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Une conférence du Salon virtuel de la généalogie
Le 27 juin dernier s’est déroulé le premier Salon virtuel de la généalogie en France, un événement créé à l’initiative de cinq experts dans le domaine, et co-organisé par GénéAgenda, l’agenda des événements généalogiques. Pendant une journée, les généalogistes ont pu naviguer virtuellement parmi les stands des 130 exposants, assister à plus d’une trentaine de conférences et webinaires, mais aussi discuter entre eux sur des forums publics et privés, et accéder à certaines bases de données des exposants. Nous revenons ci-dessous sur la conférence de Nathalie Jovanic-Floricourt sur les tests ADN au service de la généalogie.
En raison de la crise sanitaire, le Salon de la Généalogie de Paris en mars 2020 a été le dernier événement généalogique national auquel ont pu participer les généalogistes et, depuis, de nombreux organisateurs ont dû annuler leur manifestation. L’idée d’un salon virtuel de la généalogie est donc née du confinement dans la tête de Philippe Christol, généalogiste professionnel, spécialiste des recherches en Pologne et habitué des salons généalogiques.
Ce dernier a suggéré à l’équipe de GénéAgenda, site d’agenda généalogique communautaire qui recense toutes les manifestations généalogiques dans l’Hexagone, de réfléchir à ce projet pour compenser l’absence de salons physiques.
Une équipe organisatrice s’est donc constituée autour de Marine Leclercq-Bernard, Isabel Canry, Alain Rouault, Éric Ferra et Philippe Christol.
L’objectif de ce salon virtuel était de « calquer le salon traditionnel physique », a expliqué Alain Rouault en charge de la communication du salon. Le site du salon regroupe donc un hall d’exposants, un espace dédié aux conférences et webinaires pour se former, un espace d’animations avec forums publics et privés, et un espace d’informations avec mise à disposition de ressources pédagogiques.
Il s’agit en outre d’une démarche bénévole puisque la manifestation était totalement gratuite pour les visiteurs comme pour les exposants.
Parmi les différents webinaires proposés lors de cette manifestation, nous nous sommes particulièrement intéressés à l’exposé de Nathalie Jovanovic-Floricourt sur les tests génétiques utilisés en généalogie. Nathalie Jovanovic-Floricourt est auteure de l’ouvrage L’ADN, un outil généalogique et créatrice de DNA Pass, association européenne dédiée à tous les aspects de la génétique.
Les tests génétiques pour la généalogie
D’abord, il convient de rappeler qu’en France, il est interdit de réaliser des tests ADN sans ordonnance médicale, injonction judiciaire ou projet de recherche strictement défini (cf. article 16-10 du Code civil). D’ailleurs, il s’agit d’un des rares pays où la pratique des tests ADN est interdite hors de ces cadres. En effet, les tests génétiques sont autorisés depuis longtemps aux USA, dans toute l’Union européenne et presque partout dans le monde – excepté en Pologne et en Corée du Nord – pour découvrir ses origines familiales, ethniques, retrouver des cousins génétiques, mais aussi pour permettre aux adoptés, nés sous X, ou issus d’un don de gamète de connaitre leurs filiations.
Chaque année cependant, malgré l’interdiction et le risque encouru d’une amende de 3 750 euros en cas d’achat de test ADN, pas moins de 1 500 Français utilisent des tests achetés sur internet à des laboratoires étrangers.
Pour certains généalogistes – dont fait partie Nathalie Jovanic-Floricourt – cette interdiction des tests d’ADN est incompréhensible, car ils estiment que cela est contraire à la législation européenne sur le droit aux origines, droit internationalement reconnu par les institutions mondiales et par le ministère de la Santé français. En outre, pour l’intervenante, les tests génétiques sont d’une aide précieuse pour le travail des généalogistes en France. Pour quelles raisons ?
Généalogie classique et généalogie génétique, quelles différences ?
La généalogie classique est basée sur des actes déclaratifs tels que des actes d’états civils, des registres religieux, des actes notariés, des cadastres, des archives judiciaires, mais aussi toutes traces écrites, documents officiels ou non permettant de retracer la vie de ses aïeuls.
Pour Nathalie Jovanic-Floricourt, la généalogie classique présente toutefois des limites, car certains des documents sur lesquels se basent les généalogistes sont parfois manquants, incomplets, voire faux. En outre, selon elle, certains généalogistes ont parfois une vision limitée de la vie de nos ancêtres. Puisqu’ils s’appuient exclusivement sur les trois principaux actes que sont l’acte de naissance, de mariage, et de décès, ils imaginent que leur existence était « très statique et immobile ». Or, selon l’experte, nos aînés se déplaçaient beaucoup, parfois temporairement certes, mais ils pouvaient aussi migrer d’une région à une autre, d’un pays à un autre ou même changer de continent.
La généalogie génétique quant à elle permet de déterminer tous les cousins biologiques (dans des limites temporelles de huit générations en moyenne) au-delà de nos frontières.
La pratique d’un test génétique a pour but de confirmer, compléter ou infirmer tout ou partie de son arbre généalogique.
En ce sens les tests génétiques « constituent un outil complémentaire, parfois unique, indispensable et incontournable à la généalogie classique ».
« Certains ont voulu opposer une généalogie classique aux tests de généalogie génétique », a dénoncé Nathalie Jovanic-Floricourt, « en déclarant que la généalogie génétique remplaçait la généalogie classique en ‘‘ créant ’’ un arbre généalogique automatiquement ». Or, a-t-elle rappelé, « sans arbre généalogique associé, on ne peut rien en faire [des tests ADN] ». Bref, la généalogie génétique est simplement la continuité de la généalogie classique et elle a aussi ses limites.
Quels sont donc les différents tests génétiques ? Quels sont les cas où ceux-ci sont incontournables ? Quelles sont leurs limites biologiques et temporelles ?
Les principaux tests ADN
Les laboratoires permettent de réaliser un ou plusieurs test(s) (combinés ou spécifiques) et donnent accès à une base de données des autres testés génétiquement partageant des segments d’ADN (appelés matches ou correspondances).
Trois types de tests peuvent être effectués, a énuméré Nathalie Jovanic-Floricourt : l’analyse mitochondriale, qui concerne la généalogie archéologique, l’analyse autosomale, la plus commune, qui est liée à la généalogie ethnique et génétique, et l’analyse du chromosome Y.
Dans le détail, l’ADN mitochondrial est transmis par la mère à ses enfants, mais le fils ne pourra le transmettre, seule la lignée féminine en a la capacité. Il s’agit d’un ADN qui varie très peu, a ajouté l’intervenante, et qui permet donc de remonter très loin dans le temps, c’est-à-dire jusqu’à la plus ancienne ancêtre féminine de l’humanité. Les découvertes archéogénétiques nous ont ainsi appris que nos ancêtres sont partis d’Afrique, ont migré en Afrique du Nord, et se sont répandus ensuite par vagues successives dans le monde entier, sur tous les continents. Grâce à l’ADN mitochondrial, nous pouvons retracer l’arbre généalogique de l’humanité. Dans cet arbre appelé aussi phylogénétique, nous sommes classifiés avec des numéros en haplogroupes. Ces haplogroupes peuvent nous permettre de retrouver notre plus ancienne ancêtre du côté maternel, de savoir de quelle région elle venait à cette époque, etc.
Le test autosomal est le test le plus répandu. Il correspond aux 22 paires de chromosomes et aux chromosomes sexuels X/Y que nous possédons tous. Cet ADN autosomal est transmis par les parents qui vont en transmettre chacun la moitié, à chaque enfant, et ainsi de suite de génération en génération. Celui-ci permet de cerner les origines ethniques et d’identifier les segments d’ADN de nos ancêtres que l’on partage avec nos cousins génétiques. Concrètement, a précisé Nathalie Jovanic-Floricourt, chacun d’entre nous possède un ensemble de segments d’ADN qui provient de ses parents, mais aussi de ses grands-parents, arrières-grands-parents… En termes de pourcentage, on peut dire, selon l’experte, que l’on hérite à 50 % de nos parents, 25 % théoriquement de nos grands-parents (mais cela peut varier), 12,5 % de nos arrières-grands-parents, etc. Cet ADN autosomal est partagé avec nos frères et sœurs puisque nous partageons 50 % d’ADN en commun avec ces derniers, 25 % avec nos oncles et tantes (en théorie), et 12,5 % avec nos cousins et cousines.
On évalue ces pourcentages en centimorgan (unité de mesure qui quantifie le lien entre deux gènes), et c’est à partir de ces mesures que les généticiens vont pouvoir envisager, ou non, un degré de parenté théorique.
Toutefois, ce test est assez limité dans le temps. En effet, alors qu’avec l’ADN mitochondrial on peut remonter à des dizaines, centaines de milliers d’années, en ce qui concerne l’ADN autosomal on estime que l’on hérite, avec certitude, des six générations qui nous précèdent. Après un bref calcul, à partir d’aujourd’hui, on peut donc estimer que nous avons en nous l’ADN de nos ancêtres depuis 1810 (si on compte 30 ans en moyenne entre chaque enfant).
Certaines personnes peuvent remonter jusqu’à huit générations, et les populations endogamiques (qui se sont mariées entre cousins, petits-cousins…) peuvent même remonter jusqu’à 12-13 générations.
Enfin, l’ADN du chromosome Y est, lui, transmis seulement par les hommes, de père en fils, de manière quasi inchangée ce qui permet aussi de remonter jusqu’aux origines archéologiques. Ce test permet également d’identifier tous les hommes qui partagent le même chromosome Y dans une branche familiale, et aussi tous les cousins génétiques du côté paternel.
Intérêt pour un généalogiste de faire de la généalogie génétique
Plusieurs utilisations peuvent être faites des tests génétiques, a déclaré l’experte avant de donner quelques exemples.
Imaginons que les Dupont veulent savoir si les Dupond sont de la même branche qu’eux. Ils font faire chacun de leur côté le test du chromosome Y – lié aux hommes et donc au nom patronymique – ce qui va leur permettre d’identifier les différentes branches familiales et de voir si elles ont des liens entre elles, même si leurs ancêtres ont quitté la région, ou sont partis dans un autre pays.
En effet, quand ils émigraient dans un autre pays, nos aînés avaient pour habitude de changer de nom de famille pour mieux s’intégrer dans leur nouvelle patrie. L’analyse du chromosome Y peut ainsi révéler l’existence d’un même ancêtre commun qui réunirait les Dupont en France, les Puente en Espagne, les Bridges en Angleterre, les Brücke en Allemagne, car l’ADN a lui perduré.
Avec les tests génétiques, on peut aussi se découvrir des origines ethniques inattendues qui peuvent être révélatrices d’une énigme dans son arbre généalogique : un cousin génétique inconnu, un cousin généalogique qui n’est pas un cousin génétique, etc.
Nathalie Jovanic-Floricourt a alors raconté l’histoire de l’Américaine Alice Collins Plebuch qui effectua à 69 ans un test ADN « pour s’amuser ». Celle-ci se découvrit alors pour moitié des origines ashkénazes (juives) et d’Europe de l’Est, au lieu d’une origine 100 % irlandaise (ce à quoi elle s’attendait). Elle a alors entamé un travail de généalogie génétique pour essayer de comprendre cette énigme.
Qu’est-ce qui pouvait expliquer cela ? Alice Collins Plebuch a alors pensé qu’un de ses parents avait commis un adultère. Elle a donc fait tester ses frères et sœurs qui se sont avérés eux aussi à moitié juifs (il faut en effet toujours faire tester les autres membres de sa famille pour identifier les ancêtres communs).
Pour finir, elle a découvert que son père, né en 1913, avait été échangé à la maternité. Deux familles s’étaient retrouvées ensemble à la maternité, une famille juive et une famille irlandaise. À cause de l’erreur du médecin, la famille irlandaise est repartie avec un petit garçon juif, et la famille juive avec un petit irlandais.
Cette vérité a éclaté grâce à un de ses cousins du côté paternel (qui avait accepté de se faire tester) qui s’est avéré n’être pas un cousin génétique d’Alice.
De son côté, ce dernier s’est découvert une cousine génétique, une certaine Jessica Benson qui elle pensait être totalement juive, alors qu’elle était en grande partie irlandaise. Alice Collins Plebuch l’a alors contactée et a découvert que le père d’Alice et le grand-père de Jessica étaient nés le même jour et que le médecin avait interchangé par erreur les deux nourrissons.
Ainsi, c’est seulement grâce aux tests génétiques qu’Alice Collins Plebuch a pu découvrir cette origine ethnique inattendue, qui l’a par conséquent poussée à en trouver l’explication. Il reste que si les deux bébés échangés avaient été de la même origine ethnique, elle n’aurait sans doute pas creusé le sujet et n’aurait donc pas découvert la vérité.
L’histoire d’Alice Collins Plebuch est singulière, mais pas rare. On appelle ces évènements singuliers des évènements non filiatifs, c’est-à-dire des événements inconnus intervenus dans l’arbre généalogique et révélés par un test génétique. On trouve dans cette liste des échanges à la maternité, des adoptions cachées, des enfants kidnappés, des adultères… Mais selon les experts, ces évènements sont surestimés. En effet, les études des généticiens des populations ont établi que ces phénomènes étaient actuellement de l’ordre de 1 % en moyenne en Europe.
Cependant, pour les généalogistes, sur les six générations précédentes, ce chiffre passe à 40 %. Il y a ainsi quasiment une chance sur deux qu’un de nos 128 ancêtres déclarés officiellement ne soit pas notre ancêtre génétique. Il s’agit d’une moyenne, a précisé Nathalie Jovanic-Floricourt, car en fonction des époques, les statistiques peuvent augmenter ou diminuer.
Avec la généalogie génétique on peut aussi découvrir le père naturel inconnu de sa généalogie, les parents d’un enfant abandonné ou un ancêtre qui a changé d’identité pour fuir des persécutions ou parce que c’était un criminel.
Comment peut-on découvrir son père naturel par exemple ?
Généralement parce qu’il aura lui-même fondé une famille et aura des enfants qui seront alors nos cousins génétiques. Dans le cas où celui-ci n’a pas fondé d’autre famille (si par exemple il s’agissait d’un soldat de passage dans une région et mort avant de se marier), il devait quand même avoir des frères et sœurs qui eux ont des descendants. Ainsi via le cousinage qu’on retrouvera avec eux, on pourra identifier le père naturel.
Faire un test génétique (chromosome Y ou autosomal) peut également permettre d’élargir son arbre, avec des ancêtres partis dans une autre ville, pays, continent, des enfants inconnus car non déclarés, etc.
On peut aussi user de la généalogie génétique pour confirmer une hypothèse. Par exemple si on pense avoir un lien familial avec quelqu’un, on peut demander à ses descendants de faire un test génétique pour avoir la confirmation ou non de cette suspicion.
« Ainsi dans bien des cas, les tests génétiques seront l’unique possibilité pour identifier et compléter son arbre généalogique, avec parfois des ancêtres inattendus » a conclu l’experte.
Maria-Angélica Bailly
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