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A la suite
d’une rixe entre des jeunes de deux villes voisines, un prévenu est jugé en
comparution immédiate. On l'accuse d'avoir exercé des violences sur un jeune
d’une vingtaine d’années avec une machette : il clame pourtant son
innocence, la couleur de son t-shirt à l’appui.
Le jeune prévenu
entre dans le box des accusés. Le président du tribunal détaille les faits pour
lesquels Stéphane (les prénoms ont été
modifiés) comparaît : des violences commises avec « une arme blanche de type machette, ou un
objet tranchant ». Le juge précise que celui-ci aurait agi en état de
récidive légale, ayant déjà été condamné cette année, par le Tribunal
correctionnel de Paris, dans une affaire de stupéfiants. Interrogé quant à sa
position sur les faits, Stéphane maintient sa version : il n’a « pas commis les faits qui lui sont reprochés ».
Le juge se tourne vers la victime, William
: « Il semblerait qu'il y ait quelques différends entre les
habitants de la Queue-en-Brie et les habitants d'une autre commune… » - « Moi, en particulier, je n'ai jamais eu
quelconque embrouille avec les habitants de la Queue-en-Brie. Après, c'est sûr
qu'il y a peut-être eu des embrouilles, mais moi j'étais pas dedans ».
Des messages
retrouvés dans le téléphone
Le juge évoque
des messages trouvés dans le téléphone de William : « il s'est passé quelque chose, il vaudrait
mieux que ça ne se reproduise pas », et « il faut faire comprendre aux autres qu'on est aussi forts qu'eux ».
William insiste : il « n’est pas
dans tout ça », lui.
Mais le juge
aimerait savoir ce que faisait la victime à La-Queue-en-Brie ce soir-là : « Vous
y allez souvent, là-bas ?
- Non.
- Et pourquoi vous y étiez ce soir-là ?
- J'étais avec mon ami.
- Et pourquoi vous êtes allé là-bas ?
- Parce qu'on allait voir des personnes.
- Pour leur dire quoi ?
-
Rien de spécial, c’était des
gens qu’on connaît. »
Le juge
n’obtiendra aucune confession sur de potentielles intentions belliqueuses dans
le déplacement du jeune homme à La-Queue-en-Brie. William décrit l’altercation
ayant abouti à sa violente agression : « dès que je suis arrivé à la Queue-en-Brie, devant la place de la
mairie, on s'est retrouvés face à un groupe. C'était des personnes que je ne
connaissais pas. C'est parti directement en embrouille, et j'ai pris un
coup ».
« On »,
c’est la bande de William - qui habite à Chennevières-sur-Marne - ; ils
étaient huit, affirme-t-il. Le groupe qu’ils ont croisé et qui a voulu les
intimider était en revanche composé d’une quinzaine de personnes, avance-t-il. William
est myope et l’agression a eu lieu la nuit, alors il n’a pas pu discerner qui
lui a porté le coup, dit-t-il. Interrogée par l’avocat du prévenu, la victime indique
donc être incapable de reconnaître le prévenu comme étant son agresseur.
« Rose ou orange ? »
Le juge détaille
ensuite le contenu des procès-verbaux établis. Les policiers déclarent avoir
reconnu Stéphane sur les images de vidéosurveillance comme l’auteur du coup de
machette. Les enquêteurs expliquent aussi avoir trouvé le vêtement
correspondant à celui que l’on voit sur les images, lors de la perquisition
menée à son domicile. Le juge fait également état de l’identification de son
numéro de téléphone portable, qui aurait « borné » à proximité des
lieux de l’échauffourée.
Le juge demande
au prévenu : « Comment expliquez-vous ces nombreuses
coïncidences ? Vous avez été reconnu.
- Excusez-moi, vous avez dit que la police a dit que j'avais un
t-shirt orange ?
- Ils disent que c'est un t-shirt rose.
- Rose ou orange ?
-
(le juge, quelque peu agacé) C’est…
ils disent que c’est votre visage, donc voilà, point. »
L’avocat de
Stéphane prend la parole. Il cite un passage lu par le juge : « ‘Constatons
la présence d’un individu de type africain, vêtu d’un t-shirt orange, d’une
veste blanche et d’un bas noir’, c’est ce que vous avez dit.
- C’est exactement ce que j’ai dit.
- Ce à quoi on pourrait…
-
Laissez votre client
répondre, maître, merci. »
Le prévenu
explique alors que son t-shirt « rose », insiste-t-il, celui saisi
par la police, il ne l’avait « pas
porté depuis des mois », alors c’était impossible qu’il l’ait porté ce
soir-là. Mais aujourd’hui, il le porte sur lui – il le montre même à l’assistance.
Un t-shirt orange ? Il n’en a jamais porté !
Et en ce qui
concerne son téléphone, Stéphane affirme qu’il est passé près du lieu où a eu
lieu la bagarre, mais qu’il n’y était plus, au moment où elle a eu lieu, peu
après 22h.
Toujours est-il
que l’itinéraire de Stéphane au cours de la soirée coïncide étrangement avec
les lieux où a eu lieu l’agression. Le prévenu semble alors se livrer un peu
plus : « Je vais pas vous mentir.
Mon petit frère m’a appelé, il m’a dit qu’il y avait une bagarre à la mairie.
Je suis parti de chez moi jusque là-bas, et j’ai vu qu’il y avait déjà la
police ».
La juge s’étonne
également du fait que son téléphone ait été éteint puis rallumé plus tard dans
la soirée, mais Stéphane explique qu’il l’a « mis sur ‘ne pas déranger’ »,
pour pouvoir dormir.
« Ce n’est pas un jeu ! »
Lors d'une courte
intervention, l’avocat de la partie civile précise pour sa part que si elle se
constitue comme telle, la victime, qui s’est vu
attribuer 15 jours d’incapacité de travail en raison de sa blessure à l’abdomen,
ne demande pas d’indemnisation. « On
y verra un souci d’apaisement, ou la peur de représailles », complète-t-il.
De son côté, le
ministère public va aborder d'autres aspects de l’affaire, et notamment la
garde à vue de huit mineurs, qui après avoir été entendus, ont été mis hors de
cause et relâchés. Elle parle aussi du cas d’un deuxième protagoniste identifié
via la vidéosurveillance, mais qui après enquête, s’est avéré être à Paris ce
soir-là.
Mais concernant
le cas de Stéphane, la procureure estime que le tribunal possède plusieurs
éléments à son encontre. « On pourra
jouer sur les mots, orange ou rose, je tiens seulement à dire qu’on a des
policiers qui, lors de la perquisition, identifient ce t-shirt. Moi ça ne me
choque pas, vu la luminosité dans la nuit, au moment des enregistrements. C’est
filmé sous la lumière des lampadaires, cela ne me semble pas illogique qu’on
ait un petit changement de teinte ».
Pour l’avocat de
la défense, « ce n’est pas un jeu ». « Si on exploite des caméras, si on entend des
témoins, si on fait des investigations et que des enquêteurs disent telle
couleur et que telle couleur ne correspond pas, c'est important que ce soit indiqué
dans les débats, et c'est important de considérer qu'il s'agit d'un élément à
décharge », tempête-t-il. L'avocat mentionne également des
témoignages discordants, décrivant un auteur des coups « entièrement
vêtu de noir », tandis qu'un autre évoque une veste blanche, qui n'a
pas été retrouvée chez Stéphane. Et ajoute qu'aucune des personnes arrêtées n'a
mis en cause Stéphane.
Un raisonnement
qui semble convaincre le tribunal. Alors que le parquet avait requis trois ans
de prison ferme, l’accusé est relaxé intégralement.
Etienne Antelme
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