L’AFAS dévoile les vices et vertus du protoxyde d’azote (N²O)


jeudi 31 mars 20224 min
Écouter l'article

Invités par l’Association française pour l’avancement des sciences (AFAS), Claude Monneret, directeur de recherche émérite du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), et Caroline Victorri-Vigneau, professeure des universités-praticien hospitalier, responsable du Centre nantais d’addictovigilance, se sont exprimés sur le protoxyde d’azote. Les caractéristiques de ce gaz apportent en médecine une aide qualitative incontestable. Indépendamment, son détournement récréatif s’apparente à un fléau de santé publique.

 

 

 


Découvert par Humphrey Davy (1778-1828), le protoxyde d’azote (N²O) a mis longtemps à s’imposer dans l’univers hospitalier. Connu au XIXe siècle sous le nom de gaz hilarant, il a eu une première carrière dans l’industrie du divertissement, particulièrement aux États-Unis. En réalité, le rire qu’il provoque par inhalation est dû à une hypoxie aiguë transitoire conséquente à l’administration du produit pur, précise le directeur de recherche émérite du CNRS Claude Monneret. Ce gaz sert de nos jours en médecine pour ses qualités anesthésiques et analgésiques. Incolore et inodore, c’est également un propulseur utile à l’art culinaire. Il est librement commercialisé sous forme de cartouches ou de bonbonnes. Le E942 – son nom selon la nomenclature des additifs alimentaires – sert principalement de propulseur dans les siphons de cuisine. En médecine, il est employé comme anesthésique de courte durée en unité de chirurgie et d’urgence, notamment en pédiatrie où il est associé à l’oxygène (dans un mélange tant pour tant) sous le nom de MEOPA. Ce médicament fait partie de la liste 1 des substances vénéneuses et suit une partie de la réglementation des stupéfiants. Pourtant, en tant qu’additif alimentaire, le N²O pur est disponible dans les supermarchés ou sur Internet sans restriction, s’étonne le directeur de recherche.

 

 


Mission d’addictovigilance

La professeur Caroline Victorri-Vigneau indique que le Centre d’addictovigilance des Pays de la Loire est responsable de la surveillance du protoxyde d’azote. En France, deux vigilances sanitaires opèrent : la pharmacovigilance, qui relève les effets indésirables des médicaments, et l’addictovigilance, qui évalue le potentiel d’abus et de dépendance des médicaments, mais aussi des autres substances. La mission d’un centre d’addictovigilance pourrait se résumer à quelques points : le produit considéré a-t-il un potentiel d’excès ? Quel est le risque ? Comment le prévenir en santé publique ? Ses analyses reposent sur la collecte directe d’informations recueillies sous forme de déclarations (notifications spontanées) obligatoires pour les professionnels de santé des cas constatés dans le cadre de l’exercice de leur métier. Ce formulaire comporte tous les items de la définition officielle de la dépendance. La responsable souligne qu’en addictovigilance, le patient ne se plaint pas nécessairement. Son comportement éventuellement occulté, tant qu’il n’admet pas son problème, ne facilite pas le recueil des données. C’est pourquoi, complémentairement aux déclarations, ont été développés des outils épidémiologiques qui établissent une vision indirecte par différents indicateurs significatifs des phénomènes addictifs. En France, chaque centre enregistre les informations pour sa région, leur ensemble fournissant une cartographie nationale.

Le premier outil épidémiologique des centres d’addictovigilance est la surveillance des ordonnances falsifiées. 10 % des officines de pharmacie du territoire collectent de fausses ordonnances qui leur sont présentées. Les médicaments présents sont détournés. Des enquêtes de terrain sont également diligentées auprès des usagers pharmaco-dépendants dans les centres de soins pour toxicomanes. De plus, les décès liés à l’utilisation de médicaments ou d’autres substances sont pris en compte, ainsi que la soumission chimique obtenue par administration à l’insu de la victime, ou encore l’utilisation de produits à dessein délictueux. Enfin, les centres d’addictovigilance scrutent en permanence l’émergence de comportements inédits en la matière (rave party, discothèque…). Caroline Victorri-Vigneau estime que la circulation des produits fait partie des éléments fondamentaux à connaître pour comprendre l’ensemble du problème.

Par ailleurs, les centres d’addictovigilance informent les professionnels de santé sur les produits susceptibles d’entraîner des pharmaco dépendances. Ils répondent également aux interrogations des autorités telles l’Agence nationale du médicament (ANSM) et mènent éventuellement les enquêtes nécessaires. Sur les questions mal connues, des protocoles de recherche sont mis en place. Notre pays compte 13 centres d’addictovigilance qui couvrent l’intégralité du territoire et multiplient les partenariats avec les médecins, les pharmaciens, les magistrats…

 

 


Indicateurs de dépendance

Pour beaucoup, la dépendance se définit comme la perte de la liberté de s’abstenir. Dans le DSM (le manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux), la dépendance est évaluée selon différents types de critères. D’abord, ceux pharmacologiques montrent qu’un sujet qui prend une quantité constante ne ressent plus d’effet après un certain temps parce qu’il devient tolérant. En conséquence, il augmente la dose par prise. A contrario, l’arrêt d’absorption provoque des signes de manque, c’est le sevrage. Ensuite, la compulsion occupe une place centrale. Elle se caractérise par l’impossibilité de maîtriser sa consommation (un médicament est pris au-delà de la durée et de la dose prévue). Derniers critères, la dépendance entraîne des conséquences dommageables. Le temps est déraisonnablement consacré à se fournir, à prendre et enfin à récupérer. À ce stade, l’individu se désocialise. Il perd amis, emploi, etc. Il est conscient de subir des dommages physiques et psychiques, il désire arrêter, mais il continue.

Selon le produit consommé, la dépendance est très pharmacologique (héroïne, benzodiazépines), très psychique (cocaïne)… les centres regroupent des pharmacologues qui décrivent les comportements pour chaque substance et avancent des voies d’amélioration en termes de santé publique. L’ANSM coordonne et finance leur action. Distincte des services d’addictologie et de la pharmacovigilance, l’addictovigilance se concentre sur l’utilisation anormale des produits.

En France, la pharmacodépendance est un problème de santé publique important, rappelle Caroline Victorri-Vigneau. Les Français se situent parmi les champions des consommateurs de psychotropes, de benzodiazépines, de cannabis. Les benzodiazépines, par exemple, occasionnent divers asservissements. Identifier leur degré de sûreté permet d’émettre des recommandations. Les centres d’addictovigilance scrutent également l’émergence de nouvelles tendances, de nouveaux produits. Ils assument « une veille des addictions ».

 

 



Partager l'article


0 Commentaire

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Abonnez-vous à la Newsletter !

Recevez gratuitement un concentré d’actualité chaque semaine.