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Ce phénomène désormais endémique est devenu au fil des ans un véritable problème de santé publique qui n’est absolument plus marginal. L’organisation mondiale de la santé (OMS) ne cesse de tirer le signal d’alarme. En France, les autorités sanitaires en font de même et prennent des mesures qui gagneraient sans doute à être plus contraignantes.
On en parle souvent, mais on
ne sait pas toujours précisément de quoi il retourne : comme le rappelle
l’Inserm, « les antibiotiques sont des molécules naturellement synthétisées
par des microorganismes pour lutter contre des bactéries concurrentes présentes
dans leur environnement ». Ce qui signifie qu’ils sont totalement
inopérants contre les virus et autres champignons.
Il en existe en outre de plusieurs sortes : les antibiotiques naturels, semi-synthétiques ou de synthèse ; ceux qui s’attaquent spécifiquement à une bactérie ou à un groupe de bactéries par différents mécanismes d’action. À mesure que la science a progressé, leur utilisation, en médecine humaine comme vétérinaire, a conduit au développement de plusieurs familles : celles qui visent à éradiquer des entérobactéries comme Escherichia coli localisées dans les voies digestives et urinaires ou les pneumocoques tels Haemophilus influenzae dans les voies respiratoires ou encore, celles qui s’attaquent aux staphylocoques ou aux streptocoques présents au niveau de la peau ou de la sphère ORL.
Dans tous les
cas, le principe d’action est le même : « s’opposer à la croissance des
bactéries en inhibant la synthèse de leur paroi, de leur matériel génétique
(ADN ou ARN), des protéines qui leur sont essentielles ou encore, en bloquant
certaines voies de leur métabolisme. Pour cela, les antibiotiques se fixent sur
des cibles spécifiques », explique l’Inserm.
Nous serions dans un monde idéal si cela fonctionnait à coup sûr. Parfois, ce n’est pas le cas et ce n’est pas la faute de l’Homme. C’est, simplement, la bactérie qui est naturellement résistante à un ou plusieurs antibiotiques, notamment si elle présente des gènes particuliers générant un mécanisme d’autodéfense. Mais, le plus souvent, l’antibiorésistance est le fruit de l’action de l’Homme. C’est que les antibiotiques ont été victimes de leur succès.
« Leur efficacité remarquable
contre les infections bactériennes a motivé leur utilisation massive et répétée
en santé humaine et animale. Cet usage immodéré d’antimicrobiens a créé une
pression de sélection sur les populations bactériennes et entraîné l’apparition
de souches résistantes », décrypte l’Inserm. Pourquoi ? Parce que «
lorsque l’on emploie un antibiotique, seules les bactéries dotées de systèmes
de défense contre cette molécule survivent et se reproduisent. Et lorsqu’elles
transmettent leurs mécanismes de résistance à d’autres bactéries jusque-là
sensibles au médicament - par transfert des gènes associés à ces mécanismes -,
le phénomène de résistance est amplifié. » Logique.
Outre un recours trop
systématique à ce type de traitement, il arrive que celui-ci soit infondé ou
non pertinent. « En France, on estime que dans un tiers des cas, il n’aurait
pas fallu administrer d’antibiotique ; que dans un autre tiers, l’antibiotique
prescrit n’était pas le bon ; enfin, que dans le dernier tiers, il fallait bien
un antibiotique et que c’est le bon qui a été prescrit », confirme le
Professeur Olivier Barraud, microbiologiste au CHU de Limoges.
Le cas d’école est l’angine :
le plus souvent, celle-ci est virale, mais les médecins généralistes
n’effectuent pas assez le Test rapide d’orientation diagnostique (Trod) pour
s’en assurer et ils prescrivent un antibiotique dans l’hypothèse, pourtant moins
fréquente, où elle serait d’origine bactérienne. De mauvaises pratiques qui
font qu’aujourd’hui, il commence sérieusement à y avoir péril en la demeure. «
Certaines souches de bactéries pathogènes pour l’humain sont d’ores et déjà
multirésistantes, c’est-à-dire résistantes à plusieurs antibiotiques. D’autres
sont même devenues toto-résistantes, c’est-à-dire résistantes à quasiment tous
les antibiotiques disponibles. Ce phénomène est en augmentation constante et
place les médecins dans une impasse thérapeutique : dans une telle situation,
ils ne disposent plus d’aucune solution pour lutter contre l’infection. Le
problème est devenu mondial et préoccupant », assure l’Inserm.
On citera notamment l’émergence de souches d’entérobactéries productrices de carbapénèmases (EPC). Ces enzymes détruisent les carbapénèmes, les antibiotiques utilisés en dernier recours dans les situations cliniques les plus graves. Conséquence prévisible : la diffusion des EPC favorise l’apparition d’infections face auxquelles le corps médical se trouve en situation d’impasse thérapeutique. Et, en France, la fréquence de ces dernières « progresse chaque année dans les établissements de santé et semble aussi circuler à bas bruit en ville et en établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) », note l’Inserm.
De
fait, l’Hexagone n’est point une référence. « Au global, nous sommes de
moins mauvais élèves qu’il y a quelques années, mais nous restons de mauvais
élèves. En médecine humaine, nous figurons toujours dans le top cinq des pays
européens les plus consommateurs d’antibiotiques », pointe le Professeur
Barraud. Qui refuse toutefois de verser dans le catastrophisme : «
Aujourd’hui, je ne pense pas qu’en France, il y ait des personnes que l’on ne
puisse pas soigner parce qu’elles résisteraient à tous les antibiotiques. Il
existe encore des alternatives. Néanmoins, nous sommes parfois amenés à
utiliser les dernières antibiothérapies disponibles. En outre, se pose la
question d’une rupture de stocks d’antibiotiques très puissants dans la mesure
où le nombre d’usines qui les fabriquent dans le monde est assez réduit. Il
suffit que l’une d’elles ait un problème majeur pour que la production mondiale
s’en trouve fortement impactée. »
Dans ces conditions, comment changer la donne ? Tout d’abord, en modifiant les comportements prescriptifs. « Il est essentiel que les cliniciens se documentent régulièrement pour savoir quelle bactérie est dominante pour telle pathologie, dans tel pays et dans tel contexte (en ville ou à l’hôpital). Par ailleurs, ils doivent suivre de manière régulière les recommandations des sociétés savantes comme celle des infectiologues (la Société de pathologie infectieuse de langue française - Spilf). Elles précisent, en effet, pour quel antibiotique il convient d’opter en première intention dans chaque situation », suggère Olivier Barraud.
Autre tendance délétère à laquelle il convient de mettre fin, le fait d’opter pour un antibiotique certes efficace, mais au spectre d’activité trop large. Ce qui revient à tuer une mouche avec un bazooka ! « C’est pourquoi, aujourd’hui, on s’efforce d’opter pour des antibiotiques dont le spectre est vraiment ciblé sur la bactérie responsable de la pathologie, de façon à préserver le microbiote et à ne pas tuer d’autres bactéries qui n’ont pas à l’être », insiste le Pr Barraud. Toujours est-il que pour éradiquer ce fléau, les pouvoirs publics versent essentiellement dans l’incitatif et non dans l’obligatoire.
Tel est l’esprit de la Stratégie nationale 2022-2025 de
prévention des infections et de l’antibiorésistance. Parmi les neuf axes
qu’elle comporte, figurent notamment, comme on pouvait s’y attendre et dans un
souci de pédagogie, « l’appropriation par le grand public des principes de
la prévention des infections et de l’antibiorésistance », « le
renforcement du maillage territorial de la prévention et du contrôle de
l’infection et du bon usage des antibiotiques » ou encore, « le
renforcement de la prévention des infections et de l’antibiorésistance auprès
des professionnels de santé tout au long du parcours de santé du patient ».
Et ce, afin de les inciter à appliquer et à promouvoir les mesures de
prévention des infections et de l’antibiorésistance ainsi qu’au bon usage des
antibiotiques.
Et puis rien ne vaut la
sacrosainte main de fer dans un gant de velours des tutelles. Ce qui fait dire
à Olivier Barraud que même si beaucoup de praticiens sont conscients de la
situation et qu’il convient de poursuivre leur sensibilisation, «
l’Assurance-maladie pourrait, grâce aux données qui sont en sa possession,
surveiller les plus importants prescripteurs d’antibiotiques pour, ensuite,
aller vers eux et les inciter à modifier leurs pratiques ». Enfin, la
possibilité de rendre obligatoires certains Trod - pour les angines et les
cystites - n’est pas incongrue, sachant que cela aurait, au demeurant, un coût
économique qu’il est incontournable d’évaluer.
Un début de coercition qui paraît loin d’être infondé quand on sait que,
d’après une étude du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies,
en France, les infections à bactéries résistantes touchent plus de 120 000
personnes par an et sont associées à plus de 5 500 décès. Et les
prévisions ne sont guère rassurantes puisque l’on estime que d’ici à 2050, ce
seront 238 000 personnes qui mourront des suites de l’antibiorésistance.
Sans compter l’aspect sonnant et trébuchant. Ainsi évalue-t-on qu’il y a dix
ans déjà, soit en 2015, l’antibiorésistance aurait entraîné un coût global de
109,3 millions d’euros pour notre système de santé.
De même, d’après l’Agence nationale de sécurité du médicament et des
produits de santé (ANSM), la surconsommation d’antibiotiques en France engendre
des dépenses supplémentaires de santé supérieures de plusieurs centaines de
millions d’euros comparées aux autres pays européens. Pour autant, les
chercheurs se mobilisent pour trouver de nouvelles pistes et éviter de se
retrouver dans un cul-de-sac thérapeutique.
La première vise à mettre au point de nouveaux antibiotiques, quand bien
même ce marché est-il, pour les laboratoires, forcément moins rentable que
celui de médicaments prescrits au long cours. En particulier des antibiotiques
dits de cheval de Troie « qui permettent le transport des nutriments à
l’intérieur des bactéries pour y faire entrer des antibiotiques auxquels les
bactéries sont normalement résistantes », détaille l’Inserm. Il serait
aussi possible d’utiliser des molécules qui inhibent l’action des enzymes
produites par certaines bactéries et à l’origine de leur résistance aux
antibiotiques ; ou encore, des anticorps monoclonaux qui ciblent les facteurs
de virulence d’une bactérie et certains de ses éléments structurels pour
bloquer sa multiplication et ses effets.
Restent d’autres procédés que les antibiotiques eux-mêmes. En l’occurrence, la phagothérapie, laquelle consiste à traiter les infections à l’aide de phages, autrement dit, de virus qui infectent et tuent spécifiquement certaines bactéries sans affecter les autres qui, elles, sont nécessaires à l’organisme. Ou bien l’immunorestauration qui vise à aider les patients immunodéprimés, susceptibles de développer une infection nosocomiale et une antibiorésistance, à prévenir et à lutter contre les bactéries pathogènes en leur administrant des molécules qui stimulent leur immunité.
Enfin, il y a la vaccination qui peut
aussi être antibactérienne comme en atteste le vaccin pneumococcique qui a
largement réduit la fréquence des infections à pneumocoque. Mais qu’on se le
dise, la lutte contre l’antibiorésistance se conjugue avant tout au quotidien,
en optant pour les comportements adéquats et en améliorant les conditions
d’hygiène.
Alexandre Terrini
Pi+
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