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Jean-Louis Chambon, président fondateur du Cercle Turgot et Bruno de Laigue, président de l’association nationale des Directeurs financiers et de contrôle de gestion (DGCF), ont accueilli Alain Bauer, professeur de criminologie. La cyberfraude exige une vigilance permanente des directeurs financiers, c’est pourquoi la DFCG mène des actions pour sensibiliser et former les entreprises à la lutte contre le problème. Durant cette matinale, Alain Bauer a décrit l’implication du crime organisé dans la finance internationale.
Avant
Le conférencier débute son intervention par une curiosité : « Professeur de criminologie n’est pas une fonction évidente, puisque je suis le seul de mon espèce. La France est un pays étrange qui, simultanément à l’Italie, a inventé la criminologie, qui l’a largement développée, qui l’a définie avec Émile Durkheim ou Gabriel Tarde. Mais, paradoxalement, il n’y a pas d’enseignement de criminologie, pas de discipline criminologique, et je suis le seul de mon espèce. »
Le criminologue n’est ni un policier, ni un magistrat. C’est un analyste du phénomène criminel. Il établit un diagnostic, puis avance un pronostic à débattre. Schématiquement, la motivation du criminel est assez simple à classifier : 1/ le besoin ; 2/ l’envie ; 3/ le plaisir. Malencontreusement, très attentifs aux conséquences, nous autres mélangeons les trois. Ainsi, le crime de type 1 est nécessaire. C’est celui de l’individu qui n’a rien. C’est Jean Valjean. C’est le révolutionnaire qui passe du statut de sujet à celui de citoyen en empruntant une forme de violence sociale indispensable aux yeux des partisans de la Révolution. Pour le type 2, l’envie, l’enjeu ne présente pas un caractère vital. Le criminel veut mieux ou plus. Son acte est jaugé au poids des circonstances atténuantes ou aggravantes. La violence se révèle ici complexe. Avec le type 3, le plaisir, le responsable obéit à une pulsion. Le mécanisme ne se maîtrise pas. La société cherche à se protéger contre ce danger (l’enfermement). Ces trois catégories justifieraient des traitements différenciés.
Historiquement, en matière de criminalité financière, à quelques exceptions près, l’essentiel de l’activité se résumait au vol. Vol, hold-up, racket, toutes situations où le possesseur constituait la victime et son agresseur le criminel. Ce schéma simple a perduré jusqu’à la période dite « première globalisation » eu avant 1900, en Grande-Bretagne. Mécanisation et instruments à vapeur accélèrent alors nettement les échanges. À cette époque, Paul Carbone et François Spirito inventent l’industrialisation du crime à Marseille. Alphonse Capone fait de même à Cicero (banlieue de Chicago).
Pince sans rire, Alain Bauer énonce que « le crime est l’étalon de l’économie libérale de marché. Il fonctionne selon les règles de l’entreprise : intégration verticale ; intégration horizontale ; investissements en recherche et développement ; incentives ; développement des zones de chalandise ; seule la gestion de la concurrence est un peu plus déterminée que dans le commerce traditionnel ». Sur le fond toutefois, tout le processus criminel d’aujourd’hui, petit, moyen ou grand, est parfaitement calqué sur le manuel de l’entreprenariat idéal. Il connaît des phénomènes de concentration, des phénomènes de globalisation et, « plus récemment, notamment dans le domaine des stupéfiants, un phénomène de déconstruction des principes fondamentaux, c’est-à-dire le retour de l’hyper au commerce de proximité ».
La globalisation et la diversification criminelle naissent du temps de navires à vapeur (1880/1900). Avant, se distinguaient ceux qui faisaient du racket, ceux qui faisaient de la prostitution, ceux qui faisaient du trafic de drogue et/ou de boissons, ceux qui faisaient de la fausse monnaie… chacun dans sa spécialisation. Carbone et Spirito lancent l’idée de ne pas se restreindre à un produit unique, mais de tout faire, une sorte de plateforme sans interdit avant l’heure. Le film Borsalino, de Jacques Deray, en 1970, avec Alain Delon et Jean-Paul Belmondo propose une version cinématographique de cette épopée.
Capone, pour sa part monoproduit, avait choisi l’alcool en raison de la prohibition : chiffre d’affaires colossal, coûts de corruption et de transport importants, pertes sèches récurrentes, les comptes se soldaient tout de même en bénéfices coquets difficiles à soustraire au fisc. Capone choisit, pour maquiller ses rentrées d’argent hors normes, d’investir dans une chaine de blanchisserie, officiellement excessivement rentable. En gestionnaire bien conseillé, à la fin de la prohibition, il se reconvertit, passant de l’alcool au lait, devenant le plus grand distributeur de lait des USA. Ses marges s’améliorent encore et il s’affranchit de l’illégalité. À Marseille, à Cicero ou à Southampton, la question financière devient centrale dans les organisations criminelles d’envergure, tandis que le truand de dimension classique continue de dépenser ce qu’il vole au fur et à mesure.
Et maintenant
Dans les années 80 survient la crise des Savings
and loan aux États-Unis. Des banques indépendantes locales, dont l’activité
essentielle est le prêt, voient arriver un peu partout dans le pays et au même moment des braves gens habillés en noir sortant d’une
voiture noire et venant ouvrir un compte. Le dossier de prêt est simplissime et l’argumentation pour l’obtenir très convaincante : « Monsieur le directeur, bonjour, nous nous appelons Smith et Jones. Voilà,
on vient vous demander un prêt bénin de 15 000 $. C’est pour un investissement.
Explication : en fait votre femme s’appelle bien Maria et vos enfants Kirk
et Helen. Ils vont bien à l’école maternelle de la rue Roosevelt en passant par
le coin de l’avenue Washington entre 8 heures et 8 heures 15 tous les matins…
Un accident est si vite arrivé ». Ce racket s’appelle le coup de
l’assureur. Le demandeur vous assure contre tout ce qui pourrait vous arriver
si vous ne prenez pas son assurance. Les prêts non remboursés se sont alors
élevés à 100 milliards de dollars aux États-Unis. L’argent pris par cette extorsion
gigantesque a été « offshorisée
» par les mafieux bénéficiaires. Peu après, au Japon, les yakuzas ont réalisé la même
opération auprès de petites banques hypothécaires, indépendantes, non
interconnectées, peu contrôlées du fait de leur taille réduite. Pour la police
nationale nippone, le préjudice avoisine les 90 milliards de dollars. Depuis, tous les cinq à dix ans, une très importante
opération criminelle visant à détourner et blanchir massivement de l’argent
surgit. Il ne s’agit pas de l’économie traditionnelle du crime, mais de détournement abyssal de fonds à l’intérieur du système.
Alain Bauer rappelle que pour le Fonds monétaire international (FMI) ou la banque mondiale, entre le tiers et le quart des dépôts d’argent du Monde sont gris, essentiellement issus de la fraude fiscale. La voie de la fraude fiscale, courtoisement nommée optimisation fiscale, s’ouvre à tous. Elle peut servir aux commissions/rétro-commissions, vente d’armes, d’industrie sensible, etc. "
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