Pourquoi appelle-t-on « Baba Merzoug » « La Consulaire » ?


dimanche 4 octobre 20204 min
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Long de 7 mètres, pesant 12 tonnes, c’était un canon de bronze dévastateur situé depuis le XVIe siècle dans le port d’Alger. Réalisé au cœur de la Casbah en 1532 par un fondeur vénitien, posé sur un affût, servi par quatre artilleurs, il propulsait des boulets de 80 kilos à près de 5 km, parfois au ras de l’eau pour provoquer des ricochets.

Arme ottomane, arme musulmane, on l’appelait « Baba Merzoug », le « père fortuné », ou « le père chanceux », ou encore « le béni, bienfaiteur et porte-bonheur ». Répondant parfaitement aux canons de l’efficacité guerrière, il était le principal protecteur d e la ville blanche, parmi les 900 pièces d’artillerie en bronze que son arsenal comptait.


En 1830, lors de la prise d’Alger, port historique des pirates barbaresques, la marine française commandée par l’amiral Duperré l’a rendu inoffensif et l’a rapporté sur le vaisseau « Marie-Louise ». Le roi de France l’a offert à la ville de Brest sur la proposition de Duperré, préfet maritime de cette ville.


C’est désormais une colonne votive, un obélisque breton. Une relique algéroise ornant la base navale brestoise qui borde la mer d’Iroise.


« Baba Merzoug » est devenu « La Consulaire ». Et on l’a coiffé d’un coq. Car l’histoire de ce canon, orgueil des Algérois, prince de la Méditerranée, à l’incroyable puissance de feu, symbole de combats acharnés, mais transformé en instrument de supplice, a croisé douloureusement le sort réservé à deux consuls de France dont un prêtre.


Les détails sordides de ces épisodes seraient restés méconnus sans la découverte d’un manuscrit de 1705 trouvé dans les Mémoires de la Congrégation de la Mission des Pères lazaristes.




Le canon algérois Baba Merzoug, renommé « La Consulaire », exposé depuis 1833 au sein de la base navale de Brest (Finistère), et l’un des trois décors de bronze du sculpteur Seurre qui ornent son socle en granit, où l’on voit le roi de France « éclairer l’Afrique en apportant les bienfaits de la civilisation »*



En 1683, la marine royale de Louis XIV combat les pirates barbaresques. Ceux-ci, au fil des ans, ont capturé des centaines de vaisseaux européens et ont réduit des milliers de chrétiens en esclavage. En 1682, ils ont capturé une frégate française et vendu son commandant comme esclave. Le roi de France fait donc bombarder Alger par l’amiral Duquenne.


Le dey d’Alger est un corsaire musulman, Hüseyin Pacha. Il a assassiné son prédécesseur Baba Hassan et a réussi à se faire élire par le diwan. On ne sait pas s’il est turc ou bien chrétien renégat. On le surnomme « Mezzomorto », « mort-vivant », car il a survécu à de graves blessures lors d’un combat contre les Espagnols. C’est un redoutable négociateur et un stratège respecté dans le monde ottoman. Il va cependant répliquer sauvagement aux destructions opérées par l’artillerie de la marine française.


Le consul de France est un vieux prêtre, le Père Levacher, qui a consacré trente-six années de sa vie à soulager la misère des esclaves chrétiens au Maghreb et à agir pour la paix entre Français et Ottomans. Il est vicaire apostolique et a la confiance des Turcs, mais il est choisi par le dey comme objet de vengeance et de représailles. Le 29 juillet 1683, placé sur une chaise (il ne peut plus marcher), il est attaché à la bouche du canon… puis déchiqueté par le boulet destiné à faire couler un vais seau français. « Baba Merzoug » devient, pour les Français, "La Consulaire".


Les atrocités ne font que commencer. Lors du bombardement suivant en 1688 par le maréchal d’Estrées, le dey, après avoir mis au bagne 372 Français, fait supplicier nombre d’entre eux. Le consul de France André Piolle est attaché le 29 juin 1688 à la bouche du canon et déchiqueté par un tir, peut-être déjà mort sous la torture. Le Père Montmasson, vicaire apostolique, est torturé à son tour, émasculé, criblé de coups d’aiguille de bourrelier, et subit le même sort, les bras attachés en forme de croix de Saint André. Des missionnaires de Saint Vincent de Paul, 2 frères jésuites, 9 patrons de navire, 6 écrivains, 25 matelots sont également suppliciés à la bouche du canon.


Certains magazines d’actualités ont récemment fait état de la volonté des autorités algériennes d’obtenir du gouvernement français la « restitution » du canon. Un désir appuyé par des Français qui voient dans cette restitution un moyen d’accélérer la réconciliation.


Espérons que « La Consulaire » restera à Brest. Dans le cadre de l’amélioration des relations entre la France et ses anciennes colonies, on peut restituer des corps, des crânes, certains objets inutilement confisqués. Et la détention d’une belle pièce d’artillerie peut être une source de tirailleries. Mais pas de chamailleries.


Car on ne peut pas tout rendre. « Baba Merzoug », arme de pirates barbaresques qui réduisaient en esclavage des milliers de chrétiens, est une prise de guerre régulière antérieure à la colonisation. Elle a envoyé par le fond de nombreux navires français et a supplicié des dizaines de Français pacifiques au dévouement exemplaire atrocement déchiquetés. Transformée en stèle, elle permet de rendre hommage à leur mémoire.



étienne Madranges,

Avocat à la cour,

Magistrat honoraire


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