Magistrats : un corps saisi par les sciences sociales


mercredi 11 mars 202014 min
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La Mission de recherche Droit et Justice, en partenariat avec le Laboratoire Printemps et l’École nationale de la magistrature (ENM), a organisé un colloque consacré à la profession de magistrat, les 30 et 31 janvier derniers, dont le fil rouge était la recherche que la Mission a soutenue entre 2016 et 2019 : « L’âme du corps. La magistrature française dans les années 2010 ». Des travaux conduits par les sociologues Yoann Demoli et Laurent Willemez, enseignants-chercheurs à l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (Laboratoire Printemps).


En 2016, dans un souci d’objectivation des caractéristiques des magistrats français et pour remettre à jour les études sociodémographiques leur ayant été consacrées, la Mission de recherche Droit et Justice a lancé une recherche sur la profession de magistrat dans les années 2010. Les sociologues Yoann Demoli et Laurent Willemez, enseignants-chercheurs à l’université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, ont relevé le défi. Leurs recherches visent à établir la morphologie du corps, mais aussi à interroger les conditions de travail et les représentations du métier et de ses membres, en remettant à jour les résultats des enquêtes réalisées dans les années 1980 et 1990 par Jean-Luc Bodiguel et Anne Boigeol. Durant leurs investigations, Yoann Demoli et Laurent Willemez ont bénéficié de l’appui d’un comité de suivi réunissant des représentants de l’École nationale de la magistrature (ENM), de la Direction des services judiciaires, de la Sous-direction de la statistique et des études du ministère de la Justice, ainsi que de chercheurs extérieurs. Leur rapport final a été remis fin 2019. La Mission de recherche Droit et Justice a donc souhaité présenter ses principaux résultats lors d’un colloque de restitution, les 30 et 31 janvier derniers, en présence notamment d’Olivier Leurent, directeur de l’ENM, et de Valérie Sagant, directrice de la Mission de recherche Droit et Justice à destination des (futurs) professionnels de justice et des enseignants-chercheurs.


La Mission de recherche Droit et Justice a également voulu associer à cet évènement les auteurs d’autres travaux universitaires également conduits sur ces thématiques, et notamment ceux réalisés dans le cadre de son appel à projets « Les ressources humaines des magistrats en France et en Europe » lancé en 2018 et conduit par Estelle Mercier, Sylvie Pierre-Maurice, et Lionel Jacquot de l’université de Lorraine.


Comment les sciences sociales et leurs méthodes peuvent-elles éclairer les logiques de fonctionnement et d’évolution de la catégorie professionnelle des magistrats français régulièrement questionnée dans le champ politico-médiatique ? Comment les situer par rapport à leurs homologues européens et aux autres grands corps de la fonction publique ? Telles ont été les problématiques principales soulevées au sein des différentes tables rondes de ces deux journées de colloque. La première d’entre elles, « Travailler sur les magistrats : méthodes et modélisations. Coulisses des recherches », était présidée par Sandrine Zientara-Logeay, avocate générale à la Cour de cassation, ancienne directrice de la Mission de recherche Droit et Justice, et coordinatrice du rapport « La Féminisation des métiers du ministère de la Justice ». À cette occasion, Yoann Demoli et Laurent Willemez ont présenté les résultats de leurs recherches.


 


L’ÂME DU CORPS. LA MAGISTRATURE FRANÇAISE DANS LES ANNÉES 2010


Les sociologues Yoann Demoli et Laurent Willemez ont livré dans le rapport « L’âme du corps. La magistrature française dans les années 2010 : morphologie, mobilité et conditions de travail », un portrait de ce que sont les magistrats d’aujourd’hui, tout en formulant des pistes de réflexion sur les conditions de travail et les représentations du métier de magistrat. Le rapport de recherche s’articule autour de deux éléments liés : l’analyse des carrières individuelles et l’unité d’un corps. Les grandes problématiques actuelles sont également posées : la place des femmes et l’enjeu de la féminisation, la question des mobilités géographiques et fonctionnelles, les conditions de travail.


« Composée de plus de 8 000 individus, la magistrature apparaît, statutairement, comme un corps unique, traversé par des fonctions diverses, des positions plus ou moins dominantes, exerçant dans des juridictions très nombreuses et variées ; face à cette hétérogénéité, nous testons ici l’hypothèse qu’il existe bien une identité magistrate. C’est cette identité, structurée dans un corps, que nous étudierons dans son ensemble » indiquent les auteurs du rapport pour expliquer dans quel état d’esprit ils ont dirigé leur enquête.


Pour mener à bien leur étude, les sociologues se sont appuyés sur une quarantaine d’entretiens (d’une durée de 1h20-2h) avec des magistrats, 1 200 réponses à un questionnaire diffusé auprès d’eux par le ministère de la Justice, ainsi que sur l’analyse du fichier exhaustif des quelque 8 300 professionnels en poste au 1er janvier 2018. Ce fichier contenait tous les renseignements sur les différents postes occupés par ces professionnels du droit (type de concours d’entrée à l’ENM, date d’entrée dans chaque poste, juridiction, passage de grade…). Les questionnaires ont servi à compléter ces données par des informations socio-démographiques absentes de la base de données de la Chancellerie : origines sociales, scolaires et universitaires, situation familiale... Environ 20 % du corps a répondu à ces questionnaires. Cet échantillon, « à l’exception d’une légère sous-représentation des magistrat.es du second grade et des plus jeunes, constitue une image très fidèle du corps » précisent les auteurs du rapport.


Ce rapport est constitué de quatre chapitres : le premier évoque l’histoire et la structuration des cadres dans lequel s’est constitué le corps des magistrats « dans une logique unique, mais aussi dans sa diversité » ; le deuxième propose une morphologie générale du corps, autour de l’analyse des données socio-démographiques en 2018 et d’une exploration des carrières ; le troisième revient sur les conditions de travail des magistrats. Enfin, le quatrième se concentre sur les logiques sociales de la mobilité des magistrats.


 


L’histoire d’un corps professionnel


Avec un peu plus de 8 000 membres, les magistrats ne sont pas très nombreux. Ils représentent en effet, parmi l’ensemble des actifs, moins de 0,03 % des travailleurs en France. Yoann Demoli et Laurent Willemez précisent dans le rapport que c’est en 1958 qu’a eu lieu la dernière réforme d’ampleur de la magistrature, avec l’intégration en un corps unique ainsi que l’institution de l’École nationale de la magistrature. Avant eux, le sociologue Jean-Louis Bodiguel a montré à quel point l’Ordonnance de 1958 sur le statut de la magistrature avait transformé la profession. Celle-ci avait intégré au corps judiciaire les juges de paix et les magistrats présents dans les colonies. Elle avait également fixé les étapes de la carrière par l’établissement de grades. En outre, la Constitution de 1958 a profondément réformé le Conseil supérieur de magistrature « qui [s’est vu] retirer une partie de ses attributions de nomination des juges du siège, et au contraire augmenter ses attributions de nomination des magistrats du parquet » précisent Yoann Demoli et Laurent Willemez dans leurs travaux. Bref, pour les deux experts, « lexistence d’un corps unique est donc établie très tôt, au-delà des fonctions ». Et même si les fonctions « sont au fondement de l’organisation de la profession et de la mobilité », c’est en effet à partir des fonctions officielles que les postes sont dénommés, présentés et choisis par les magistrats pour les deux sociologues, cela ne signifie pas qu’un magistrat nommé sur telle ou telle fonction spécialisée n’exercera que celle-ci. Dans les tribunaux de petite taille, par exemple, les juges sont souvent polyvalents, de même que dans certains tribunaux où plusieurs de spécialisations ne sont pas « statutaires », mais renvoient à la réalité de l’activité et du contentieux (exemple : terrorisme, grande criminalité). « Ce n’est pas tant mes fonctions de juge d’instruction qui m’ont surpris, c’est plutôt la variété des fonctions parce qu’évidemment, je ne fais pas que de l’instruction ici : je suis JAF aussi ; je m’occupe des tutelles mineurs ; je suis assesseur en procédures collectives. Voilà ! Donc c’est tout un panel de fonctions et c’est vrai que “jongler” entre plusieurs fonctions comme ça, ce n’est pas évident » affirme Geoffroy W, jeune magistrat d’un petit tribunal, dans une de ses réponses au questionnaire.


« Cette spécialisation, qu’on pourrait qualifier de substantielle puisqu’elle n’est pas nominale, est aujourd’hui au cœur des débats sur la transformation de la justice et l’office du juge ” » précisent Yoann Demoli et Laurent Willemez.


 


Les caractéristiques de ce corps


Les magistrats constituent une sorte d’élite tant du fait de leur niveau de qualification (54,2 % des magistrats ont un diplôme de niveau master 2 et près de 10 % sont titulaires d’un doctorat), de rémunération que de leur responsabilité. De plus, ces derniers viennent souvent de milieux aisés. Ainsi, détaillent les sociologues dans le rapport, sur 100 magistrats, 63 % d’entre eux appartiennent aux catégories sociales les plus favorisées. Ils sont très rarement issus des classes populaires, petits indépendants ou employés-ouvriers. L’origine sociale de ces professionnels reste marquée, selon les auteurs, par l’existence d’un « héritage administratif », 29 % des magistrats ayant un père appartenant à l’encadrement supérieur de la fonction publique. Cependant, une forme de diversification sociale a vu le jour lorsque d’autres modes de recrutement que celui du concours externe ont été mis en place. En effet, le deuxième concours recrute pour un tiers parmi les classes populaires salariées et indépendantes, et pour un quart parmi les classes moyennes. Le troisième concours est lui réservé à des personnes de moins de 40 ans, justifiant de plus de huit ans d’activité dans le secteur privé ou au titre d’un mandat électif dans une collectivité locale ou d’une fonction juridictionnelle non professionnelle.


À noter également que la profession se caractérise par son homogamie (recherche d’un conjoint qui appartient au même groupe social). Certes, près de 20 % des magistrats sont sans conjoint, mais sur 100 magistrats en couple, 79 ont un partenaire appartenant à la catégorie des cadres, professions intellectuelles supérieures, professions libérales… En outre, les hommes magistrats trouvent plus facilement une conjointe au sein du corps que les femmes magistrates. Cela s’explique par le fait que les hommes, étant minoritaires, « fournissent un contingent relativement limité de conjoints potentiels » justifient Yoann Demoli et Laurent Willemez. « Cette homogamie met en lumière, comme dans d’autres professions supérieures, l’importance des études et, dans une moindre mesure dans le cas présent, du lieu de travail comme cadre privilégié des rencontres des conjoints » ajoutent les sociologues.


La profession se caractérise également par sa féminisation (66 % des magistrats sont des femmes), ce qui est assez atypique d’une profession d’élite. Ce phénomène correspond à la féminisation massive des études de droit, mais révèle également une préférence des hommes diplômés en droit pour les professions libérales (avocat d’affaires, notaire, huissier). L’âge moyen et l’âge médian des femmes sont de 46,5 et 46 ans, contre respectivement 53 et 51,5 ans pour les hommes. Au sein du corps des magistrats, hommes et femmes se différencient par leurs préférences. Ainsi, le parquet est une fonction davantage choisie par les hommes que par les femmes tandis que les juges des tribunaux d’instance sont surtout des femmes.


En outre, « les positions de chefs de juridiction montrent une forme de masculinisation tout à fait atypique, eu égard à la féminisation de la profession » notent les deux experts. Plus précisément, au 1er avril 2017, on comptait 1 006 magistrats au grade le plus élevé, celui de la hors-hiérarchie, et parmi ces derniers, 451 étaient des femmes et 555 des hommes. De plus, parmi les magistrats du 1er grade, figurent 3 367 femmes et 1 779 hommes. « Si l’accès à la hors-hiérarchie s’élève avec l’âge, accroissant le vivier des hommes atteignant ce grade, il n’en demeure pas moins que cet accès est nettement en faveur des hommes, à tranche d’âge comparable » ajoutent les sociologues.


 


Un corps professionnel débordé par le travail


À travers les multiples entretiens qu’ils ont menés, Yoann Demoli et Laurent Willemez ont constaté que la vie d’un magistrat est marquée par « le débordement temporel » et la difficulté à concilier vie privée et vie professionnelle. En effet, 40 % des magistrats ont admis travailler en soirée tous les jours ou plusieurs fois par semaine, et près de 80 % déclarent au moins une fois par mois, travailler le week-end.
De plus, 72
 % d’entre eux affirment ne pas prendre tous leurs congés à cause d’une trop grande charge de travail. Ce débordement est accentué pour ceux qui font des permanences ou sont d’astreintes.


C’est ce qu’a expliqué Stéphane C., ancien substitut d’un TGI de la région parisienne, lors d’un entretien avec les deux chercheurs : « Je suis arrivé à la section de la criminalité organisée. Ça, c’était passionnant, et c’était éreintant. Parce qu’on avait un système de permanence qui faisait qu’on était de permanence H24, du lundi 9h au vendredi 9h, ou du vendredi 9h au lundi 9h (…) Maintenant, il y a une activité telle [dans le département] qu’il était rare, au moins sur les deux-trois premières années, de faire quatre jours de permanence d’affilée sans au moins une nuit blanche. La pire semaine de perm que j’ai faite, j’ai dormi 4h30 sur la semaine, en tout… J’ai fait deux nuits blanches, une nuit à 1h et une nuit à 3h. »


De même, les magistrats du siège, plus que ceux du parquet, doivent être multi-tâches. Ils passent ainsi d’une activité à une autre, de la réponse au courrier, à la rédaction de jugement, audiences et diverses réunions. Quant aux présidents, procureurs, coordinateurs qu’ils soient hommes ou femmes, ils doivent à la fois veiller à la bonne tenue des audiences et gérer les ressources humaines.


« On est bien là dans des compétences qui s’éloignent fortement d’une des autres figures de l’éthos professionnel des magistrats, celui de la sérénité, du discernement et de l’empathie nécessaire à “l’art judiciaire” (Vauchez 2007) » commentent Yoann Demoli et Laurent Willemez dans leur rapport.


De plus, les magistrats souffrent généralement de mauvaises conditions de travail : exiguïté des bureaux, inconfort… l’absence de greffiers dans certaines juridictions s’ajoute aux difficultés quotidiennes de certains membres de ce corps.


Quant à la solitude, celle-ci est ressentie par un nombre non négligeable de magistrats, notamment plus de la moitié des juges placés et des juges des enfants. Heureusement, estiment les auteurs du rapport, il existe des collectifs informels, des coopérations qui permettent à ces professionnels de faire face aux difficultés qu’ils rencontrent. Les sociologues ont relevé deux sortes de collectifs : les syndicats et les associations professionnelles. À ce titre, Unité Magistrats, syndicat Force Ouvrière, a fait de la lutte contre les risques psychosociaux le cœur de ses propositions de réforme de la profession. Selon le syndicat : « Si le caractère dramatique est parfois discuté en interne, le constat, lié à l’augmentation de la charge sans augmentation des effectifs, fait lui l’unanimité. De même, en effet, le constat semble désormais partagé sur la montée des risques psychosociaux dans nos fonctions. Ces risques conduisent à l’épuisement physique ou psychologique de magistrat.es en raison d’une charge de travail en augmentation constante, de contraintes horaires pour certaines fonctions, d’exigences de polyvalence, voire de situations de harcèlement moral. »


Très récemment également, le Syndicat de la magistrature a conduit une enquête consacrée à la charge de travail dans la magistrature auprès d’environ 700 magistrats (« L’envers du décor : notre grande enquête sur la charge de travail dans la magistrature ». Voir JSS n° 69 du 25 septembre 2019).


Les magistrats interrogés lors de l’enquête ont également insisté sur l’importance de certains de ces réseaux informels, liés aux promotions de l’ENM, et au premier stage long notamment. « Tous ces réseaux ont une grande utilité et permettent de rompre fortement l’isolement éventuel et la solitude du-de la juge dans son cabinet » affirment Yoann Demoli et Laurent Willemez dans leur rapport.


C’est ainsi ce que leur a déclaré Philippe L., juge d’instance au sein d’un petit TGI, lors d’un entretien : « Ce qui est marrant, c’est que la collaboration de travail va se faire beaucoup entre promotion. Sur notre promotion, nous avons un groupe WhatsApp où nous discutons beaucoup entre nous. »


Une autre forme de solitude est vécue par ceux qui ne peuvent rentrer tous les soirs chez eux du fait dun trop grand éloignement de leur lieu travail et de leur domicile. Environ 14 % des magistrats interrogés se déclarent ainsi comme des « célibataires géographiques ». Le stress et les risques psychosociaux sont importants dans la catégorie des magistrats débordés de travail. Au sein de cette sous-population, les femmes sont plus nombreuses que les hommes, et davantage les jeunes magistrates qui ont moins d’expérience, particulièrement les juges d’application des peines (JAP) et les juges d’instruction, qui sont souvent pris dans des interactions multiples avec les justiciables et leurs représentants.



Un corps en mouvement


Historiquement et par essence, la mobilité (géographique et fonctionnelle) est une caractéristique générale de la profession, parce qu’elle rend possible, statutairement, la promotion. « Et les exemples abondent de ces hauts magistrats, dont les états de service successifs constituent autant d’étapes d’une carrière ascensionnelle fascinant les observateurs extérieurs à la profession, voir leur donnant le tournis » affirment les deux experts prenant l’exemple de Rémy Heitz, procureur de la République de Paris.


Cependant, Yoann Demoli et Laurent Willemez démontre dans leurs travaux qu’en réalité, cette mobilité n’est peut-être pas si forte que cela. Celles-ci sont freinées par les projets familiaux et les dispositions professionnelles et appétences à tel contentieux, à telle spécialisation. La mobilité géographique est en outre vécue comme coûteuse. Bref « cette mobilité n’est pas aussi généralisée qu’on le prétend souvent, et surtout elle est fortement différenciée » précisent les auteurs. Ainsi, parmi les personnes interrogées, 23,8 % ont occupé un ou deux postes, 28 % entre trois et quatre, et 20 % au moins sept.


La mobilité géographique reste par ailleurs relativement contenue, ajoutent les sociologues. En effet, les magistrats en activité au 1er janvier 2018 ont parcouru, au cours de leur carrière, une distance moyenne de 2 508 kilomètres entre leurs différentes affectations, mais celle-ci est tirée par les valeurs extrêmement élevées des magistrats affectés dans les DOM-TOM.


« Le maillage très fin du pays par les multiples juridictions, produisant ainsi ces “territoires de justice” que les politiques publiques de l’administration ont beaucoup tenté de réformer (Commaille 2000), permet ainsi des jeux très subtils et ce que l’on pourrait appeler des “sauts de puce”, qui permettent à la fois une mobilité, condition de possibilité de promotion professionnelle, et une stabilité relative de la vie familiale » résument les auteurs. Ces derniers sont parvenus au même constat concernant la mobilité fonctionnelle : le passage par de multiples fonctions est assez valorisé, mais dans les faits, « cette mobilité fonctionnelle est au final de moindre ampleur encore que la mobilité géographique », précisent-ils. Par exemple, les magistrats ayant connu des postes à la fois au siège et au parquet sont minoritaires par rapport aux magistrats qui n’ont connu que l’un ou l’autre. En outre, les magistrats au parquet font en général carrière au parquet seul. En ce qui concerne les postes les plus élevés, hors hiérarchie, « être un homme plutôt qu’une femme accroît la probabilité d’avoir les carrières les plus favorables, toutes choses égales par ailleurs » démontrent les auteurs dans leur rapport. En outre, le concours externe reste la voie privilégiée de réussite dans la carrière, et un passage par un poste à la Chancellerie accroît fortement l’accès à la hors-hiérarchie. « Le passage par le détachement joue un rôle d’ampleur semblable, amenant le constat apparemment paradoxal que, pour réussir dans la magistrature, il faut en sortir, au moins provisoirement » s’étonnent Yoann Demoli et Laurent Willemez. En conclusion de leurs recherches, ces derniers affirment : « nous dirions que les magistrat.es des années 2010 forment plus encore un corps que dans les années 1980, ce qui se donne à voir par une certaine homogénéité sociale dans le recrutement, des formes de socialisation communes, des mécanismes uniques de gestion de la profession. (…) Ce corps existe donc bien, et il a une âme, pour reprendre la métaphore de Bodiguel. Cette âme, c’est l’ENM qui la lui donne, de même que tous les mécanismes institutionnels de production de l’identité de magistrat.e, la relative ressemblance entre toutes les carrières, et enfin les hiérarchies symboliques qui structurent le groupe. »


Maria-Angélica Bailly

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