Louis-Ferdinand Céline face à ses juges lors de l’épuration


mardi 13 septembre 20226 min
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Louis-Ferdinand Destouches, plus connu sous le nom de plume de Céline, est une figure extrêmement controversée. C’est à la fois un très grand écrivain qui inventa dans ses romans, notamment dans le plus connu Voyage au bout de la nuit, un style profondément original incorporant dans la langue écrite le langage oral, et un personnage sulfureux impliqué dans la Collaboration et qui témoigna d’un antisémitisme virulent, notamment dans ses pamphlets tels que Bagatelles pour un massacre, L’école des cadavres ou encore Les beaux draps...

À la Libération, il fit l’objet, dans le cadre de ce qu’on a appelé l’épuration, de poursuites judiciaires à la fois en raison de sa collaboration avec l’Allemagne nazie et de son antisémitisme. Céline prit la fuite d’abord en Allemagne à Baden-Baden le 17 juin 1944 puis au Danemark où accompagné de son épouse Lucette, il arriva le 27 mars 1945. Il est symptomatique de relever que le couple s’est vu accorder le droit d’entrée au Danemark, alors sous occupation allemande, par le représentant du Reich, Werner Best, membre du parti nazi et qui jusqu’en 1942 en poste à Paris dans le cadre de la police militaire a participé sous l’autorité d’Himmler à la répression des juifs1. Durant cet exil danois, Céline, qui fait l’objet d’une demande d’extradition des autorités judiciaires françaises, sera incarcéré le 17 décembre 1945 à la prison de l’Ouest à Copenhague ; son séjour en détention durera 17 mois.

Céline a ainsi été initialement inculpé d’intelligence avec l’ennemi, et plus précisément pour avoir « en temps de guerre, sciemment accompli des actes de nature à nuire à la défense nationale avec l’intention de favoriser les entreprises de toute nature de l’Allemagne, puissance ennemie de la France ou de l’une quelconque des nations alliées en guerre avec les puissances de l’Axe2 ». Puis après instruction de son dossier à la fin de l’année 1949, il a été définitivement inculpé pour « actes de nature à nuire à la défense nationale ». Il a été déclaré coupable de ce chef d’infraction et condamné par la Cour de Justice de la Seine par contumace le 21 février 1950 à une peine d’un an d’emprisonnement, à 50 000 francs d’amende ainsi qu’à la confiscation de la moitié de ses biens présents et à venir et frappé d’indignité nationale. L’avocat de Céline, Jean-Louis Tixier-Vignancour, ayant ensuite déféré ce dossier au tribunal militaire de Paris, cette juridiction a rendu le 21 avril 1951 un jugement d’amnistie. Céline revint en France en juillet 1951. Le procureur général ayant formé un pourvoi en cassation contre le jugement du tribunal militaire de Paris, la Cour de cassation, par un arrêt en date du 6 décembre 1951, a prononcé le Cassation de principe « dans l’intérêt de la loi » de cette décision d’amnistie ce qui aboutira en fait au maintien de l’amnistie. Céline aura ainsi bénéficié d’un sort judiciaire extrêmement clément.

Durant la période où il est détenu à la prison de l’Ouest à Copenhague et au cours de laquelle il écrira beaucoup, aussi bien dans ses Cahiers de prison que dans sa correspondance avec son avocat danois, Maître Thorvald Mikkelsen, il tente de forger un argumentaire en vue de sa défense dans le cadre de la procédure judiciaire diligentée à son encontre.

À cette occasion avec son verbe acerbe de pamphlétaire, Céline fustige sans cesse et non sans mauvaise foi les juges. Il campe volontiers dans une posture de victimisation face aux juges de l’épuration et en vient même à leur dénier toute légitimité.

 

 


Louis-Ferdinand Céline campant volontiers dans une posture de victimisation face aux juges de l’épuration

Une posture de victimisation expliquant les poursuites judiciaires par la jalousie littéraire

Louis-Ferdinand Céline de manière récurrente dans les écrits relatifs à sa défense aime camper dans une posture de victimisation. Il est victime de la vindicte des juges français de l’épuration dont le zèle est sous tendu notamment par la jalousie littéraire dont il n’a cessé de faire l’objet. Il témoigne à ce sujet d’un orgueil voire d’une mégalomanie que rien ne vient tempérer ; il met en exergue les véritables motifs qui selon lui motivent les poursuites judiciaires qu’on diligente à son endroit. Il souligne ainsi que l’institution judiciaire est en quelque sorte instrumentalisée par beaucoup d’écrivains envieux de son succès ; il stigmatise à ce sujet dans ses Cahiers de prison : « la haine irréductible de presque tous les littérateurs français jaloux à crever de mon succès subit inouï, de mon entrée fracassante avec Voyage au bout de la nuit, qui a bouleversé tout le style du roman français3. » Plus loin il indique à propos des ressorts de cette vengeance ourdie selon lui par la magistrature à son endroit : « Dans mon cas viennent s’ajouter des haines littéraires, artistiques toutes spéciales [...] mes pires ennemis veulent bien reconnaître que j’ai bouleversé le style français – je suis parvenu à relier à fondre ce qui n’avait jamais été fait: la langue parlée avec la langue écrite créant aussi ce style nouveau que mes pires ennemis doivent bien actuellement de gré ou de force copier ou emprunter – en France cela ne se pardonne pas – Si l’on avait à leur époque trouvé quelque bon prétexte pour fusiller les impressionnistes Manet, Monet [...] la foule l’aurait fait avec plaisir4 ».

Céline n’hésite pas à se comparer souvent aux plus grands écrivains de la littérature française, en proie comme lui à des persécutions. Dans ses Cahiers de prison il écrit notamment : « Ce n’est pas pour rien qu’à travers les siècles presque tous les écrivains français ont dû prendre l’exil pour une plus ou moins longue durée - Victor Hugo 20 ans - Chateaubriand 6 ans - Ronsard et du Bellay - Vallès5”. Il revient sur cet argument dans sa correspondance et notamment dans un courrier adressé à son avocat, Maître Mikkelsen où il écrit: « combien sont nombreux les écrivains français qui à un moment ou l’autre ont dû fuir leur Patrie! Presque tous furent exilés... depuis Villon jusqu’à Verlaine, Daudet, en passant par Zola, Chateaubriand, Lamartine, Chénier...hélas guillotiné... Bien entendu je ne vous apprends pas que la persécution est presque la règle dans nos Lettres et l’exil...6 »

Mais paradoxalement cette posture de victimisation le conduit pour réfuter l’accusation d’antisémitisme, à témoigner de négationnisme – donc à nier purement et simplement la réalité des persécutions antisémites et notamment des camps d’extermination nazis.

 

 

Une posture de victimisation qui le conduit à témoigner de négationnisme

Louis-Ferdinand Céline l’affirme péremptoirement en suggérant qu’il est la victime d’attaques injustes à ce sujet : « je n’ai jamais dans mes livres recommandé aucune action antisémite7 ». Il paraît ce faisant oublieux du fait que dans ses pamphlets il a réclamé l’expulsion des juifs. De plus pour écarter l’accusation qui lui imputerait d’avoir incité à des persécutions antisémites, il glisse sur le terrain d’une forme avérée d’antisémitisme, en se livrant à ce que l’on nomme maintenant du négationnisme. Il écrit notamment de manière surprenante dans des termes qui ne peuvent que susciter l’indignation : « Il n’y a jamais eu de persécutions juives en France. Ils ont toujours été parfaitement libres de leurs personnes et de leurs biens en zone de Vichy. – en zone nord ils ont reçu pendant quelques mois une petite étoile (quelle gloire!). Et l’on a confisqué que quelques biens juifs (avec mille chichis!) Que l’on leur a rendus depuis lors et comment ! dix fois la mise ! » Cette affirmation est d’autant plus étrange que depuis mai 1945 circulait des informations sur la réalité des camps d’extermination nazis et sur les nombreuses persécutions alors perpétrées à l’égard des juifs ainsi que sur la spoliation méthodique dont ils ont fait l’objet. L’auteur du Voyage au bout de la nuit le savait alors parfaitement.

Mais Louis-Ferdinand Céline en vient même à dénier toute légitimité aux juges de l’épuration.

 




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