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Dimanche 23 décembre 1951 : le Père Noël est condamné à être pendu aux grilles d’une cathédrale puis brûlé en place publique. L’évêque de Dijon (21), soutenu par l’épiscopat français, entouré de ses caudataires, fait embraser l’effigie du Père Noël sur le parvis de la cathédrale de la capitale bourguignonne. Plusieurs centaines d’enfants des paroisses ont été invités à assister à cette exécution sommaire et incendiaire, pour voir partir en fumée celui qui les enfumait. Le quotidien France Soir daté du 24 décembre y consacre sa une. Le clergé ne supporte plus la paganisation rampante des esprits à travers la popularité grandissante du vieillard à robe rouge et barbe blanche, pâle réplique commerciale, « coca-colesque », hérétique du célèbre saint Nicolas, dont il a usurpé la fonction de faire plaisir aux chérubins comme aux galopins. Pour l’anecdote, tandis que le commandant Cousteau entreprend à bord de la Calypso sa première exploration, on commence à exploiter le gaz naturel de Lacq (64) et le syndicaliste Léon Jouhaux vient d’obtenir le prix Nobel de la Paix. Il était…ouvrier allumettier… À Dijon, en ce début d’hiver, le député-maire est embarrassé ! Il est prêtre et appartient au chapitre de la cathédrale. Et il n’est pas vraiment hostile à l’autodafé. Le chanoine Kir, qui fut curé de Bèze puis de Nolay, a donné son nom à un célèbre apéritif, composé d’un tiers de crème de cassis et de deux tiers de Bourgogne aligoté… Son évêque l’a ligoté moralement en lui servant un bien curieux apéritif avant la fête de la Nativité. Homme d’action, grand résistant (pendant la guerre, il a fait évader 5 000 prisonniers de guerre), Félix Kir réagit avec célérité. Le même jour en soirée, il invite les enfants dijonnais à venir voir le Père Noël, ressuscité, à l’hôtel de ville.
Pourtant, en Bourgogne, comme en Alsace, en Lorraine et dans certaines contrées adjacentes, point n’est besoin de redouter le Père Noël, païen ou non. Le héros de la fête, c’est saint Nicolas ! Cet évêque d’Asie Mineure, dont la fête est le 6 décembre, est auréolé d’une légende qui a traversé les siècles. Il a ressuscité trois jeunes enfants découpés par un monstrueux boucher qui les a mis dans son saloir. Et il a fait du boucher son valet, que l’on surnomme le Père Fouettard. Tandis que saint Nicolas distribue friandises et cadeaux, le Père Fouettard punit les turbulents garnements et gronde les élèves peu assidus qui se sont acagnardés en privilégiant l’école buissonnière.
En France, Fouettard (appelé Hans Trapp en Alsace) est souvent sale, hirsute, encapuchonné. Porteur d’une trique ou d’un martinet, il doit effaroucher. Son visage est parfois noir. En réalité noir de suie, car il se transforme en ramoneur pour préparer la cheminée. Ou bien parce qu’il distribue du charbon.
Aux Pays-Bas, le Père Fouettard se nomme « Zwarte Piet », Pierre le Noir. Et les personnages au visage noir et à la coiffure afro qui l’incarnent et qui parcourent la Hollande, la Frise, la Zélande et le Limbourg rendent furieux les militants antiracistes, qui voient dans cette tradition une caricature raciste, un symbole persistant d’une époque coloniale esclavagiste révolue, et qui internationalisent leurs clabauderies. Les organisations des droits de l’homme, qui ont alerté le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, lequel s’est emparé de la question, saisissent régulièrement la justice batave. Le parquet classe souvent sans suite.
En juin 2017 cependant, la cour d’Amsterdam, à laquelle on demande une nouvelle fois de condamner Pierre le Noir à disparaître, refuse d’interdire sa présence dans les manifestations publiques, constatant l’absence d’infraction. Mais sa décision est une mise en garde car elle laisse entendre que les comportements des « Zwarte Piet » pourraient avoir un aspect punissable s’ils ressemblaient au stéréotype négatif des personnes de couleur noire. Les élus municipaux sont invités à agir. Partisans et opposants bloquent des autoroutes. La Flandre belge connaît les mêmes batailles picrocholines. Le Nord de la France s’agite : à Marquette-lez-Lille (59), l’inspection de l’Éducation nationale, invoquant le principe de laïcité à la demande des enseignants, interdit la distribution de coquilles par saint Nicolas, et le Père Fouettard dans les écoles publiques. Ce dernier suscite bien des passions ! Des vocations et des répulsions ! L’émotion et l’exécration… Ici, il est fangeux et quinteux. Il ne fait plus peur, ne fouette ni à hue ni à dia, mais, personnage légendaire et folklorique, provoque plutôt le sourire, les grimaces et la goguenardise. Là, il est noir et vivement contesté, cloué au pilori de la censure. Mais il peut évoluer, comme l’y invite la justice néerlandaise, pour substituer le brocard croquignolet au persifflage haineux.
Dès lors, dans l’attente d’une probable saisine de la Cour européenne des droits de l’homme, il semble difficile, en ce mois de décembre 2017, où on sort capuches et mitaines, de condamner définitivement avec exécution provisoire le mythique croque-mitaine à capuchon, ni futé ni futile, fidèle acolyte affuté du généreux et melliflue saint Nicolas. Quant au Père Noël, il faut le sauver à tout prix et éviter qu’il ne soit inscrit lui aussi sur le registre obituaire des héros pour adultes ingénus et marmots impubères. Car, dans une institution judiciaire au bord de la déconfiture qui ne reçoit pour survivre que des promesses, exceptionnellement des confitures très allégées, il semble indispensable, pour rasséréner les âmes déconfites, de continuer à y croire.
Étienne Madranges
Avocat à la cour (défenseur du Père Noël)
Magistrat honoraire
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