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L’institution a considéré que
la captation d’images et de sons à distance portait une atteinte
disproportionnée au droit au respect de la vie privée. Le legal privilege
a quant à lui été jugé comme étant un cavalier législatif. Le Conseil a
également mis en garde quant à l’utilisation de la visioconférence dans les
juridictions ultramarines.
Un mois après l’adoption
définitive par le Parlement du projet de loi d’orientation et de programmation
du ministère de la Justice 2023-2027, le Conseil constitutionnel, saisi par une
centaine de députés, a rendu sa décision concernant la conformité de ce texte à
la Constitution. Et deux mesures importantes mais contestées ont été censurées
par le Conseil.
La première concerne
l’autorisation d’activer à distance des appareils électroniques. Le projet de
loi prévoyait en premier lieu d’ajouter au Code de procédure pénale une
disposition visant, « lorsque les nécessités de l’enquête ou de
l’instruction relative à un crime ou à un délit puni d’au moins cinq ans
d’emprisonnement l’exigent », à ce que le juge des libertés et de la
détention, à la requête du procureur de la République, ou le juge d’instruction puisse
« autoriser […] l’activation à distance d’un appareil électronique, à
l’insu ou sans le consentement de son propriétaire ou de son possesseur, aux
seules fins de procéder à sa localisation en temps réel ».
Réponse du Conseil
constitutionnel : « Les dispositions contestées, en tant qu’elles autorisent
l’activation à distance d’appareils électroniques à des fins de
géolocalisation, ne méconnaissent pas le droit au respect de la vie privée »,
et ne sont pas censurées par l’institution, a-t-il affirmé dans un communiqué.
L’enregistrement à distance
retoqué
En revanche, l’activation,
« lorsque la nature et la gravité le justifient », des
appareils électroniques à distance à des fins de captation, fixation,
transmission et enregistrement durant une durée maximale de 15 jours
renouvelable une fois, a été censurée. Une mesure « de nature à porter
une atteinte particulièrement importante au droit au respect de la vie privée
dans la mesure où elle permet l’enregistrement, dans tout lieu où l’appareil
connecté détenu par une personne privée peut se trouver, y compris des lieux
d’habitation, de paroles et d’images concernant aussi bien les personnes visées
par les investigations que des tiers », a expliqué le Conseil
constitutionnel.
En cause, l’autorisation de
recourir à cette activation à distance pour les infractions les plus graves,
mais aussi pour l’ensemble de celles relevant de la délinquance ou de la
criminalité organisées. Avec cette autorisation, « le législateur a
permis qu’il soit porté au droit au respect de la vie privée une atteinte qui
ne peut être regardée comme proportionnée au but poursuivi », a
détaillé le Conseil.
Le legal privilege,
cavalier législatif
Autre censure et non des
moindres : la mesure instaurant la confidentialité des juristes
d’entreprise, ou legal privilege. Son adoption à l’Assemblée nationale en
juillet dernier avait été saluée par le
président de l’Association française des juristes d’entreprise (AFJE),
Jean-Philippe Gille. Une confidentialité qui ne devait pas être
« opposable dans le cadre d’une procédure pénale ou fiscale »,
était-il indiqué dans le projet de loi adopté.
Mais le Conseil
constitutionnel a considéré que cela était un cavalier législatif, « ne
présentant pas de lien, même indirect, avec aucune autre des dispositions qui
figuraient dans le projet de loi » original, est-il expliqué dans
la décision. En revanche, cette décision « ne préjuge de la conformité
du contenu de ces dispositions aux autres exigences constitutionnelles ».
La mesure pourra donc être inscrite dans un futur projet de loi dans lequel
elle aura plus sa place.
Dans un communiqué publié ce
jour, l’AFJE, l’ANJB et le Cercle Montesquieu « prennent acte de la
décision du Conseil constitutionnel qui a invalidé les dispositions relatives à
la confidentialité des consultations rédigées par les juristes d’entreprise ».
« L’adoption de la confidentialité est un outil indispensable à la mise
en œuvre de l’intérêt général et à la bonne diffusion du droit exigée par la
montée en puissance des programmes de conformité voulus par le législateur
français comme européen », ont affirmé les associations, tout en
regrettant l’absence de reconnaissance de la confidentialité des avis des
juristes d’entreprise, qui « affaiblit le rôle du droit et la fonction
juridique dans l’entreprise ». Les trois organisations
professionnelles des juristes d’entreprise affirment rester mobilisées et
continuer « à porter ce projet nécessaire pour que le droit prenne
toute sa place dans la vie économique de notre pays ».
Des réserves sur l’utilisation
de la visioconférence pour les interrogatoires
Le Conseil constitutionnel a
également censuré partiellement et émis des réserves d’interprétation sur une
disposition de cette loi concernant le recours à la visioconférence dans le
cadre de différentes procédures juridictionnelles. Le texte prévoyait en effet que,
lorsque la compétence de certaines juridictions pénales spécialisées s’exerce
sur le ressort de juridictions situées en outre-mer, « les
interrogatoires de première comparution et les débats relatifs au placement en
détention provisoire d’une personne se trouvant dans le ressort d’une cour d’appel
ultramarine ou d’un tribunal supérieur d’appel autre que celui où siège la
juridiction spécialisée peuvent être réalisés par un moyen de télécommunication
audiovisuelle ».
Si ce passage a bien été
validé et figure donc bien dans la loi publiée au Journal officiel ce
mardi 21 novembre, les Sages ont rappelé le contenu de l’article 6 de la Déclaration
des droits de l’homme et du citoyen selon lequel la loi « doit être la
même pour tous », et ont appelé à ce que ces dispositions ne
s’appliquent « que dans des circonstances exceptionnelles ». « Elles
doivent dès lors s’interpréter comme n’autorisant le recours à un tel moyen de
communication que si est dûment caractérisée l’impossibilité de présenter
physiquement la personne devant la juridiction spécialisée ». En
outre, le recours à un moyen de communication audiovisuelle devra « être
subordonné à la condition que soit assurée la confidentialité des échanges,
ainsi que la sécurité et la qualité de la transmission ».
Dans le même registre, le
Conseil constitutionnel a censuré, dans la loi organique relative à
l’ouverture, à la modernisation et à la responsabilité du corps judiciaire
cette fois, la mesure prévoyant que, lorsque la venue dans une juridiction
située en outre-mer ou en Corse d’un magistrat délégué n’est pas matériellement
possible soit dans les délais prescrits par la loi ou le règlement, soit dans
les délais exigés par la nature de l’affaire, ces magistrats peuvent participer
à l’audience et au délibéré du tribunal depuis un point du territoire de la
République relié, en direct, à la salle d’audience par un moyen de
communication audiovisuelle. Dans sa décision, l’institution a assuré que
« la présence physique des magistrats composant la formation de
jugement durant l’audience et le délibéré est une garantie légale des exigences
constitutionnelles ».
Alexis
Duvauchelle
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