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jeudi 12 novembre 20206 min
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12/11/2020 12:36:39 1 1 2290 10 0 1567 2197 2262 Exigence d’unanimité et transformation en SAS d’une société d’un autre type Cour d’appel de Paris, Pôle 5, chambre 8, 1er septembre 2020, n° 15/16586


On sait que la transformation d’une société en Société par actions simplifiée (SAS) requiert l’accord unanime de tous les associés (art L. 227-3 du Code de commerce (1)). Cette règle très contraignante a été établie en contrepartie des risques pouvant découler de la grande liberté contractuelle dont cette structure bénéficie. L’idée était que nul ne puisse se retrouver actionnaire d’une SAS sans l’avoir voulu (2). L’unanimité s’entend de l’accord unanime de tous les associés de la société et non du seul accord des personnes présentes ou représentées lors d’une assemblée votant la transformation (3). Encore qu’aucun texte ne le dise expressément, la sanction de la méconnaissance de la règle paraît devoir être la nullité de la décision de transformation (4).


Cette exigence d’unanimité qui semble à divers points de vue datée a conduit la pratique à rechercher des solutions de contournement de la difficulté. Ces solutions n’étaient pas nécessairement dictées par la volonté de frauder les droits de certains associés. Bien souvent, la question des titres en déshérence constitue un obstacle quasi-infranchissable dans l’état actuel de notre droit. On ne peut pas davantage ignorer que des associés sont parfois animés par la seule volonté de nuire. Tenter de racheter leurs titres à ces derniers n’est pas toujours bien venu ; décider de les exclure est un choix souvent hasardeux, sauf à pouvoir s’appuyer sur une disposition statutaire de la société aspirant à sa transformation.


Les solutions un peu trop radicales ont fait l’objet d’une sanction judiciaire : ainsi le fait de faire absorber par une SAS la société que l’on veut transformer n’a pas trouvé grâce devant la Cour de cassation. La voie semble confortable puisque la société que l’on entend transformer est dissoute, son patrimoine est transmis à la SAS absorbante (5). La cour d’appel de Versailles dont l’arrêt était cassé s’en était tenue à une lecture stricte de l’article L. 227-3 du Code de commerce, et avait donc validé l’opération (6). 


Des techniques moins brutales ont été évoquées qui n’ont pas donné lieu à contentieux, telle l’idée de procéder à un apport partiel d’actif au profit d’une SAS et donc de procéder par voie de filialisation (7). On ne peut pas exclure que soit évoquée la fraude à la loi par un associé qui aurait la conviction que la manœuvre aurait pour objet de le mettre à l’écart. Mais à vrai dire, la question serait la même si était choisie une autre forme sociale, comme par exemple une commandite.


La jurisprudence est très rare sur la question de la transformation d’une société en SAS, ce qui donne beaucoup d’intérêt à la décision commentée.


Dans la présente affaire, c’est un choix différent de ceux précédemment évoqués pour contourner la difficulté qui a été opérée. Les associés d’une société en participation (SEP) souhaitaient transformer cette dernière en SAS, mais se heurtaient à la résistance d’une associée. Afin de dépasser cette opposition, ils décidèrent de créer une SAS en charge de gérer la SEP, en la nommant gérante statutaire. Par ailleurs, la SAS reprenait le personnel de la SEP, pour l’exécution de prestations jusqu’ici accomplies par cette dernière. L’associée minoritaire devait contester la décision, arguant de ce que les associés majoritaires de la SEP avaient commis une fraude afin d’obtenir un résultat équivalent à une transformation de la SEP en SAS. Elle demandait donc la nullité de la SAS.


La cour d’appel rejette la demande en écartant la réalité d’une fraude. Elle observe que les associés d’une société sont libres de décider la constitution d’une nouvelle entité à côté de celle existante. Ni l’identité d’associés, ni l’identité de siège social, ni la proximité de la dénomination sociale ne signifient une disparition de la SEP. Elle observe d’autre part que l’associée minoritaire avait la possibilité de souscrire des titres de la SAS, ce qu’elle n’a pas fait pour des raisons qui lui étaient personnelles.


La fraude étant ainsi écartée, la discussion sur le point de savoir si cette fraude peut entraîner la nullité est également écartée. À vrai dire, il ne semble guère douteux que cette nullité pourrait être retenue par le juge français : la doctrine semble unanime sur ce point (8).


Le malaise que rencontre la pratique avec la règle d’unanimité – même si, comme dans la présente affaire, il ne débouche pas sur une sanction – doit inciter le législateur à revenir sur un principe suranné. La SAS est moins originale aujourd’hui que lors de sa création. Elle s’est développée de manière exponentielle, franchissant la barre des 800 000 unités. Il devient difficile de la considérer comme une forme qui serait marginalisée par sa souplesse.


La difficulté tient à l’équilibre qui doit être recherché entre deux considérations. La première est que la situation d’associés dont on ignore ce qu’ils sont devenus n’est pas si rare et qu’il faut donc pouvoir transformer les sociétés nonobstant les contraintes découlant de cet état de fait.
La seconde est qu’il ne faut pas encourager la tentation qui pourrait être celle d’imposer à des minoritaires le statut d’associé de SAS avec pour objectif de réduire leurs prérogatives.


Le Haut Comité juridique de la Place financière de Paris a fait une proposition qui pourrait retenir l’attention du législateur (9). L’article L. 227-3 du Code de commerce pourrait être ainsi libellé : « La transformation en société par actions simplifiée est décidée collectivement par des associés représentant à la fois 95 % du capital et 95 % des droits de vote et, pour les sociétés en commandite, avec l’accord de la majorité des associés commandités.


Lorsque les parts ou actions de la société transformée sont grevées d’usufruit, le vote afférent à la décision de transformation est exercé par l’intermédiaire d’un mandataire unique désigné d’un commun accord par l’usufruitier et le nu-propriétaire ou, à défaut d’accord, en justice à la demande du plus diligent. » Les membres du groupe de travail ont décidé de viser les associés représentant à la fois 95 % du capital et 95 % des droits de vote, en raison de la multiplication des actions à droit de vote multiple.


On peut espérer que cette proposition très raisonnable pourra être adoptée à un horizon proche.



NOTES :

1) Voit L. Godon, La société par actions simplifiée, Lextenso 2014, n° 207 et s ; M. Germain et P-L. Périn, La société par actions simplifiée, Éditions Joly 2016, n° 242 et s.

2) L. Godon, op cit, n° 208.

3) CA Versailles, 24 février 2005, n° 03-07294, Bull Joly 2005, p. 557, note P. Le Cannu ; D. Bert et T. Lakhdari, D 2005, p. 1853 ; JCP E 2005 , 731, note J.P. Legros ; AJ 1084, obs.Lienhard ; Rev sociétés 2005, 697, obs Urbain-Parleani ; Droit et patrimoine 9/2005, 115, obs D.Poracchia ; BRDA 2005 n°8, p 2 ; RJDA 2005, n° 719 ; JCP E 2005, 1046, p. 1169 n° 6, Chronique Caussain, Deboissy, Wicker.

4) CA Versailles 24 février 2005 précité.

5) Cassation commerciale 19 décembre 2006, n° 05-17802 ; Bull Joly 2007, p. 506, note A. Couret ; JCPE 2007, 1192, note A.Viandier ; Rev sociétés 2007, p. 93, note P. Le Cannu ; D 2007, p. 630, note L. Godon ; Droit des sociétés 2007, n° 51, note H.Hovasse ; Defrénois 2007, p. 1150, note B. Thullier. ; RJ com 2007 54, note Ginestet.

6) 27 janvier 2005, n° 03-04697, Rev sociétés 2005, p. 699, note I. Urbain-Parleani, Droit des sociétés 2005, n° 136, note H. Hovasse ; JCP E 2005, 1416, note N. Mathey.

7) P. Le Cannu, Un lieu de savoir-faire contractuel : la société par actions simplifiée, Defrénois 1994, p. 1356

8) M. Germain et P-L.Perin, op cit, n° 244 ; L. Godon, op cit, n° 212.

9) Le régime juridique de la SAS, 29 septembre 2019, § 28.



Alain Couret,

Professeur émérite de l’université Paris I Panthéon Sorbonne,

Avocat associé KPMG Avocats


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