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Qui n’a pas déjà procédé directement, sur son portable, à des réservations de voyages même lointains ou d’hôtels même luxueux, avec la facilitation déconcertante absolument fabuleuse que permet la performance remarquablement améliorée des plateformes numériques en ligne accessibles 24h sur 24, 7 jours sur 7, au moyen d’un simple téléphone mobile ? Sans doute, en effet, qu’après l’invention de la roue, et celle, tout aussi révolutionnaire, du GPS (Global Positioning System), l’utilisation de ces plateformes numériques, totalisant bientôt (prévisions 2019) plus de cent milliards d’euros de chiffres d’affaires pour un peu plus d’un milliard de transactions (selon la Fédération de l’e-commerce et de la vente à distance, données 2017), s’est définitivement installée dans nos vies.
Cette utilisation a sonné le glas des intermédiaires et des incertitudes liées aux incompréhensions de toutes sortes qui peuvent altérer des relations commerciales fondées désormais sur la clarté et par conséquent, sur la confiance que peuvent légitimement inspirer de tels sites marchands superbement confectionnés par des ingénieurs informaticiens capables d’associer le design de la présentation à l’efficacité de la passation d’ordres d’achats immédiats et dont au surplus, un accusé de réception extrêmement clair et détaillant l’achat (date et numéro de réservation), est instantanément délivré. Bref, de plus en plus pratiquées, au nombre de 200 000 actuellement, ces plateformes numériques marchandes en constante augmentation présentent une attractivité de plus en plus irrésistible !
À ce sujet, le Premier ministre, dans sa déclaration de politique générale du 4 juillet 2017, annonçait le très haut débit partout en France au plus tard pour 2022, et déplorait : « il y a des Français qui n’ont pas de GPS, pas de box connectée, dont le téléphone ne sert qu’à téléphoner et c’est tout ».
Un « pistage permanent » peu encadré
Beaucoup s’affligent que le législateur n’intervient que fort peu dans les réglementations concernant l’Internet où s’affrontent parfois le pire comme le meilleur, dans un monde numérique mal connu et qui peut inspirer les plus grandes craintes quant à la protection des données personnelles, du pistage permanent de nos navigations, comme en témoignent les nombreuses sollicitations qui nous parviennent, curieusement de même nature que le domaine pour lequel on vient tout juste de montrer son intérêt. Consultez la signification d’une douleur lombaire, et, aussitôt, foule de médicaments et de médications en tous genres vous sont proposés. On dira, plus encore, que l’âge qu’il est nécessaire d’indiquer pour recevoir des « cadeaux d’anniversaire » (prévus par le site tout spécialement pour vous à cette occasion), est l’artifice aimable destiné à arracher une année de naissance qui permet encore mieux de cibler les attentes du client, demandée dans la foulée du jour et du mois.
C’est bien vrai que la vie privée, de plus en plus, cède le pas à des pratiques numériques devenues tellement habituelles que les informations générées chaque jour sont si nombreuses qu’il est impossible, se convainquons-nous, de les exploiter, ou même de les recenser pour les trier ou les conserver. Pourtant, régulièrement et chaque jour, des mails nous parviennent, démontrant le contraire, et prouvent la formidable capacité des intelligences artificielles à agir, certes encore maladroitement, mais avec des améliorations constantes.
Le Code de consommation, « remarquablement clair et actualisé »
Cependant, s’il y a un domaine où les lois et règlements, comme la jurisprudence, n’ont pas renoncé à s’investir, c’est bien dans celui de la consommation, dont le code est remarquablement clair et très actualisé. La Cour de cassation, comme le souligne son étude annuelle de 2017 « le juge et la mondialisation », a considéré que la suppression par le règlement européen du contrôle de la compétence du juge étranger ne valait pas en matière de contrat de consommation, jugeant ainsi que le contrat de déménagement international n’était pas exclu du champ des règles protectrices du consommateur et refusé de déclarer un jugement italien exécutoire (1re Civ., 4, novembre 2015, pourvoi numéro?14-19.981, Bull. 2015, I, no 272). Elle veille aussi à ce que, d’une façon générale, le consommateur puisse porter son action devant la juridiction de son domicile, quel que soit le domicile de l’autre partie.
De même, sa troisième chambre civile chargée de la propriété immobilière (construction, copropriété, baux d’habitation, environnement et pollution), à laquelle j’ai l’honneur d’appartenir, voit toutes ses compétences sous-tendues par le droit de la consommation, dans des domaines où les enjeux, spécialement pour le non professionnel, sont sans nul doute d’une importance extrême. L’élaboration méthodique et cohérente d’un véritable droit de l’acquéreur immobilier a commandé, en toute logique et conformément à la loi, l’application des dispositions de l’article L137-2 (devenu L218-2) du Code de la consommation dont il ne serait pas concevable qu’elles cessent de s’appliquer, s’agissant de consommateurs. En effet, selon l’article préliminaire du Code de la consommation, le consommateur est « toute personne physique qui agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole ». Au total, ce n’est donc pas l’objet du contrat qu’il faut prendre en compte, mais bien la nature de l’intervenant-consommateur (Civ. 3, 26 octobre 2017, n° E1613592).
Focus sur les plateformes numériques
Les plateformes numériques sont ainsi très directement concernées, – d’abord, par la protection des données personnelles qu’elles se doivent désormais d’assurer selon le règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil entré en vigueur le 27 avril 2018 ; les sites marchands n’ont d’ailleurs pas manqué de saisir cette occasion rêvée de communiquer sur leurs nouvelles politiques de confidentialité – puis, par notre Code de la consommation, en ses articles L221-14 : « Pour les contrats conclus par voie électronique, le professionnel rappelle au consommateur, avant qu’il ne passe sa commande, de manière lisible et compréhensible, les informations relatives aux caractéristiques essentielles des biens ou des services qui font l’objet de la commande, à leur prix, à la durée du contrat et, s’il y a lieu, à la durée minimale des obligations de ce dernier au titre du contrat, telles que prévues à l’article L221-5. Le professionnel veille à ce que le consommateur, lors de sa commande, reconnaisse explicitement son obligation de paiement. À cette fin, la fonction utilisée par le consommateur pour valider sa commande comporte la mention claire et lisible : commande avec obligation de paiement ou une formule analogue, dénuée de toute ambiguïté, indiquant que la passation d’une commande oblige à son paiement. Les sites de commerce en ligne indiquent clairement et lisiblement, au plus tard au début du processus de commande, les moyens de paiement acceptés par le professionnel et les éventuelles restrictions de livraison ». Et aussi à l’article L221-15 : « Le professionnel est responsable de plein droit à l’égard du consommateur de la bonne exécution des obligations résultant du contrat conclu à distance, que ces obligations soient exécutées par le professionnel qui a conclu ce contrat ou par d’autres prestataires de services, sans préjudice de son droit de recours contre ceux-ci. Toutefois, il peut s’exonérer de tout ou partie de sa responsabilité en apportant la preuve que l’inexécution ou la mauvaise exécution du contrat est imputable soit au consommateur, soit au fait, imprévisible et insurmontable, d’un tiers au contrat, soit à un cas de force majeure ».
« Le luxe de précautions exigées par la loi »
On voit bien le luxe de précautions exigées par la loi pour la bonne passation des ordres d’achats sur Internet avec des dispositions fort rigoureuses pour les sites marchands, puisqu’en cas de difficulté, c’est à eux d’apporter la preuve de l’imputation au consommateur d’une défaillance. Et heureusement, car comment justifier que vous n’avez pas réservé les dix-huit chambres d’hôtel pour la même nuit alors que vous n’en aviez réservé qu’une seule ? Vous pourriez toujours protester, car, même si au bout du compte, raison vous est donnée, vous seriez privé des sommes indûment encaissées.
À leurs débuts, ces plateformes numériques ont en effet connu des « bugs », c’est-à-dire des défaillances assez facilement admises par les opérateurs et rapidement reconnues, puis assorties le plus souvent d’excuses personnalisées. Le succès des plateformes numériques était évidemment conditionné par la forte confiance qu’elles devaient inspirer.
L’utilisation – devenue ordinaire - des plateformes numériques bancaires à travers les distributeurs automatiques de billets ne s’est généralisée - avec le succès que l’on sait - qu’à partir du moment où toutes les précautions ont été prises contre les erreurs, et même les usurpations d’identité, grâce aux caméras désormais systématiques qui vous filment. Mais le plus remarquable est que dans un domaine où il est admis, sans atteinte au plus élémentaire bon ton, de recompter les espèces numéraires que l’on reçoit d’un tiers et en présence même de celui qui vous les a remises, plus personne ne compte et ne recompte les billets de banque délivrés par une machine!
Il faut aussi admettre que les ordres numériques d’achats ne peuvent pas être passés par inadvertance ou mécaniquement. Il y faut renseigner, outre les caractéristiques du bien commandé, ses civilités, noms et qualités, ses adresses de facturation et de livraison, jusqu’au code du portail éventuel pour le livreur diligent, et continuer, sans désemparer, de renseigner encore les coordonnées de la carte de crédit utilisée, jusqu’au code de cryptage spécifique démontrant que vous êtes bien en possession de ladite carte, complété, le cas échéant, par l’autorisation chiffrée de votre banque. Si bien que lorsqu’on lance le « clic » final, c’est qu’on est bien d’accord sur l’achat.
Il n’y aucune espèce d’ambiguïté, bien qu’on puisse tout de même être surpris parfois par la rapidité de la passation d’une telle commande, pour peu que les données de la carte de crédit soient déjà enregistrées dans l’application marchande à l’occasion d’un précédent achat et que le cryptogramme ne soit même pas exigé, mais cela ne peut se faire qu’aux risques du distributeur. De plus, dans le cas de marchandises, on peut encore renoncer à en prendre la livraison, peu important d’ailleurs le nombre d’allers et retours accomplis au détriment, comme on dit maintenant, de la planète. Le respect de la volonté du consommateur, avant, pendant, et après la commande est fondamental. C’est bien, et c’est normal !
Retours clients
D’ailleurs, dans le droit fil du respect du consommateur et pour mieux le servir, on ne manque pas de l’interroger sur la qualité du produit reçu, de la vitesse de livraison, du sourire même du livreur, ou du séjour commandé à l’hôtel choisi spécialement pour lui puisqu’on connaît ses habitudes et préférences (extraordinaire pour le train, sens de marche, place isolée ou conviviale, 1ere classe, voiture haute ou basse...).
On pourrait observer que pour les questionnaires de qualité, plus notre satisfaction est grande (5 étoiles sur 5), plus on demande de faire des phrases, et, au troisième superlatif, le logiciel affiche pour encourager en ce sens, en nous interpellant même par notre prénom : « Christophe, vous êtes un maître des mots ! », mais moins notre satisfaction s’exprime (1 étoile sur 5), plus le questionnaire devient lourd de pages démultipliées détaillant absolument tout du séjour, jusqu’à l’intensité d’éclairage des lampes de chevet... Si bien que, las du remplissage, on finit par renoncer. Du consentement même du client insatisfait, cet avis négatif ne sera pas comptabilisé.
Du caractère automatique
Les concepteurs de logiciels définissent en réalité les fonctionnalités de l’intelligence artificielle au point que, pour la réservation d’un séjour ou d’un voyage, ceux-ci s’affichent automatiquement dans votre calendrier avec, d’avance, les indispensables rappels sonores et visuels par SMS (« Short Message Service ») pour donner les coordonnées de l’hôtel, ou directement la place dans le train (numéro?de wagon, numéro de fauteuil et surtout très utile, le numéro de la voie de départ). Les coordonnées de l’hôtel s’inscrivent automatiquement dans les contacts pour permettre d’appeler le cas échéant ou de localiser la « cible ».
Plus remarquable encore est la réactivité avec laquelle la société nationale des chemins de fer français (SNCF), pour pallier les conséquences désastreuses des mouvements de cessation concertés de travail, a su mettre en place un système numérique modifiant automatiquement les réservations non annulables ni remboursables en compensation des trains supprimés y afférents. Non seulement le caractère non remboursable n’opérait plus, mais il se reportait automatiquement sur le train choisi en compensation, sans même aucune augmentation du tarif initialement souscrit ! Le logiciel était ainsi magnifiquement et illico reprogrammé.
De telles précautions sont prises dès la commande et apparaissent encore plus nécessaires lorsque le consommateur, dûment averti, passe par exemple une réservation de voyage en train ou d’hôtel, à des prix proclamés comme défiant toute concurrence, grâce à des tarifs dits « non annulables, non remboursables ». C’est-à-dire que le consommateur comprend parfaitement que s’il ne prend pas le train qu’il a payé, ou s’il n’occupe pas la chambre d’hôtel ainsi prépayée, il ne pourra pas en demander le remboursement. En fait, le commerçant, en contrepartie d’un tarif plus avantageux pour le client, se garantit des réservations fermes et définitives et peut compter sur des rentrées d’argent certaines et asseoir sa prospérité tout-à-fait régulièrement. Le consommateur client fait, à l’inverse, le pari qu’il n’aura pas d’empêchement à effectuer soit le voyage, soit l’occupation de la chambre d’hôtel au jour convenu.
Annulation de réservation : « aucune repentance possible »
Cependant, il arrive que le risque pris par le client se réalise par un empêchement imprévu, et que celui-ci entreprenne tout simplement d’annuler cette réservation pourtant non annulable, n’en ayant plus l’utilité, puisque, par exemple, sa réunion est annulée. Mais si d’aventure sa réunion est rétablie, chose bien connue du monde des affaires, et qu’il souhaite rétablir son billet à tort annulé désormais, (avec d’autant plus d’assurance que, par exemple, sa place dans le train est déjà payée), le logiciel ne le permettra pas. Si, délaissant l’intelligence artificielle obstinée et prenant tout de même son train, expliquant au contrôleur tout puissant avoir payé sa place, il n’en demeure pas moins qu’il voyagera sans titre de transport, puisque celui qui lui avait été délivré a été, par lui-même, annulé ! Il occupera une place qu’il a payée mais sans titre s’y rapportant, et, naturellement, s’il veut accomplir le même voyage, il lui faudra acquitter à nouveau le billet et voyager pour le double du prix, sans compter que la place ainsi annulée sera remise en vente.
On voit bien que le logiciel devrait être bloquant, interdire l’annulation, puisque l’usager est créancier quoi qu’il arrive du voyage payé ! Il n’y a actuellement aucune repentance possible (quelques sites trop rares interdisent l’annulation mais non la modification). La même observation vaut pour la réservation hôtelière annoncée comme « non annulable ». Il n’y a pourtant aucune utilité pour le client à annuler de telles réservations.
L’absence de toute information du caractère « non annulable, non remboursable »
Après tout, dans toutes ces situations, si le client décide sciemment de l’annulation, en toute connaissance de cause, c’est-à-dire, en pleine connaissance du caractère irréversible de l’opération et surtout de la perte définitive de son paiement malgré l’absence totale de contre-prestation, « c’est lui que cela regarde et c’est son problème ». Le voyagiste ou l’hôtelier remettront alors en ligne le voyage ou la chambre annulés, et bénéficieront alors d’un double paiement. C’est la règle du jeu du marché et du risque commercial pris, on dira récompensé !
Mais en est-il toujours ainsi ? La difficulté que dénoncent nombre de pratiquants habituels de ces plateformes numériques, c’est l’absence de toute information du caractère « non annulable, non remboursable » de la réservation lorsqu’elle apparaît à l’écran pour la consulter pendant que l’offre d’annulation est proposée. On pense avoir affaire à une réservation ordinaire, et c’est alors sans avertissement d’aucune sorte que la réservation payée est annulée. Il est trop tard pour protester de sa bonne foi pour en obtenir le remboursement. La réservation, par exemple hôtelière, apparaît alors à l’écran sans l’indication de son caractère non annulable – non remboursable, et en cliquant le champ incroyablement proposé « annuler la réservation », sans aucune alerte ni avertissement préalables du type habituel « voulez-vous vraiment annuler cette réservation non annulable non remboursable ? », la réservation se trouve brusquement et irrémédiablement annulée. C’est cette absence d’avertissement qui provoque l’erreur d’annulation d’une réservation signalée lors de la vente comme non annulable. Vous n’auriez jamais annulé si vous aviez été dûment averti du caractère non remboursable de l’opération !
Haro sur les souscriptions involontaires
De même encore, allez naviguer au sein des logiciels de votre opérateur téléphonique qui connaît tout de vous à force d’avoir enregistré tous vos paramètres (de la carte de crédit à vos préférences de programme télévisuel) et, sans y prendre garde, simplement par la consultation d’une chaîne pourtant inaccessible, vous y êtes automatiquement abonné, et le mois en cours d’abonnement vous est prélevé, ainsi que le mois à venir, si bien que vos factures peuvent d’un seul clic d’un seul, tout simplement, comme on dit, exploser. L’opérateur prévenant vous aura adressé des « SMS » vous notifiant ces « modifications » de votre abonnement, et considère que le silence gardé vaut acceptation. Ce n’est pas ce que recommande le Code de la consommation, mais cela permet d’arracher par déduction des abonnements sur lesquels, en cas de protestation dûment justifiée, il est possible de revenir par ce qui est nommé un « geste commercial », qui fait paraître l’opérateur bienveillant et généreux (« Vous n’avez pas un jeune enfant qui a joué avec la télécommande ? »), alors même qu’il a, sciemment ou non – mais là n’est pas la question (en ce domaine l’exception de bonne foi n’est pas recevable) –, cherché à surprendre votre consentement. Cela lui permet de continuer à utiliser le logiciel commercialement déloyal sans en reconnaître le caractère.
L’opérateur vous renvoie en effet avec la plus grande vigueur aux conditions générales de vente, (l’argument de dire on a coché la case « pris connaissance » mais personne ne les lit, est évidemment inopérant même si c’est la réalité), et, surtout, aux conditions générales de fonctionnement du logiciel. Toutes conditions que vous êtes naturellement censé avoir acceptées d’emblée par le fait même d’avoir passé commande de la prestation en la payant sciemment d’avance, sans possibilité de remboursement, et par le fait même d’utiliser le logiciel concerné. Que d’acceptations de ceci ou de cela faut-il souscrire en cours d’utilisation, et à défaut desquelles rien ne va ! À cet égard, on observera que le Code civil exige parfois des formules manuscrites « lu et approuvé », précisément à raison même de formulaires pré-dactylographiés mentionnant notre consentement.
Quand l’intelligence humaine cède face à l’IA
C’est très déroutant de voir combien l’intelligence humaine capitule devant l’intelligence artificielle. Les exemples quotidiens sont nombreux. On met, par exemple, des majuscules sans raison, contre toutes les règles d’orthographe, dans un texte publicitaire grand format ou dans des missives privées, simplement parce que la première lettre d’un mot qui commence une ligne doit, selon le logiciel d’orthographe, être une majuscule. Facile de revenir sur ces commodités de clavier, mais non, cela s’impose. De même, les mots surlignés systématiquement de rouge, sont, en définitive, et de guerre lasse, remplacés par ceux du logiciel. C’est ainsi que les mis en cause sont « déferrés » terme réservé au maréchal-ferrant qui déferre les chevaux, au lieu de « déférés » (du latin fers, tuli, latum), soit « traduits en justice ».
Plus déroutant encore, certains procès-verbaux de contraventions mentionnent automatiquement dans l’acte de poursuite le jour des faits, certes, mais aussi l’heure, que pourtant le code pénal n’exige pas ! Si le contrevenant démontre, par exemple, qu’il n’a pas klaxonné indûment à 12h17 puisqu’il était ailleurs qu’au volant de son véhicule automobile, le juge ne pourra que le relaxer. L’heure des faits est en réalité l’heure de la rédaction du procès-verbal d’infraction. On est loin d’un problème d’orthographe, c’est un problème de fond !
Les agents chargés de traiter ces cas très curieux du numérique se réfugient en effet derrière leur fonctionnement. On ne peut rien modifier, disent-ils, cela ne passe pas. Le contrôleur voit que vous êtes en règle, avec un titre valable qu’il a examiné, mais ne vous ouvrira pas le portillon d’accès au train dont l’ouverture n’intervient qu’à la lecture du code-barres du titre de transport, de sa propre autorité alors qu’il peut le faire, si d’aventure le lecteur du code-barres ne le lit pas correctement. La machine paraît infaillible et ne peut se tromper. On avance aussi des raisons statistiques prohibant tout geste dérogatoire qui ferait échapper au comptage officiel des passagers.
« Clientèle captive »
La clientèle du numérique est devenue ainsi captive, enfermée dans une logique informatique qui la contraint, or le fonctionnement d’un logiciel en contradiction avec les articles précités du Code de la consommation n’est pas acceptable. Soit la loi, soit, plus vraisemblablement, le juge, s’il en est saisi, devront dire que les annulations non annulables ne peuvent l’être, ou alors avec les mêmes exigences que pour la passation de la commande. Un consentement non équivoque et clair de la compréhension que l’annulation projetée entraînera la perte définitive du prix payé. Cette exigence doit aussi être appréciée aux conditions du numérique, puisque tout cela s’effectue le plus souvent sur un écran de 4,7 à 5,8 pouces pour les plus grands, de sorte que la touche validation ne peut être activée que par mémorisation de la page précédente, voire des pages précédentes...
On peut toujours fustiger l’inconséquence, la maladresse et l’inattention du client. Il reste que le logiciel devrait, à notre sens, comporter un avertissement sérieux avant que ne soit engagé un processus d’annulation irréversible aux conséquences pécuniaires parfois très importantes pour les clients. Les annulations non remboursables doivent répondre, nous semble-t-il, au même parallélisme de forme et de fond que la vente elle-même.
Ces dysfonctionnements ne sont rendus possibles que par l’enregistrement préalable de nos données personnelles (identité, carte de crédit, adresse). Le règlement européen précité protège – c’est important, bien sûr – de tout piratage et de toute exploitation malveillante, mais non de leur utilisation par un commerçant numérique : commerçant d’autant plus prompt à présupposer votre accord qu’il y trouve naturellement intérêt, cependant que la transaction ne repose plus sur un consentement éclairé, mais sur un silence correspondant en réalité à une absence de protestation.
L’urgence d’une mise à niveau
Alors, on pense immanquablement à l’action de groupe, cette « class action » à la française, puisque les pertes individuelles mêmes significatives (par exemple, l’annulation d’un séjour de plusieurs nuits d’hôtels) ne justifieraient pas un procès sur un sujet aussi complexe et technique comme relevant du numérique qui réclamera expertises et preuves en tous genres, face à de grands groupes. Ne nous y trompons pas, ce n’est pas « la lutte du pot de terre contre le pot de fer », on n’en est plus là, mais c’est surtout un problème de preuve. De plus, gageons que les victimes qui se sont fait connaître auprès des opérateurs concernés, arguant de leur bonne foi, ont toutes été indemnisées (... bien sûr !) et ne souhaitent pas revenir sur ce qui n’est plus qu’un mauvais souvenir...
On pense aussi à l’action du Ministère public, qui dispose du puissant levier de la fraude à la loi pour faire cesser toutes sortes d’atteintes à la protection du consommateur, puissamment secondé par l’excellent service qu’on nomme toujours, malgré les réformes incessantes le concernant,« service de la répression des fraudes », dont les agents dressent des procès-verbaux opérationnels de haut niveau. Madame Virginie Beaumeunier, sa récente directrice générale, précise que l’action de la DGCCRF « doit également porter à l’échelon européen l’ambition française d’un haut niveau de protection du consommateur en particulier face au développement du commerce électronique » (Lettre de la DAJ 19 juillet 2018 n° 256).
On pense également, restons bien français, à la simple modification législative ou réglementaire par l’ajout d’une simple précision : « lorsqu’est proposé à la vente sur une plate-forme numérique, des prestations ou services non annulables et non remboursables, la renonciation par le consommateur à de tels services qu’il a payés d’avance, devra être précédée d’un avertissement clair et lisible mentionnant le caractère irréversible de l’opération ». Mais on s’étonnera après cela du mille-feuilles codifié pour des choses qui devraient aller de soi, la loyauté commerciale découlant nécessairement des textes déjà en vigueur. Autant, comme on dit, le « dolus bonus » qui consiste à amplifier les qualités d’un produit ou d’une prestation est parfaitement recevable, autant le « dolus malus » qui consiste à attraire le client dans une impasse financière doit être blâmé et corrigé.
On pense encore au vigilant Défenseur des droits, qui présente la particularité exceptionnelle d’une transversalité d’actions.
On pense, en définitive, aux assurances dites « annulation », mais qui ne couvrent pas ce risque actuel et permanent de tomber « d’un seul clic d’un seul » dans le piège abyssal de l’annulation des réservations « non annulables non remboursables ». Les assurances conduiraient ces recours par subrogation avec une parfaite efficacité. Plus simplement, l’ajout d’un double clic inversé, comme disent les informaticiens, résoudrait ce problème lourd de préjudices pour le consommateur, et mettrait au diapason du Code de la consommation ces plateformes numériques marchandes touchant loin de là « des citoyens qui sont broyés et ignorés par ce monde technique » que le Premier ministre se propose de protéger, mais aussi, parfois, les plus habitués au numérique et les plus clairvoyants. Bref, tout le monde. Mais pourquoi le feraient-elles d’emblée ? La vertu en ce domaine commercial doit avoir bien du prix !
Pourtant, pensons-nous, l’urgence d’une mise à niveau de ces plateformes numériques marchandes est absolue : la moindre brèche dans l’édifice protecteur du consommateur créé par la loi le ruine en son entier !
Christophe Kapella,
Avocat général à la Cour de cassation
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