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La Mission de
recherche Droit et Justice, en partenariat avec le Laboratoire Printemps et
l’École nationale de la magistrature (ENM), a organisé un colloque consacré à
la profession de magistrat, les 30 et 31 janvier derniers, dont le fil rouge
était la recherche que la Mission a soutenue entre 2016 et 2019 : « L’âme du corps. La magistrature
française dans les années 2010 ». Des
travaux conduits par les sociologues Yoann Demoli et Laurent Willemez, enseignants-chercheurs
à l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (Laboratoire Printemps).
En 2016, dans un souci d’objectivation des
caractéristiques des magistrats français et pour remettre à jour les études
sociodémographiques leur ayant été consacrées, la Mission de recherche Droit et
Justice a lancé une recherche sur la profession de magistrat dans les années
2010. Les sociologues Yoann Demoli et Laurent Willemez, enseignants-chercheurs
à l’université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, ont relevé le défi.
Leurs recherches visent à établir la morphologie du corps, mais aussi à
interroger les conditions de travail et les représentations du métier et de ses
membres, en remettant à jour les résultats des enquêtes réalisées dans les
années 1980 et 1990 par Jean-Luc Bodiguel et Anne Boigeol. Durant leurs
investigations, Yoann Demoli et Laurent Willemez ont bénéficié de l’appui d’un
comité de suivi réunissant des représentants de l’École nationale de la
magistrature (ENM), de la Direction des services judiciaires, de la
Sous-direction de la statistique et des études du ministère de la Justice,
ainsi que de chercheurs extérieurs. Leur rapport final a été remis fin 2019. La
Mission de recherche Droit et Justice a donc souhaité présenter ses principaux
résultats lors d’un colloque de restitution, les 30 et 31 janvier derniers, en
présence notamment d’Olivier Leurent, directeur de l’ENM, et de Valérie Sagant,
directrice de la Mission de recherche Droit et Justice à destination des (futurs) professionnels de justice et
des enseignants-chercheurs.
La Mission de recherche Droit et Justice a également
voulu associer à cet évènement les auteurs d’autres travaux universitaires
également conduits sur ces thématiques, et notamment ceux réalisés dans le
cadre de son appel à projets « Les
ressources humaines des magistrats en France et en Europe » lancé en
2018 et conduit par Estelle Mercier, Sylvie Pierre-Maurice, et Lionel Jacquot
de l’université de Lorraine.
Comment les sciences sociales et leurs méthodes peuvent-elles
éclairer les logiques de fonctionnement et d’évolution de la catégorie
professionnelle des magistrats français régulièrement questionnée dans le
champ politico-médiatique ? Comment les situer par rapport à leurs
homologues européens et aux autres grands corps de la fonction publique ?
Telles ont été les problématiques principales soulevées au sein des différentes
tables rondes de ces deux journées de colloque. La première d’entre elles, « Travailler
sur les magistrats : méthodes et modélisations. Coulisses des recherches », était présidée par Sandrine
Zientara-Logeay, avocate générale à la Cour de cassation, ancienne directrice
de la Mission de recherche Droit et Justice, et coordinatrice du rapport « La Féminisation des métiers du ministère de
la Justice ». À cette occasion, Yoann Demoli et Laurent Willemez ont
présenté les résultats de leurs recherches.
L’ÂME DU CORPS. LA MAGISTRATURE FRANÇAISE DANS LES ANNÉES 2010
Les sociologues Yoann Demoli et Laurent Willemez ont
livré dans le rapport « L’âme du corps.
La magistrature française dans les années 2010 : morphologie, mobilité et
conditions de travail », un portrait de ce que sont les magistrats
d’aujourd’hui, tout en formulant des pistes de réflexion sur les conditions de
travail et les représentations du métier de magistrat. Le rapport de recherche s’articule autour de deux
éléments liés : l’analyse des carrières individuelles et l’unité d’un
corps. Les grandes problématiques actuelles sont également posées : la
place des femmes et l’enjeu de la féminisation, la question des mobilités
géographiques et fonctionnelles, les conditions de travail.
« Composée de plus de 8 000 individus, la magistrature apparaît,
statutairement, comme un corps unique, traversé par des
fonctions diverses, des positions plus ou moins dominantes, exerçant dans des
juridictions très nombreuses et variées ; face à cette hétérogénéité, nous testons
ici l’hypothèse qu’il existe bien une identité magistrate. C’est cette
identité, structurée dans un corps, que nous étudierons dans son ensemble »
indiquent les auteurs du rapport
pour expliquer dans quel état d’esprit ils ont dirigé leur enquête.
Pour mener à bien leur étude, les sociologues se sont
appuyés sur une quarantaine d’entretiens (d’une durée de 1h20-2h) avec des
magistrats, 1 200
réponses à un questionnaire diffusé auprès d’eux par le ministère de la
Justice, ainsi que sur l’analyse du fichier exhaustif des quelque 8 300
professionnels en poste au 1er janvier 2018. Ce fichier contenait
tous les renseignements sur les différents postes occupés par ces
professionnels du droit (type de concours d’entrée à l’ENM, date d’entrée dans
chaque poste, juridiction, passage de grade…). Les questionnaires ont servi à
compléter ces données par des informations socio-démographiques absentes de la
base de données de la Chancellerie : origines sociales, scolaires et
universitaires, situation familiale... Environ 20 % du corps a répondu à ces questionnaires. Cet
échantillon, « à l’exception d’une légère
sous-représentation des magistrat.es du second grade et des plus jeunes,
constitue une image très fidèle du corps » précisent les auteurs du
rapport.
Ce rapport est constitué de quatre chapitres : le
premier évoque l’histoire et la structuration des cadres dans lequel s’est
constitué le corps des magistrats « dans
une logique unique, mais aussi dans sa diversité » ; le deuxième propose
une morphologie générale du corps, autour de l’analyse des données
socio-démographiques en 2018 et d’une exploration des carrières ; le troisième
revient sur les conditions de travail des magistrats. Enfin, le quatrième se
concentre sur les logiques sociales de la mobilité des magistrats.
L’histoire
d’un corps professionnel
Avec un peu plus de 8 000 membres, les magistrats ne sont pas
très nombreux. Ils représentent en effet, parmi l’ensemble des actifs, moins de
0,03 % des
travailleurs en France. Yoann Demoli et Laurent Willemez précisent dans le
rapport que c’est en 1958 qu’a eu lieu la dernière réforme d’ampleur de la magistrature,
avec l’intégration en un corps unique ainsi que l’institution de l’École
nationale de la magistrature. Avant eux, le sociologue Jean-Louis Bodiguel a
montré à quel point l’Ordonnance de 1958 sur le statut de la magistrature avait
transformé la profession. Celle-ci avait intégré au corps judiciaire les juges
de paix et les magistrats présents dans les colonies. Elle avait également fixé
les étapes de la carrière par l’établissement de grades. En outre, la
Constitution de 1958 a profondément réformé le Conseil supérieur de magistrature
« qui [s’est vu] retirer une partie de ses attributions de nomination
des juges du siège, et au contraire augmenter ses attributions de nomination
des magistrats du parquet » précisent
Yoann Demoli et Laurent Willemez dans leurs travaux. Bref, pour
les deux experts, « l’existence
d’un corps unique est donc établie très tôt, au-delà des fonctions ». Et
même si les fonctions « sont au fondement de
l’organisation de la profession et de la mobilité », c’est
en effet à partir des fonctions officielles que les postes sont dénommés,
présentés et choisis par les magistrats – pour les deux sociologues,
cela ne signifie pas qu’un magistrat nommé sur telle ou telle fonction
spécialisée n’exercera que celle-ci. Dans les tribunaux de petite taille, par
exemple, les juges sont souvent polyvalents, de même que dans certains
tribunaux où plusieurs de spécialisations ne sont pas « statutaires », mais renvoient à la réalité de l’activité et du
contentieux (exemple : terrorisme, grande criminalité). « Ce n’est pas tant mes fonctions de
juge d’instruction qui m’ont surpris, c’est plutôt la variété des fonctions
parce qu’évidemment, je ne fais pas que de l’instruction ici : je suis JAF aussi ; je m’occupe des tutelles mineurs ; je suis assesseur en procédures collectives. Voilà ! Donc c’est tout un panel de fonctions et c’est vrai que “jongler”
entre plusieurs fonctions comme ça, ce n’est pas évident » affirme Geoffroy W, jeune magistrat d’un
petit tribunal, dans une de ses réponses au questionnaire.
« Cette
spécialisation, qu’on pourrait qualifier de substantielle puisqu’elle n’est pas
nominale, est aujourd’hui au cœur des
débats sur la transformation de la justice et “ l’office du juge ” » précisent Yoann
Demoli et Laurent Willemez.
Les
caractéristiques de ce corps
Les magistrats constituent une sorte d’élite tant du
fait de leur niveau de qualification (54,2 % des magistrats ont un diplôme de niveau
master 2
et près de 10 %
sont titulaires d’un doctorat), de rémunération que de leur responsabilité. De
plus, ces derniers viennent souvent de milieux aisés. Ainsi, détaillent les
sociologues dans le rapport, sur 100 magistrats, 63 % d’entre eux appartiennent aux catégories
sociales les plus favorisées. Ils sont très rarement issus des classes
populaires, petits indépendants ou employés-ouvriers. L’origine sociale de ces
professionnels reste marquée, selon les auteurs, par l’existence d’un « héritage
administratif », 29 %
des magistrats ayant un père appartenant à l’encadrement supérieur de la
fonction publique. Cependant, une forme de diversification sociale a vu le jour
lorsque d’autres modes de recrutement que celui du concours externe ont été mis
en place. En effet, le deuxième concours recrute pour un tiers parmi les
classes populaires salariées et indépendantes, et pour un quart parmi les
classes moyennes. Le troisième concours est lui réservé à des personnes de
moins de 40 ans, justifiant de plus de huit ans d’activité dans le secteur privé ou au titre d’un
mandat électif dans une collectivité locale ou d’une fonction juridictionnelle
non professionnelle.
À noter également que la profession se caractérise par
son homogamie (recherche d’un conjoint qui appartient au même groupe social).
Certes, près de 20 %
des magistrats sont sans conjoint, mais sur 100 magistrats en couple, 79 ont un partenaire appartenant à
la catégorie des cadres, professions intellectuelles supérieures, professions
libérales… En outre, les hommes magistrats trouvent plus facilement une
conjointe au sein du corps que les femmes magistrates. Cela s’explique par le
fait que les hommes, étant minoritaires, « fournissent un contingent relativement limité de conjoints potentiels »
justifient Yoann Demoli et Laurent Willemez. « Cette homogamie met en lumière, comme dans d’autres professions
supérieures, l’importance des études et, dans une moindre mesure dans le cas
présent, du lieu de travail comme cadre privilégié des rencontres des conjoints »
ajoutent les sociologues.
La profession se caractérise également par sa
féminisation (66 % des magistrats sont des femmes), ce qui est assez
atypique d’une profession d’élite. Ce phénomène correspond à la féminisation
massive des études de droit, mais révèle également une préférence des hommes diplômés
en droit pour les professions libérales (avocat d’affaires, notaire, huissier).
L’âge moyen et l’âge médian des femmes sont de 46,5 et 46 ans, contre respectivement 53 et 51,5 ans pour les hommes. Au
sein du corps des magistrats, hommes et femmes se différencient par leurs
préférences. Ainsi, le parquet est une fonction davantage choisie par les
hommes que par les femmes tandis que les juges des tribunaux d’instance sont
surtout des femmes.
En outre, « les positions de chefs de
juridiction montrent une forme de masculinisation tout à fait atypique, eu
égard à la féminisation de la profession » notent les deux experts. Plus précisément, au 1er avril
2017, on comptait 1 006 magistrats au grade le
plus élevé, celui de la hors-hiérarchie, et parmi ces derniers, 451 étaient des
femmes et 555 des hommes. De plus, parmi les magistrats du 1er
grade, figurent 3 367 femmes et 1 779 hommes. « Si l’accès à la hors-hiérarchie s’élève avec l’âge, accroissant le
vivier des hommes atteignant ce grade, il n’en demeure pas moins que cet accès
est nettement en faveur des hommes, à tranche d’âge comparable » ajoutent
les sociologues.
Un
corps professionnel débordé par le travail
À travers les multiples entretiens
qu’ils ont menés, Yoann Demoli et Laurent Willemez ont constaté que la vie d’un
magistrat est marquée par « le
débordement temporel » et la difficulté à concilier vie privée et vie professionnelle. En effet, 40 % des magistrats ont admis travailler en
soirée tous les jours ou plusieurs fois par semaine, et près de 80 % déclarent au moins une fois par mois, travailler le week-end.
De plus, 72 % d’entre eux
affirment ne pas prendre tous leurs congés à cause d’une trop grande charge de
travail. Ce débordement est accentué pour ceux qui font des permanences ou sont
d’astreintes.
C’est ce qu’a expliqué Stéphane C.,
ancien substitut d’un TGI de la région parisienne, lors d’un entretien avec les
deux chercheurs : « Je suis arrivé à la section de la
criminalité organisée. Ça, c’était passionnant, et c’était éreintant. Parce
qu’on avait un système de permanence qui faisait qu’on était de permanence H24,
du lundi 9h au vendredi 9h, ou du vendredi 9h au lundi 9h (…) Maintenant, il y
a une activité telle [dans le département] qu’il était rare, au moins sur les
deux-trois premières années, de faire quatre jours de permanence d’affilée sans
au moins une nuit blanche. La pire semaine de perm que j’ai faite, j’ai dormi
4h30 sur la semaine, en tout… J’ai fait deux nuits blanches, une nuit à 1h et
une nuit à 3h. »
De même, les magistrats du siège,
plus que ceux du parquet, doivent être multi-tâches. Ils passent ainsi d’une
activité à une autre, de la réponse au courrier, à la rédaction de jugement,
audiences et diverses réunions. Quant aux présidents, procureurs, coordinateurs
qu’ils soient hommes ou femmes, ils doivent à la fois veiller à la bonne tenue
des audiences et gérer les ressources humaines.
« On est bien là dans des
compétences qui s’éloignent fortement d’une des autres figures de l’éthos
professionnel des magistrats, celui de la sérénité, du discernement et de
l’empathie nécessaire à “l’art judiciaire” (Vauchez 2007) » commentent
Yoann Demoli et Laurent Willemez dans leur rapport.
De plus, les magistrats souffrent
généralement de mauvaises conditions de travail : exiguïté des bureaux,
inconfort… l’absence de greffiers dans certaines juridictions s’ajoute aux
difficultés quotidiennes de certains membres de ce corps.
Quant à la solitude, celle-ci est
ressentie par un nombre non négligeable de magistrats, notamment plus de la
moitié des juges placés et des juges des enfants. Heureusement, estiment les auteurs
du rapport, il existe des collectifs informels, des coopérations qui permettent
à ces professionnels de faire face aux difficultés qu’ils rencontrent. Les
sociologues ont relevé deux sortes de collectifs : les syndicats et les
associations professionnelles. À ce titre, Unité Magistrats, syndicat Force
Ouvrière, a fait de la lutte contre les risques psychosociaux le cœur de ses
propositions de réforme de la profession. Selon le syndicat : « Si le caractère dramatique est
parfois discuté en interne, le constat, lié à l’augmentation de la charge sans
augmentation des effectifs, fait lui l’unanimité. De même, en effet, le constat
semble désormais partagé sur la montée des risques psychosociaux dans nos
fonctions. Ces risques conduisent à l’épuisement physique ou psychologique de
magistrat.es en raison d’une charge de travail en augmentation constante, de
contraintes horaires pour certaines fonctions, d’exigences de polyvalence,
voire de situations de harcèlement moral. »
Très récemment également, le Syndicat
de la magistrature a conduit une enquête consacrée à la charge de travail dans
la magistrature auprès d’environ 700 magistrats (« L’envers du décor : notre grande enquête sur la charge de
travail dans la magistrature ». Voir JSS n° 69
du 25 septembre 2019).
Les magistrats interrogés lors de
l’enquête ont également insisté sur l’importance de certains de ces réseaux
informels, liés aux promotions de l’ENM, et au premier stage long notamment. « Tous ces réseaux ont une grande utilité et
permettent de rompre fortement l’isolement éventuel et la solitude du-de la
juge dans son cabinet » affirment Yoann
Demoli et Laurent Willemez dans leur rapport.
C’est ainsi ce que leur a déclaré
Philippe L., juge d’instance au sein d’un
petit TGI, lors d’un entretien : « Ce qui est marrant, c’est que la collaboration de travail va se faire
beaucoup entre promotion. Sur notre promotion, nous avons un groupe WhatsApp où
nous discutons beaucoup entre nous. »
Une autre forme de solitude est vécue par ceux qui ne peuvent rentrer tous
les soirs chez eux du fait d’un trop grand éloignement de leur
lieu travail et de leur domicile. Environ 14 %
des magistrats interrogés se déclarent ainsi comme des « célibataires géographiques ». Le
stress et les risques psychosociaux sont importants dans la catégorie des
magistrats débordés de travail. Au sein de cette sous-population, les femmes
sont plus nombreuses que les hommes, et davantage les jeunes magistrates qui
ont moins d’expérience, particulièrement les juges d’application des peines
(JAP) et les juges d’instruction, qui sont souvent pris dans des interactions
multiples avec les justiciables et leurs représentants.
Un
corps en mouvement
Historiquement et par essence, la mobilité (géographique
et fonctionnelle) est une caractéristique générale de la profession, parce
qu’elle rend possible, statutairement, la promotion. « Et les exemples abondent de ces hauts
magistrats, dont les états de service successifs constituent autant d’étapes
d’une carrière ascensionnelle fascinant les observateurs extérieurs à la
profession, voir leur donnant le tournis » affirment
les deux experts prenant l’exemple de Rémy Heitz, procureur de la République de
Paris.
Cependant, Yoann Demoli et Laurent Willemez démontre
dans leurs travaux qu’en réalité, cette mobilité n’est peut-être pas si forte
que cela. Celles-ci sont freinées par les projets familiaux et les dispositions
professionnelles et appétences à tel contentieux, à telle spécialisation. La mobilité géographique
est en outre vécue comme coûteuse. Bref « cette mobilité n’est pas aussi généralisée qu’on le prétend souvent,
et surtout elle est fortement différenciée » précisent les auteurs. Ainsi, parmi les
personnes interrogées, 23,8 % ont occupé un ou
deux postes, 28 % entre trois et quatre, et 20 % au moins sept.
La
mobilité géographique reste par ailleurs relativement contenue, ajoutent les
sociologues. En effet, les magistrats en activité au 1er janvier 2018 ont parcouru, au cours de leur carrière, une
distance moyenne de 2 508 kilomètres entre leurs
différentes affectations, mais celle-ci est tirée par les valeurs extrêmement
élevées des magistrats affectés dans les DOM-TOM.
« Le maillage très fin du pays par les multiples juridictions, produisant
ainsi ces “territoires de justice”
que les politiques publiques de l’administration ont beaucoup tenté de réformer
(Commaille 2000), permet ainsi des jeux très subtils et ce que l’on pourrait
appeler des “sauts de puce”, qui
permettent à la fois une mobilité, condition de possibilité de promotion
professionnelle, et une stabilité relative de la vie familiale »
résument les auteurs. Ces derniers sont parvenus au même constat concernant la
mobilité fonctionnelle : le passage par de multiples fonctions est assez
valorisé, mais dans les faits, « cette
mobilité fonctionnelle est au final de moindre ampleur encore que la mobilité
géographique », précisent-ils. Par exemple, les magistrats ayant connu
des postes à la fois au siège et au parquet sont minoritaires par rapport aux
magistrats qui n’ont connu que l’un ou l’autre. En outre, les magistrats au
parquet font en général carrière au parquet seul. En ce qui concerne les postes
les plus élevés, hors hiérarchie, « être
un homme plutôt qu’une femme accroît la probabilité d’avoir les carrières les
plus favorables, toutes choses égales par ailleurs » démontrent les
auteurs dans leur rapport. En outre, le concours externe reste la voie
privilégiée de réussite dans la carrière, et un passage par un poste à la
Chancellerie accroît fortement l’accès à la hors-hiérarchie. « Le passage par le détachement joue un rôle
d’ampleur semblable, amenant le constat apparemment paradoxal que, pour réussir
dans la magistrature, il faut en sortir, au moins provisoirement »
s’étonnent Yoann Demoli et Laurent Willemez. En conclusion de leurs recherches, ces
derniers affirment : « nous dirions que les magistrat.es des
années 2010 forment plus encore un corps que dans les années 1980, ce qui se
donne à voir par une certaine homogénéité sociale dans le recrutement, des
formes de socialisation communes, des mécanismes uniques de gestion de la
profession. (…) Ce corps existe donc bien, et il a une âme, pour reprendre la
métaphore de Bodiguel. Cette âme, c’est l’ENM qui la lui donne, de même que
tous les mécanismes institutionnels de production de l’identité de magistrat.e,
la relative ressemblance entre toutes les carrières, et enfin les hiérarchies
symboliques qui structurent le groupe. »
Maria-Angélica
Bailly
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