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La France raffole des animaux domestiques. Au niveau européen, elle détient le record de détention (63 millions d’animaux familiers actuellement présents dans les foyers français). Jamais la cause animale n’a occupé une si grande place aux yeux des Français. Toutefois, selon un sondage IFOP commandé par la fondation 30 Millions d’Amis, 66 % des personnes interrogées trouvent que les peines prévues pour mauvais traitements, abandons ou sévices graves ne sont pas suffisamment appliquées. Est-ce le cas ? Certes, on observe ces derniers temps quelques décisions exemplaires rendues à l’encontre des délinquants auteurs de violences sur animaux. Ces décisions restent-elles isolées ou traduisent-elles une véritable tendance ? Suzanne Antoine, auteure, juriste et membre de la Ligue française des droits de l’animal, observe qu’il « est impressionnant de constater à quel point la manière dont nous concevons maintenant les animaux a évolué, évolution résultant à l’évidence des travaux scientifiques portant sur l’étude du vivant ». On ne parle plus de protection animale mais de bien-être animal. Toutefois, l’auteure se demande si « ce changement purement verbal ne cacherait-il pas la tentation de mieux occulter les souffrances subies par les animaux (1) ? ».
Les textes applicables
En vertu des textes du Code rural et de la pêche maritime et du Code pénal, on distingue les mauvais traitements sur les animaux domestiques des actes de cruauté et sévices graves.
S’agissant des premiers, ils sont en principe punis de l’amende prévue pour les contraventions de la 4e classe, ce qui est peu dissuasif (articles R. 654-1 du Code pénal et R. 215-4 du Code rural).
De même, l’article R. 655-1 du Code rural dispose que « donner volontairement la mort à un animal domestique est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la 5e classe », tandis que les atteintes involontaires à la vie ou l’intégrité d’un animal constituent une contravention de la 3e classe (R. 653-1 du Code pénal).
Toutefois, si ces mauvais traitements sont commis par un professionnel tel que toute personne exploitant un établissement de vente, de toilettage, de transit, de garde, d’éducation, de dressage ou de présentation au public d’animaux de compagnie, une fourrière, un refuge, un établissement d’abattage ou de transport d’animaux vivants (ajout récent grâce à la loi alimentation et bien-être animal), il ne s’agit plus d’une simple contravention mais d’un délit dont les peines ont été récemment augmentées et portées à 15 000 euros d’amende et un an d’emprisonnement (cf. L. 215-11 du Code rural).
S’agissant des actes de cruauté auxquels ont été ajoutés, par la loi n° 76 629 du 10 juillet 1976, les sévices graves ou de nature sexuelle et l’abandon volontaire, l’article 521-1 du Code pénal les sanctionne de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende.
Actes de cruauté et sévices graves, d’une simple peine d’amende à la peine maximale
Plusieurs délinquants ont fait les frais d’une prise de conscience des juridictions (ou, au minimum, d’une plus grande médiatisation) de la nécessité de sanctionner sévèrement certains actes délictuels commis sur les animaux domestiques.
Des peines de prison fermes pouvant aller de six mois à deux ans ont été prononcées. Si un habitant de Roubaix n’a écopé que de cinq mois de prison, dont quatre avec sursis, pour avoir défenestré son chat, en revanche, le tribunal correctionnel de Bobigny n’a pas hésité à condamner un autre délinquant à deux ans de prison ferme (avec maintien en détention) à l’encontre d’un adolescent de Neuilly-sur-Marne (Seine-Saint-Denis). Le jeune homme avait non seulement battu et jeté son chien du 3e étage, entraînant la mort de l’animal, mais l’enquête avait démontré que ces sévices étaient fréquents sur les deux chiennes du délinquant. Le procureur Thomas Lebreton avait notamment relevé qu’il « l’attrapait par les pattes et la frappait au sol comme un marteau, lorsque les chiennes étaient frappées, elles pleuraient dans un coin de la pièce et ne bougeaient plus, elles étaient dans un tel état qu’elles en étaient réduites à manger ce qu’il y avait dans la couche du nourrisson (l’enfant de la petite amie du délinquant, ndlr) ». Malgré ces constatations, le procureur n’avait requis que huit mois de prison. Le tribunal a quant à lui prononcé la peine maximale, après avoir retenu notamment d’autres infractions à la règlementation des chiens catégorisés à laquelle appartenaient les chiens (absence de permis de détention, absence de stérilisation), outre une interdiction à vie pour le jeune homme de détenir un animal.
Coté délinquants « professionnels », deux femmes qui se présentaient à la fois comme un élevage et un refuge détenaient une centaine d’ânes, de chevaux et de poneys, sans soins, sans abri pour se protéger des intempéries. Insuffisamment alimentés, les équidés devaient se battre pour se nourrir. 80 % du cheptel présentait un score de maigreur de 1/5. Les délinquantes ont été condamnées le 24 mai 2019 par le tribunal correctionnel de Saintes à six mois de prison ferme pour mauvais traitements envers des animaux, à des amendes et à des dommages et intérêts, ainsi qu’à une interdiction définitive de détenir un animal et d’exercer une activité en lien avec les animaux. Les équidés ont également été confisqués. La sévérité de la sanction s’explique notamment par la circonstance que, déjà mises en demeure pour ces faits, les délinquantes s’étaient soustraites à plusieurs reprises aux décisions de placement des animaux, déménageant régulièrement au fil des ans pour échapper aux poursuites et aux sanctions.
Le 20 mai 2019, le tribunal de grande instance de Vesoul a également condamné une personne à six mois ferme pour avoir « détenu 12 chiens de race bull terrier blessés non soignés et non présentés à un vétérinaire ». Outre le délit d’avoir exercé volontairement des mauvais traitements, celle-ci avait également exercé une activité de gestion d’une entreprise malgré une condamnation de faillite personnelle ou d’interdiction de gérer.
Toutefois, s’il faut saluer cette évolution, il serait inexact de dire que les auteurs de maltraitance sont systématiquement condamnés. Ainsi, la cour d’appel d’Amiens a été saisie d’un appel dans le cadre d’une affaire d’acte de cruauté dans laquelle un individu, après avoir enfermé pendant trois mois ses quatre chiens dans une cave insalubre, où ils ne disposaient ni de couchage, ni d’aération, a brûlé l’un d’eux, les quatre membres ligotés par une chaîne, dans un champ où il l’avait laissé calciner. Or, le tribunal correctionnel de Saint-Quentin, le 27 février 2018, avait certes déclaré le propriétaire coupable des faits, mais ne l’avait condamné qu’à 1 000 euros d’amende et à la confiscation de ses trois chiens.
Une jurisprudence souvent inégale et incohérente
Malgré quelques décisions isolées, l’étude de la jurisprudence démontre que les décisions restent très inégales. Les raisons de ces incohérences sont nombreuses. Si certains dénoncent l’absence de formation suffisante des magistrats à la protection pénale des animaux (la formation des magistrats vient d’être renforcée), d’autres soulignent plutôt l’absence d’information versée aux dossiers sur les conséquences physiologiques des situations présentées sur les animaux (dénutrition, manque d’abreuvement) et les souffrances réelles nécessairement endurées par ceux-ci.
Une des principales raisons tient à l’interprétation donnée par les juges de l’infraction de cruauté et mauvais traitement. Les magistrats exigent la preuve de l’intention perverse de l’auteur des faits, alors que la réalité des sévices sur les animaux suffit à caractériser l’infraction au vu de la rédaction du texte.
Trop souvent, des faits qui paraissent, au regard de leur gravité, relever de délits d’actes de cruauté et des sévices graves, sont relégués au rang de simple contravention de mauvais traitements. On peut citer en ce sens un arrêt du 7 novembre 2017 de la chambre criminelle, qui a requalifié en simple contravention de mauvais traitements des sévices grave commis sur des bovins alors que l’état de souffrance des animaux ne pouvait pas passer inaperçu aux yeux de ses éleveurs propriétaires.
Sur les nécessaires ajustements législatifs
Plusieurs axes d’amélioration pourraient facilement être adoptés et permettraient de renforcer l’arsenal judiciaire à l’encontre des contrevenants.
En matière contraventionnelle, il existe une aberration législative. En effet, l’article 131-16 du Code pénal dispose que le coupable personne physique peut se voir appliquer une peine complémentaire telle que la confiscation de l’animal ou l’interdiction pour une durée de trois ans au plus de détenir un animal. Toutefois, le règlement qui réprime la contravention, à savoir les mauvais traitements visés par l’article R. 654-1 du Code pénal, ne fait pas référence à la peine accessoire d’interdiction de détenir un animal. Il en est de même de l’article R. 655-1 du Code pénal concernant les atteintes volontaires à la vie d’un animal. Là encore, le règlement relatif à cette infraction ne prévoit pas la peine accessoire d’interdiction de détenir un animal. On peut d’ailleurs s’interroger sur les cas dans lesquels les peines complémentaires d’interdiction de détenir un animal pourraient être ordonnées dans le cadre d’une contravention, puisque celles-ci ne sont visées ni dans l’article R. 654-1 ni dans l’article R. 655-1 du Code pénal. Une rectification du règlement pourrait aisément être adoptée et fournir un peu de cohérence aux textes.
Par ailleurs, et pour faire échec aux magistrats qui exigent la caractérisation de l’intention perverse pour qualifier les faits de sévices ou actes de cruauté, pourquoi ne pas préciser à l’article 521-1 du Code pénal que la preuve de cette intention perverse n’est pas nécessaire ? Voilà deux ajustements qui permettraient de mieux sanctionner la maltraitance animale sans aucune dépense budgétaire, argument de nature à vaincre les réticences des politiques.
NOTE :
1) Droit rural n° 453, Mai 2017, étude 19 Suzanne Antoine ; le nouvel article 515-14 du Code civil peut-il contribuer à améliorer la condition animale ?
Blanche de Granvilliers,
Avocate, Docteure en droit, Médiatrice
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