzodiazépines, de cannabis. Les
benzodiazépines, par exemple, occasionnent divers asservissements. Identifier
leur degré de sûreté permet d’émettre des recommandations. Les centres
d’addictovigilance scrutent également l’émergence de nouvelles tendances, de
nouveaux produits. Ils assument « une veille des addictions ».
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