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La cour d’appel de Poitiers accueille sa nouvelle Première présidente


mercredi 4 novembre 202012 min
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Gwenola Joly-Coz succède à Thierry Hanouet à la tête de la juridiction, dans un Palais de Justice flambant neuf. Résolument engagée et déterminée, la nouvelle cheffe de cour devra faire face à bien des chantiers, dans un contexte lourdement marqué par la crise sanitaire. 

 


« Vous êtes une femme ouverte sur le monde, une femme de conviction. Vos compétences, votre détermination et l’attention que vous saurez porter à cette cour, à ses magistrats, à ses fonctionnaires, à ses partenaires vous seront essentielles pour réussir dans vos nouvelles fonctions. » C’est en ces termes que Dominique Nolet, doyenne des présidents de chambre de la cour d’appel de Poitiers, a chaleureusement accueilli la nouvelle cheffe de la juridiction, première femme à ce poste.

Gwenola Joly-Coz prend donc la suite de Thierry Hanouet. Parti à la retraite, ce dernier s’est « toujours défini comme un magistrat du siège ». « Fils et petit-fils d’ouvrier, étudiant boursier, M. Hanouet a souhaité devenir magistrat pour faire vivre son idéal démocratique au quotidien », a assuré Dominique Nolet. Pour la procureure générale Dominique Moyal, il s’agissait d’un « fin juriste », doté d'un « sens de l'humour très british », avec qui elle espère avoir « formé un tandem heureux et aussi efficace que possible ». « Lui succéder sera une gageure. Je prendrai notamment un soin particulier à poursuivre les excellentes relations entretenues avec Madame la procureure générale, au bénéfice de l'équilibre des missions de la cour, pénales et civiles », s’est engagée, en réponse, la Première présidente.

 


GJC, « femme d’engagement »

Dominique Nolet n’a pas manqué de saluer la richesse de la carrière de la nouvelle cheffe de cour, débutée en 1992 comme juge d’instruction à Saint-Nazaire, en Loire-Atlantique. « Puis vous avez traversé l’océan pour prendre les fonctions de juge d’instruction à Cayenne et vous êtes revenue à Nantes en qualité de juge en 1999 », a rapporté la présidente de chambre. Gwenola Joly-Coz devient par la suite cheffe de juridiction à Mamoudzou (Mayotte), en 2004, puis à Thonon-les-Bains, en Haute-Savoie. En 2010, elle intègre l’inspection des services judiciaires, avant de devenir directrice de cabinet de la secrétaire d’État chargée des droits des femmes, Pascale Boistard. Elle « renoue avec les fonctions judiciaires » en 2016, en prenant la tête du tribunal de grande instance de Pontoise. 

Un parcours « marqué par la mobilité géographique, mais également la mobilité fonctionnelle » qui a permis à la magistrate de connaître « de l’intérieur les rouages de l’État » et d’être « au plus près du travail législatif », a souligné Dominique Nolet. 

Au-delà, cette dernière a également loué la « curiosité intellectuelle » de la nouvelle Première présidente : « Si, comme nombre d’entre nous, vous avez fait des études de droit traditionnelles, vous n’avez jamais cessé de vouloir élargir le champ de vos compétences. C’est ainsi qu’en 2002 vous avez été diplômée de l’Institut des hautes études de défense nationale, vous avec passé en 2014 le certificat du cycle interministériel en gestion publique, et, enfin, vous avez été diplômée de l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice en 2018. »

La présidente de chambre a enfin rendu hommage à son combat en faveur de l’égalité femmes/hommes, rappelant que Gwenola Joly-Coz accordait à la place des femmes dans la société – et notamment dans la justice – une attention toute particulière. Membre de l’association Femmes de justice, la magistrate s’est également illustrée ces dernières années par la rédaction de chroniques sur « les femmes symboles de notre histoire judiciaire » et par sa prise de parole lors de séminaires et colloques dédiés à ce sujet. 

« Vous ne manquez jamais une occasion de mettre en avant le parcours de femmes pionnières qui, à leur époque, dans leur métier, ont su se faire une place et ouvrir la voie à d'autres – nous ouvrir la voie », a renchéri, pour sa part, la procureure générale, qui a soutenu auprès de la nouvelle cheffe de cour que la cause des femmes la comptait « parmi ses meilleurs défenseurs »

Dominique Moyal a par ailleurs indiqué que l’ancienne présidente du tribunal judiciaire de Pontoise avait fait de la juridiction un site pilote pour l’expérimentation du bracelet anti-rapprochement, dispositif novateur visant à tenir à distance des victimes leurs conjoints ou ex-conjoints violents via un système de géolocalisation permettant de déclencher une d'alerte le cas échéant. Un pas important dans la lutte contre les violences faites aux femmes et la prévention des féminicides. 

« Je vous sais une femme d'engagement. Vous avez démontré en de nombreuses occasions votre détermination, votre courage et votre attachement au service public de la Justice, a énoncé la procureure générale à l’attention de sa collègue. Nos premiers contacts augurent d'une franche et loyale collaboration qui signera, j'en suis persuadée, une dyarchie aussi harmonieuse qu'efficace. » 

Dominique Moyal a ainsi souhaité la bienvenue à Gwenola Joly-Coz « à la tête de cette belle cour d'appel de Poitiers », et lui a souhaité une « pleine réussite », sans oublier d’adresser ses félicitations aux quatre nouveaux magistrats de la cour d'appel, installés en septembre. 



Une Première présidente attachée à la notion « d’équipe de justice »

« Nos figures masquées nous privent des visages et cela me pèse à l'heure des premières rencontres », a regretté Gwenola Joly-Coz. En dépit du comité anormalement réduit – Covid oblige – réuni pour célébrer son installation, la nouvelle présidente de la cour d’appel de Poitiers ne s’est toutefois pas départie de son sourire, et n’a pas manqué de remercier Dominique Nolet et Dominique Moyal pour leur accueil. Elle a également dit toute sa reconnaissance à Bernard Keime, Premier président de la cour d'appel de Versailles, pour son soutien « tout au long du parcours de sélection pour atteindre ces hautes responsabilités », et à Eric Corbaux, procureur de la République du tribunal judiciaire de Pontoise : « Ensemble, nous avons conçu une politique de juridiction pour lutter contre les violences faites aux femmes. Je suis touchée de votre présence que je regarde comme la marque notre estime réciproque », lui a-t-elle assuré. 

La Première présidente s’est ensuite adressée aux bâtonniers présents. Elle leur a certifié que les relations magistrats-avocats étaient un sujet « essentiel », replacé « au centre » de leur « actualité commune » par une « année mouvementée ». « Les deux grandes professions du droit doivent entretenir des liens constants, naturels et simples », a-t-elle estimé, avant d’appeler à « favoriser l'évidence et le dynamisme d'une vie de communauté judiciaire fondée sur le respect des rôles de chacun ». 

Gwenola Joly-Coz a également montré toute son estime pour le travail accompli par les fonctionnaires de justice, qu’elle a qualifiés de « rouages profonds des juridictions ». « Votre connaissance du réel, votre lien avec le public, votre opiniâtreté à exercer des tâches sans cesse alourdies par les textes, sont en tout point remarquables et vous l'avez encore prouvé lors de la période de confinement », a-t-elle martelé, précisant son attachement à la notion « d'équipe de justice », et invitant à la réflexion commune et à l’organisation partagée. 

Enfin, la cheffe de cour a eu quelques mots, bien sûr, pour ses pairs magistrats. « Votre rôle [est de] “transformer le droit en justice”. En effet la loi est toujours complexe, souvent changeante, parfois obscure. Il lui faut un interprète. Portalis l'exprimait ainsi : “la loi n'est rien sans le magistrat”. C'est dans ce travail de création du droit positif que réside la grandeur de notre métier, et je connais votre investissement de chaque jour dans cette mission », a garanti Gwenola Joly-Coz. « Vous pouvez être fiers d'être les garants de l'État de droit, des libertés publiques, du débat contradictoire entre les parties. D'être des juges, loin de pratiques archaïques ou de traditions surannées, qui doutent, s'interrogent, se forment, pour mériter la confiance des citoyens (...) Ce sera un honneur d'être, au sein de ce ressort, à la tête de juges tels que je viens de les décrire. »

 





Gwenola Joly-Coz




Des chantiers, au sens propre et figuré

Un ressort qui a connu de nombreux chantiers dernièrement, au sens figuré « comme au sens propre du terme », s’est amusée Dominique Moyal, en référence à la construction du nouveau Palais de Justice, qui regroupe sur un même site, suite au déménagement intervenu en avril 2019, toutes les juridictions de Poitiers ainsi que le SAR. Très impliquée avec l’ancien chef de cour dans cette nouvelle organisation, la procureure générale a témoigné d’une « charge lourde mais ô combien passionnante ». 

Dominique Moyal a également indiqué avoir, aux côtés de Thierry Hanouet, « réanimé le projet » de la création d'un centre régional d'archivage, qui a finalement ouvert à Niort fin 2018. « Cette ressource mutualisée est une opportunité de premier ordre pour la cour d'appel et les six tribunaux judiciaires du ressort », a-t-elle commenté. 

Parmi les autres sujets majeurs les ayant mobilisés ces derniers mois, la procureure générale a mentionné la mise en œuvre des réformes successives dans le cadre de la loi de programmation et de réforme pour la justice, le basculement des extractions judiciaires des forces de sécurité intérieure vers l'administration pénitentiaire, le volet « déontologie et discipline », ou encore la gestion des ressources humaines. 

Arrivés voilà quatre ans à la cour d’appel de Poitiers, Dominique Moyal et Thierry Hanouet ont ainsi, sur ce point, constaté une « grave pénurie » des effectifs. Tous deux ont « œuvré » pour y remédier. En 2017, le taux de vacance de poste des parquetiers s'élevait à près de 25 %.
Il est de 0 % depuis le 1er septembre 2020, ce dont la procureure générale s’est vivement réjouie. Toutefois, selon cette dernière, cette évolution, d’ailleurs visible au niveau national, ne doit pas « masquer la grave et persistante pénurie de fonctionnaires ». « En outre, certains parquets du ressort disposent d'effectifs sous-dimensionnés. Dès lors, comment s'étonner que les juridictions peinent à faire face à une demande de Justice de plus en plus prégnante, à une charge de travail qui ne cesse de s'accroître, dans un contexte d'insécurité juridique préoccupant et une pression médiatique qui nuit trop souvent à la sérénité des débats ? »
a questionné Dominique Moyal. 

 


« Nous aurons de quoi nous occuper »

La procureure générale ne s’en est donc pas cachée : « Madame la Première présidente, vous l'avez compris, vous arrivez dans une Cour dans laquelle de gros chantiers sont derrière nous, mais il reste encore beaucoup à faire. » Au programme : en priorité, et comme pour l’ensemble des tribunaux, travailler à moderniser la juridiction et à développer le numérique, pour combler « le fossé entre les annonces et la réalité des juridictions » dénoncé par Dominique Moyal. Cette dernière a en effet fustigé une annonce de budget en hausse « en trompe l’œil », une signature électronique « attendue depuis 20 ans » et des équipements « insuffisants, inadaptés voire obsolètes », notamment au vu de la question « sensible et d'actualité » de l'organisation du télétravail dans les juridictions. 

Autre point de tension : le développement de la justice de proximité. « Des moyens nous sont promis pour accompagner cette action devenue subitement prioritaire : le recrutement de plus de 750 personnels en appui de nos greffes vient de nous être annoncé. Il nous est demandé d'évaluer nos besoins et de mettre en œuvre les procédures de recrutement pour obtenir le feu vert de la Chancellerie. Voilà une bonne nouvelle. Malheureusement les délais qui nous sont impartis – avant fin 2020 – sont tellement contraints que nous savons d'ores et déjà que nous ne pourrons pas bénéficier de cette manne », a regretté la procureure générale, qui a évoqué sans détour une « mission impossible ».

L’attention sera également portée sur la justice des mineurs, dans le cadre de la réforme annoncée, ainsi que sur l'adaptation des modes de travail, liée à la crise sanitaire. À ce titre, la procureure générale a évoqué le dialogue de gestion : « Il nous est demandé d'envisager l'impact de la grève des avocats de décembre 2019 à février 2020, puis la crise sanitaire et le confinement, pour mettre en œuvre des solutions destinées à déstocker, afin de retrouver des délais de jugement raisonnables. Il nous faudra faire preuve d'imagination (...) Bref, madame la Première présidente, soyez rassurée, nous aurons de quoi nous occuper », a-t-elle auguré. 

 


Enthousiasme et humilité

Cette perspective n’a néanmoins pas désarmé Gwenola Joly-Coz, qui a assuré être « désormais garante » du fonctionnement de ce « grand ressort ». Son action, a-t-elle précisé, sera guidée par trois convictions. 

Première conviction de la nouvelle cheffe de cour : la justice doit rester « solidement adossée aux grands principes qui la gouvernent ». « En ces temps agités, où les citoyens manifestent leur désarroi, contestent les institutions, s'inquiètent des conséquences de la crise sanitaire, l'autorité judiciaire doit rester une référence, en sa qualité de gardienne naturelle des libertés individuelles et des droits fondamentaux. Les régimes juridiques d'exception se succèdent (...), l'État d'urgence est en voie d'être prolongé. Soyons ensemble vigilants pour que la “société du risque” dans laquelle nous sommes rentrés n'engendre pas un “droit de la peur”. » Pour Gwenola Joly-Coz, il est plus que jamais indispensable, en cette période de doute, de se tourner vers des valeurs refuges telles que la séparation des pouvoirs ou encore l’indépendance et l’impartialité de l'autorité judiciaire. « Pour les faire vivre, le juge doit faire preuve à la fois de prudence et d'autorité. Être indépendant et impartial, exiger du juge qu'il soit scrupuleux dans son application de la loi, intransigeant dans le respect des droits des parties et enfin fort face aux contestations. Qu'il fasse preuve d'autorité. Mais il faut qu'il soit aussi en interrogation déontologiques et en souci de son comportement personnel, éthique, où se mêlent savoir-faire et savoir-être, compétence et humanité. » 

Deuxième conviction revendiquée par la Première présidente : la place centrale de l'humain et des valeurs. « Sans doute plus que jamais dans les collectivités de travail, convient-il d'être soucieux de l'humain », a-t-elle observé. Approche qui l’a amenée à proposer à l'École nationale de la magistrature la création d’un séminaire « gouvernance humaine », afin de « s'interroger sur les valeurs qui fondent nos façons de collaborer ». À l’instar du courage, de l’exemplarité et de la considération, a illustré Gwenola Joly-Coz, mais aussi de l'égalité femmes-hommes. « Il convient de rappeler une évidence : d'un point de vue sociologique, la féminisation de la magistrature constitue la plus importante mutation vécue par ce corps depuis la Seconde Guerre mondiale. » En effet, a-t-elle rappelé, alors qu’en 1947, l’intégralité des juges étaient des hommes, aujourd'hui, 67 % sont des femmes. « Le constat est documenté et peut ainsi se résumer : féminisation rapide du corps sans discours ministériel articulé, baisse de l'attractivité de la profession auprès des hommes, exigence tout au long de la carrière d'une mobilité géographique incessante unique en Europe, accès encore très limité des femmes aux plus hauts postes de responsabilité, reproduction des mécanismes classiques du plafond de verre, notamment l'auto-censure », a énuméré la Première présidente. Constat confirmé, a-t-elle indiqué, lors de son arrivée à Poitiers. « J'ai été accueillie dans un magnifique couloir, où s'affiche fièrement une série d'impressionnants portraits de mes prédécesseurs : tous des hommes. Je serai donc en 2020, 73 ans après l'ouverture de la magistrature aux femmes, la première à la tête de cette cour. Au niveau national, nous serons une des rares dyarchies féminines, Madame la Procureure générale », a-t-elle déploré auprès de Dominique Moyal. 

Dernière conviction – également sociologique – défendue par Gwenola Joly-Coz : celle que la justice a vocation « à être au cœur de la cité ». « Le magistrat ne doit pas confondre indépendance et isolement », a-t-elle appuyé. « Le juge n'est pas seul car il est entouré », par de multiples acteurs : policiers, gendarmes, notaires, huissiers, magistrats honoraires, juristes assistants, conseillers prud'homaux, conciliateurs, experts, médiateurs, associations… « Mesdames et Messieurs les Juges, je vous engage à réfléchir à ce nouvel environnement, tellement plus complexe qu'il y a 20 ans, et à définir votre juste place, au sein de l'ensemble des acteurs qui concourent à l'œuvre de justice », a invité la nouvelle cheffe de cour. 

Si le juge n’est pas seul, c’est également parce qu’il est regardé, a ajouté Gwenola Joly-Coz : « La société commente nos décisions et nous tend un miroir dans lequel il faut savoir reconnaître notre image, même si le reflet ne nous convient pas toujours. Cette lucidité est féconde, elle nous pousse notamment à faire preuve de pédagogie. » 

Pourtant, a reconnu la Première présidente, l’action des magistrats, qui fait l’objet d’une attention permanente, est « complexe et se prête peu aux résumés ». Selon elle, il convient donc, d’abord, de dialoguer avec les journalistes, « professionnels qui font vivre la liberté d'expression ». « Mais pour expliquer ce que nous faisons, rien ne peut remplacer la grande tradition académique française. Ceux qui enseignent et analysent le droit sont nos plus précieux interlocuteurs intellectuels. (...) À l'heure de l'open data, je souhaite que les agrégés et professeurs de droit de Poitiers soient les premiers à porter leur regard sur les décisions des praticiens du ressort de Poitiers. Et ce, avant des legaltechs nationales dont les visées prédictives ou lucratives sont à encadrer », a-t-elle mis en garde.  

Ayant fini d’exposer ses convictions, Gwenola Joly-Coz a précisé qu’il s’agissait, « bien sûr, de buts à poursuivre, sans doute jamais atteints, mais auxquels il faut tendre par une pratique quotidienne où se mêlent enthousiasme et humilité ».

 

Bérengère Margaritelli





Retrouvez tous les portraits de femmes pionnières, réalisés par Gwenola Joly-Coz


 


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