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Le marché de l’art aux prises avec le droit des espèces menacées


jeudi 14 septembre 201711 min
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Le droit positif international et le droit positif français participent désormais à la lutte contre la disparition de la faune et de la flore, plaçant les acteurs du marché de l’art dans une situation inédite.


De nombreuses études récentes, au premier rang desquelles le rapport publié, le 10 juillet 2017, par l’Académie américaine des sciences, dénoncent une catastrophe biologique sans précédent depuis celle qui a vu disparaître les dinosaures il y a 66 millions d’années. Ce serait donc la « sixième extinction de masse », l’extinction des espèces entraînant des conséquences en cascade sur l’ensemble des écosystèmes. Les impacts environnementaux, mais également sociaux et économiques, sont considérables.


Plusieurs phénomènes concourent à ce désastre, de la dégradation des habitats naturels à la pollution en passant par le réchauffement climatique, parmi lesquels est stigmatisée la surexploitation commerciale des espèces animales – victimes d’une chasse intensive et du braconnage. Ce dernier rapporterait chaque année plus de 14 milliards de dollars aux trafiquants.


LA « CITES » OU « CONVENTION DE WASHINGTON »


La régulation du commerce des espèces protégées représente aujourd’hui l’un des principaux modes d’action pour endiguer la dégradation de la biodiversité. C’est l’objet de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction, également connue sous son acronyme anglais  CITES ou sous le nom de Convention de Washington. Adoptée en 1973, effective depuis le 1er juillet 1975, elle compte aujourd’hui 183 États parties et a valeur contraignante.


La convention CITES a donné lieu au sein de l’Union européenne au règlement (CE) n° 338/97 du Conseil du 9 décembre 1996 ainsi qu’à plusieurs règlements connexes de la Commission, qui assurent l’harmonisation de son application à l’échelle communautaire.


La CITES vise à garantir que le commerce international des 40000 espèces d’animaux et de végétaux concernées, qu’ils soient vivants ou morts, pris en totalité ou partiellement (par exemple une défense d’éléphant), ou sous forme de produits dérivés (tels qu’une statuette en ivoire), ne nuit pas à la conservation de la biodiversité. Le système repose sur des permis à l’importation et à l’exportation, délivrés par une autorité nationale désignée. En France, cette tâche revient aux directions régionales de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement aux termes d’un décret en date du 27 février 2009.


Les espèces protégées, aussi bien de faune que de flore, sont réparties par la CITES en trois annexes qui correspondent à trois catégories de protection. La première annexe regroupe les espèces menacées d’extinction à l’échelle internationale, pour lesquelles le commerce est, en principe, proscrit. La deuxième s’occupe des espèces pour lesquelles une régulation de l’exploitation et de la circulation est nécessaire afin d’empêcher une surexploitation. Enfin, la troisième répertorie les espèces pour lesquelles un État a souhaité mettre en place une régulation spécifique, applicable sur son territoire, et sollicite la collaboration des autres États pour détecter les exportations illégales.


L’ÉLÉPHANT ET LE RHINOCÉROS, SYMBOLES DE LA SUREXPLOITATION ET DU TRAFIC ILLICITE


L’éléphant est, à bien des égards, l’exemple le plus connu de ce mécanisme qui confronte le marché de l’art au droit des espèces menacées. Ces dernières décennies, le braconnage d’éléphants a connu une recrudescence inquiétante, en raison d’une croissance continue de la demande d’ivoire sur les marchés asiatiques, et tout particulièrement en Chine.


Le trafic de cornes de rhinocéros s’intensifie tout autant. La poudre qui en est tirée étant supposément dotée de vertus médicinales et aphrodisiaques. La détermination des trafiquants est éloquente, suscitant l’attention redoublée des médias : le 7 mars 2016, en France, le rhinocéros du zoo de Thoiry a été abattu et sa corne, sciée. Pour parer à ce type d’agissements, le Muséum d’histoire naturelle, situé à Paris, a, depuis 2012, remplacé les cornes des rhinocéros empaillés par des imitations en résine, et applique à présent le même procédé pour les défenses d’éléphants.


Mais les réponses pragmatiques ne suffisent pas : c’est pourquoi, le droit positif est redevenu un outil privilégié pour les États désireux de prendre de nouveaux engagements.


En France, l’arrêté ministériel en date du 16 août 2016 marque un tournant : le commerce de l’ivoire brut fait dorénavant l’objet d’une interdiction totale – laquelle souffre peu d’exceptions, notamment l’ancienneté des objets –, de même que la fabrication d’objets en ivoire, désormais prohibée. Le commerce des antiquités en ivoire – c’est-à-dire des spécimens travaillés datant d’avant 1947 –, n’est possible que par le biais de dérogations délivrées au cas par cas.


En sus du commerce en tant que tel, la restauration d’oeuvres et pièces issues de spécimens protégés suit exactement les mêmes règles que le commerce proprement dit, ce qui peut susciter de réels soucis au sein des collections publiques.


Le 4 mai 2017, un nouveau dispositif a été publié, qui modifie l’arrêté de 2016, pour y apporter des précisions et prendre en considération les difficultés pratiques rencontrées, notamment avec les instruments de musique tels que les pianos dotés de touches en ivoire, ou encore avec les objets de coutellerie ou pour fumeurs. Ceci est fait dans le but d’une application plus souple du règlement, liée au pourcentage représenté par la matière litigieuse dans la pièce, à son poids, aux dates d’importation, de fabrication, etc.


Entre-temps, l’annonce du gouvernement chinois, en décembre 2016, d’interdire le commerce et la transformation de l’ivoire d’ici la fin de l’année 2017, a retenti comme un coup de tonnerre, dans un pays qui entretient une tradition millénaire de sculpture et de gravure de l’ivoire. Les ateliers et les nombreux points de revente installés dans la République populaire de Chine sont contraints d’écouler leur stock dans un court laps de temps. Le prix de l’ivoire a, par conséquent, chuté de façon spectaculaire en Extrême-Orient.


Les observateurs – au premier rang desquels plusieurs ONG qui se réjouissent de cette résolution – craignent que le marché des objets en ivoire ne se reporte sur les pays voisins, et en particulier le Cambodge, le Laos et le Vietnam. Sans compter Hong Kong, haut lieu désormais du marché de l’art, qui n’est pas visé par l’interdiction.


LE RÔLE DU MARCHÉ DE L’ART DANS LA PROTECTION DES ESPÈCES MENACÉES


Si l’éléphant et le rhinocéros sont devenus les symboles de la lutte contre le braconnage et la surexploitation des espèces, il ne faut pas oublier que des dizaines d’animaux et de plantes sont inscrits, chaque année, sur la liste rouge des organisations internationales.


Aussi, chacune des conventions des États parties de la CITES – qui a lieu tous les deux ou trois ans, la 17e ayant eu lieu à l’automne 2016 – procède à un reclassement des espèces dans les différentes annexes.


À titre d’exemple, le perroquet gris du Gabon a été inscrit à l’annexe I, après 35 ans en annexe II, ce qui traduit la volonté la communauté internationale de mettre un terme à son commerce. L’oiseau est, entre autres, victime d’une importation massive vers l’Europe afin d’être utilisé comme animal de compagnie ou servir à l’art de la plumasserie. Parmi les espèces végétales, c’est au tour des bois de palissandre – ces arbres servent principalement à la marqueterie et à la lutherie – de voir leur commerce contrôlé.


Le marché de l’art français est devenu bien sensible à ces évolutions. Selon le Fonds international pour la protection des animaux (IFAW), ce sont, en deux mois, pas moins de deux tonnes d’ivoire qui, durant l‘année 2015, transitaient encore dans les maisons de ventes aux enchères installées dans l’Hexagone. Antiquaires, taxidermistes, opérateurs de ventes volontaires, et sites de vente en ligne, ont l’obligation de prouver que l’objet proposé a été fabriqué à partir d’un spécimen prélevé ou capturé avant sa date de protection par la Convention de Washington.


À l’occasion d’une vacation à l’Hôtel Drouot en septembre 2016, ce sont toutefois plusieurs coiffes en plumes de perroquets d’Amazonie qui ont été retirées de la vente après l’intervention des services douaniers, les commissaires-priseurs n’ayant pas été en mesure de fournir les certificats exigés. Le 19 décembre 2016, l’Hôtel Drouot a de nouveau été le théâtre d’une importante saisie d’articles proposés sans certificats (manteauxen peau de lynx ou de panthère, chaussures ou sacs en peau de crocodile, etc.)


Le 19 juin 2017, la cour d’appel de Caen a condamné à 10 000 euros d’amende une collectionneuse d’animaux naturalisés pour avoir voulu céder, sans certificat, et dans le cadre d’une vente prévue à l’Hôtel Drouot en 2013, les 4 000 spécimens qu’elle avait réunis, avec son mari, en soixante ans de recherches, de chasse et de ventes aux enchères. La propriétaire avait été incapable de fournir les certificats attestant de la légalité de certaines de ses acquisitions, parmi lesquelles figuraient un tigre, un loup du Canada et un panda roux. Certains sites de vente d’objets de seconde main, qui proposaient des spécimens vivants ou des objets d’art issus d’espèces protégées ont, depuis peu, réduit très largement le nombre d’annonces problématiques.


Les sanctions à l’importation, l’exportation et la vente d’oeuvres d’art ou de tout objet sans permis CITES sont, en droit français, prévues par le Code de l’environnement. Depuis la loi sur la biodiversité du 8 août 2016, le montant de l’amende maximale a été décuplé, montant allant jusqu’à 150 000 euros. Au titre du Code des douanes, les infractions sont par ailleurs passibles de la confiscation de l’objet, d’une amende comprise entre une et deux fois sa valeur et d’une peine d’emprisonnement de trois ans.


Les acheteurs comme les vendeurs, professionnels ou non, doivent donc redoubler de vigilance et s’assurer systématiquement que les documents CITES accompagnent leur acquisition. Les commissaires-priseurs sont invités à acquérir des réflexes de vérification, en présence d’un spécimen sauvage ou d’un objet qui en est issu, en consultant les annexes de la CITES ou en interrogeant i-CITES (https://cites.application.developpement-durable.gouv.fr/accueilInternaute.do), la plateforme en ligne mise à disposition par le ministère de la Transition écologique et solidaire pour demander, instruire et délivrer les documents CITES.


Ceci ne résoudra pas, pour l’heure, le cas des dizaines de milliers d’objets détenus sur le sol français depuis déjà bien longtemps, lesquels échouent chaque année dans des successions et finissent par rejoindre un marché parallèle.


 

Emmanuel Pierrat,

Avocat au barreau de Paris,

Pierrat & de Seze,

Membre de l’Institut Art & Droit,

Conservateur du musée du barreau de

Paris,

Membre du Conseil national des barreaux,

Ancien membre du conseil de l’Ordre

Avec l’aide de Gauthier Vuillaume,

Juriste,

Pierrat & de Seze

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