L’enregistrement à distance des appareils électroniques et la confidentialité des juristes d’entreprise censurés par le Conseil constitutionnel


mercredi 22 novembre 20235 min
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L’institution a considéré que la captation d’images et de sons à distance portait une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée. Le legal privilege a quant à lui été jugé comme étant un cavalier législatif. Le Conseil a également mis en garde quant à l’utilisation de la visioconférence dans les juridictions ultramarines.

Un mois après l’adoption définitive par le Parlement du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027, le Conseil constitutionnel, saisi par une centaine de députés, a rendu sa décision concernant la conformité de ce texte à la Constitution. Et deux mesures importantes mais contestées ont été censurées par le Conseil.

La première concerne l’autorisation d’activer à distance des appareils électroniques. Le projet de loi prévoyait en premier lieu d’ajouter au Code de procédure pénale une disposition visant, « lorsque les nécessités de l’enquête ou de l’instruction relative à un crime ou à un délit puni d’au moins cinq ans d’emprisonnement l’exigent », à ce que le juge des libertés et de la détention, à la requête du procureur de la République, ou le juge d’instruction puisse « autoriser […] l’activation à distance d’un appareil électronique, à l’insu ou sans le consentement de son propriétaire ou de son possesseur, aux seules fins de procéder à sa localisation en temps réel ».

Réponse du Conseil constitutionnel : « Les dispositions contestées, en tant qu’elles autorisent l’activation à distance d’appareils électroniques à des fins de géolocalisation, ne méconnaissent pas le droit au respect de la vie privée », et ne sont pas censurées par l’institution, a-t-il affirmé dans un communiqué.

L’enregistrement à distance retoqué

En revanche, l’activation, « lorsque la nature et la gravité le justifient », des appareils électroniques à distance à des fins de captation, fixation, transmission et enregistrement durant une durée maximale de 15 jours renouvelable une fois, a été censurée. Une mesure « de nature à porter une atteinte particulièrement importante au droit au respect de la vie privée dans la mesure où elle permet l’enregistrement, dans tout lieu où l’appareil connecté détenu par une personne privée peut se trouver, y compris des lieux d’habitation, de paroles et d’images concernant aussi bien les personnes visées par les investigations que des tiers », a expliqué le Conseil constitutionnel.

En cause, l’autorisation de recourir à cette activation à distance pour les infractions les plus graves, mais aussi pour l’ensemble de celles relevant de la délinquance ou de la criminalité organisées. Avec cette autorisation, « le législateur a permis qu’il soit porté au droit au respect de la vie privée une atteinte qui ne peut être regardée comme proportionnée au but poursuivi », a détaillé le Conseil.

Le legal privilege, cavalier législatif

Autre censure et non des moindres : la mesure instaurant la confidentialité des juristes d’entreprise, ou legal privilege. Son adoption à l’Assemblée nationale en juillet dernier avait été saluée par le président de l’Association française des juristes d’entreprise (AFJE), Jean-Philippe Gille. Une confidentialité qui ne devait pas être « opposable dans le cadre d’une procédure pénale ou fiscale », était-il indiqué dans le projet de loi adopté.

Mais le Conseil constitutionnel a considéré que cela était un cavalier législatif, « ne présentant pas de lien, même indirect, avec aucune autre des dispositions qui figuraient dans le projet de loi » original, est-il expliqué dans la décision. En revanche, cette décision « ne préjuge de la conformité du contenu de ces dispositions aux autres exigences constitutionnelles ». La mesure pourra donc être inscrite dans un futur projet de loi dans lequel elle aura plus sa place.

Dans un communiqué publié ce jour, l’AFJE, l’ANJB et le Cercle Montesquieu « prennent acte de la décision du Conseil constitutionnel qui a invalidé les dispositions relatives à la confidentialité des consultations rédigées par les juristes d’entreprise ». « L’adoption de la confidentialité est un outil indispensable à la mise en œuvre de l’intérêt général et à la bonne diffusion du droit exigée par la montée en puissance des programmes de conformité voulus par le législateur français comme européen », ont affirmé les associations, tout en regrettant l’absence de reconnaissance de la confidentialité des avis des juristes d’entreprise, qui « affaiblit le rôle du droit et la fonction juridique dans l’entreprise ». Les trois organisations professionnelles des juristes d’entreprise affirment rester mobilisées et continuer « à porter ce projet nécessaire pour que le droit prenne toute sa place dans la vie économique de notre pays ».

Des réserves sur l’utilisation de la visioconférence pour les interrogatoires

Le Conseil constitutionnel a également censuré partiellement et émis des réserves d’interprétation sur une disposition de cette loi concernant le recours à la visioconférence dans le cadre de différentes procédures juridictionnelles. Le texte prévoyait en effet que, lorsque la compétence de certaines juridictions pénales spécialisées s’exerce sur le ressort de juridictions situées en outre-mer, « les interrogatoires de première comparution et les débats relatifs au placement en détention provisoire d’une personne se trouvant dans le ressort d’une cour d’appel ultramarine ou d’un tribunal supérieur d’appel autre que celui où siège la juridiction spécialisée peuvent être réalisés par un moyen de télécommunication audiovisuelle ».

Si ce passage a bien été validé et figure donc bien dans la loi publiée au Journal officiel ce mardi 21 novembre, les Sages ont rappelé le contenu de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen selon lequel la loi « doit être la même pour tous », et ont appelé à ce que ces dispositions ne s’appliquent « que dans des circonstances exceptionnelles ». « Elles doivent dès lors s’interpréter comme n’autorisant le recours à un tel moyen de communication que si est dûment caractérisée l’impossibilité de présenter physiquement la personne devant la juridiction spécialisée ». En outre, le recours à un moyen de communication audiovisuelle devra « être subordonné à la condition que soit assurée la confidentialité des échanges, ainsi que la sécurité et la qualité de la transmission ».

Dans le même registre, le Conseil constitutionnel a censuré, dans la loi organique relative à l’ouverture, à la modernisation et à la responsabilité du corps judiciaire cette fois, la mesure prévoyant que, lorsque la venue dans une juridiction située en outre-mer ou en Corse d’un magistrat délégué n’est pas matériellement possible soit dans les délais prescrits par la loi ou le règlement, soit dans les délais exigés par la nature de l’affaire, ces magistrats peuvent participer à l’audience et au délibéré du tribunal depuis un point du territoire de la République relié, en direct, à la salle d’audience par un moyen de communication audiovisuelle. Dans sa décision, l’institution a assuré que « la présence physique des magistrats composant la formation de jugement durant l’audience et le délibéré est une garantie légale des exigences constitutionnelles ».

Alexis Duvauchelle

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