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La Caisse des dépôts et les divers fonds qu’elle gère ratent rarement une occasion de réaffirmer leurs engagements en faveur du climat. Le groupe se revendique d’ailleurs sur son site internet un « investisseur majeur dans le domaine des énergies renouvelables » et un « acteur engagé de la transition énergétique et écologique », notamment à travers plusieurs de ses filiales. En novembre 2015, le groupe s’était ainsi fixé un objectif de réduction de son empreinte carbone de 20 % par millier d’euros investi sur la période 2014-2020. La Caisse applique en outre « une politique d’exclusion de son portefeuille des entreprises dont les activités liées au charbon dépassent 20 % de leur chiffre d’affaires », notent l’Observatoire des multinationales et l’ONG 350.org dans un rapport rendu en décembre 2017. Cela exclut donc les gros pollueurs focalisés sur le charbon, mais pas les grands groupes miniers diversifiés, ni les entreprises impliquées dans le pétrole ou le gaz. « La Caisse reste par exemple investie dans des entreprises minières comme Anglo American ou Rio Tinto », souligne le rapport. Des entreprises qui sont en réalité de gros producteurs de charbon, mais qui restent sous la règle des 20 %, puisqu’elles possèdent d’autres activités plus lucratives.
On apprend également que le portefeuille de la Caisse des dépôts inclut près de 2 % dans Engie, pour une valeur d’un demi-milliard d’euros. Et bien que sa direction ait annoncé un désinvestissement total des énergies fossiles d’ici 2050 au profit de sources « vertes », Engie reste pour le moment largement engagée dans les énergies fossiles, son cœur de métier historique. Autre investissement a priori difficilement compatible avec ses engagements verts : la Caisse a notamment fait l’acquisition en 2011 de 25 % de GRTgaz, impliqué dans de grands projets européens de nouveaux gazoducs. Or, ces derniers sont très contestés par les militants écologistes : ils signifient en effet poursuivre la consommation de gaz pour plusieurs décennies en Europe. De son côté, l’ex-Banque publique d’investissement (BPI), désormais Bpifrance, société détenue à 50 % par l’État et à 50 % par la Caisse des dépôts, possède quant à elle des « participations significatives dans trois entreprises de services à l’industrie pétrolière » que sont TechnipFMC, Vallourec et CGG. Si elle n’est donc pas directement présente dans des producteurs de pétrole, de gaz ou de charbon, cela représente tout de même la modique somme d’un milliard d’euros, placés dans trois entreprises parapétrolières. Le rapport, d’ailleurs intitulé « La Caisse des dépôts et consignations, financeur public des énergies du passé », met par ailleurs en évidence que l’une des filiales « stratégiques » de la Caisse des dépôts, Egis, a quant à elle « des activités directement liées aux énergies fossiles ». Ces activités - extraction de pétrole et de gaz, centrales thermiques, nucléaires et usines d’incinération de déchets - laissent encore une fois planer le doute sur la sincérité des efforts de la Caisse en faveur du climat.
Le livret A, financeur de l’industrie des énergies fossiles ?
Autre point sensible de ce rapport : les observations qui ont un lien avec le Livret A. Comme le rappellent l’Observatoire des multinationales et l’ONG 350.org, la Caisse des dépôts et consignations « a pour mission de gérer l’épargne des Français, collectée notamment à travers le livret A et le livret «de développement durable et solidaire” ». Cet argent est utilisé majoritairement pour des prêts, cependant il s’avère qu’une partie – 72 milliards d’euros - est placée sur les marchés financiers, et ce, sans aucune transparence, accuse le rapport. Les seules informations disponibles en la matière permettent d’apprendre que le fonds épargne de la Caisse des dépôts est actionnaire direct de Vallourec, qui se trouve donc être une firme parapétrolière, comme évoqué plus haut. Par ailleurs, le « supplément au rapport d’activité et de développement durable 2016 » de la Caisse des dépôts admet que le fonds épargne et CNP Assurances détiennent des obligations d’entreprises dont le chiffre d’affaires issu du charbon thermique est compris entre 20 et 25 %. « Le fonds épargne investit donc dans des firmes impliquées dans le charbon jusqu’à un quart de leur chiffre d’affaires », concluent les rédacteurs dans leurs observations. Encore plus évocateur : dans son propre rapport annuel, le fonds épargne indique être impliqué dans des entreprises du secteur « pétrolier et automobile ». « Une partie de l’argent mis par les épargnants dans leurs livrets «développement durable et solidaire» sert ainsi à financer l’industrie des énergies fossiles, dans une proportion non connue (...) ce qui paraît en contradiction totale avec le «développement durable» vendu aux épargnants », signale le rapport. L’activité de prêt du fonds épargne elle-même paraît discutable de ce point de vue, énonce-t-il. Ainsi, le prêt d’un milliard d’euros accordé en vue de la réalisation du Grand Paris Express a par exemple été introduit comme un prêt « vert ». Or, arguent les rédacteurs, une étude a estimé que cette ligne devrait fonctionner quarante ans... rien que pour compenser les émissions occasionnées par ses chantiers.
De nouveaux projets d’exploitation de charbon, gaz et pétrole
Si la Caisse finance des structures liées aux énergies fossiles, dont certaines existent depuis longtemps, plus que cela, elle est à l’origine d’investissements dans une douzaine de nouveaux gros projets d’exploitation de charbon, de gaz ou de pétrole, par le biais de ses filiales et des fonds qu’elle héberge. Aux yeux des rédacteurs du rapport, le problème est donc que cela contribue à l’« expansion continue des énergies fossiles, et non seulement à la gestion de l’acquis historique ». Parmi ces nouveaux projets, il y a ainsi celui de l’oléoduc Dakota Access Pipeline, aussi appelé DAPL. Ce dernier « doit transporter du pétrole de schiste extrait dans le Dakota du Nord à travers quatre États, jusqu’à un centre de distribution dans l’Illinois. Là, raccordé à un autre oléoduc, il alimenterait les raffineries du golfe du Mexique, avant de partir, peut-être, vers d’autres marchés » explique le rapport. Sur 1 886 kilomètres, l’oléoduc, aujourd’hui toujours en travaux, est supposé transporter entre 470 000 et 570 000 barils par jour. Le Fonds de réserve pour les retraites, géré administrativement par la Caisse des dépôts, a ici souscrit « pas moins de huit obligations d’Energy Transfer Partners, pour un montant total de 14,03 millions d’euros, à quoi s’ajoutent 1,58 million d’euros dans une obligation de Sunoco ». Autre exemple : l’Agence française de développement (AFD), principal vecteur de l’aide publique au développement, avec laquelle la Caisse des dépôts a signé une charte d’alliance stratégique et créé un fonds commun, envisage d’accorder un prêt de 41 millions d’euros à l’entreprise Xinjiang Tianfu Energy. Le tout, en vue de la construction d’une unité de cogénération (une technique permettant de récupérer la chaleur émise par la combustion du charbon, et de la réutiliser pour un autre usage) adossée à centrale de charbon dans la ville de Shizhen, située dans la région autonome de Xinjiang, province de l’extrême nord-est de la Chine. Ce prêt est officiellement présenté comme une contribution à la transition énergétique, permettant d’optimiser l’efficacité énergétique de la centrale, expliquent l’Observatoire des multinationales et 350.org. Toutefois, ajoutent-ils, une note interne de l’institution rendue publique spécifie que cela « reviendrait à pérenniser l’utilisation d’une centrale à charbon, ce qui pourrait être interprété comme le financement de ce secteur ». Cela pose d’autant plus question lorsqu’on sait qu’en 2016, l’AFD a investi 3,6 milliards d’euros correspondant, selon, à une participation au financement de 83 projets de développement ayant des « co-bénéfices » en matière de lutte contre le dérèglement climatique et ses effets.
Bérengère Margaritelli
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