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Il était une fois… un bel et fol objet… un cardinal éloigné des vertus cardinales… et une fausse comtesse qui mit un sacré coup de collier pour faire acheter le premier par le précédent.
Un collier de 647 diamants de 2840 carats, pesant 2 kilos dont plus d’un demi-kilo de pierres précieuses. Un collier qui ne parviendra jamais à la Reine Marie-Antoinette. Cet incroyable bijou en forme de panicule réalisé par les joaillers Boehmer et Bassange (qui s’étaient endettés pour le réaliser) avait à l’origine été commandé par Louis XV pour honorer sa favorite, Jeanne Bécu, comtesse du Barry. La mort du souverain intervint avant qu’il n’eût eu le temps d’offrir la somptueuse parure d’une valeur de plus d’un million et demi de livres (plusieurs millions d’euros en valeur actuelle). Louis XVI eut alors l’idée de l’offrir à Marie-Antoinette. La belle Autrichienne, connaissant la destination initiale, refusa.
Un cardinal, Louis-René de Rohan, évêque de Strasbourg, grand aumônier de France. Ecclésiastique aux mœurs dissolues, qui a été ambassadeur à Vienne (Autriche) où il a mené grand train. Un diplomate détesté par le rigoureux baron de Breteuil, qui lui a succédé à Vienne, apprenant qu’on l’y surnommait "La belle Éminence " !
Ce prélat, détesté également par la reine, alors qu’il est sans doute épris d’elle, cherche par tous moyens, escomptant ses faveurs, à rentrer en grâce auprès d’icelle.
Une
aventurière, qui descend (par les enfants
naturels) du roi Henri II, la comtesse de la Motte.
Qui n’est pas comtesse. Adepte de l’indélicatesse. Une vraie scélératesse.
Prête à toutes les bassesses. Et qui va duper, gruger, escroquer le cardinal,
dont elle a été la maîtresse. Elle le convainc d’acheter le collier pour
l’offrir à la
reine. Rohan signe des traites, découvre chez les bijoutiers, l’œil émerillonné, la parure qu’il se fait livrer et qu’il remet
aussitôt à la « comtesse ». Celle-ci lui adresse de faux
messages de la reine, portant la signature imitée de celle-ci. Elle organise
dans les jardins de Versailles une rencontre nocturne entre Rohan et une femme
sosie de Marie-Antoinette se cachant le visage et s’éloignant rapidement pour
éviter une découverte de la supercherie. Bien évidemment, elle conserve le
collier, revend et fait revendre avec ses complices les pierres précieuses,
tout en obtenant d’importantes sommes d’argent de Rohan qui pense que le
collier a été remis à la reine. L’affaire arrive aux oreilles de cette
dernière, qui s’indigne, puis du roi, contraint de partager la colère de son
épouse.
Lundi 15?août 1785, jour de fête religieuse. Le cardinal de Rohan s’apprête à célébrer à Versailles la messe en l’honneur de la Vierge Marie. Louis XVI est dans son bureau, avec Marie-Antoinette, en grande toilette, et avec son proche collaborateur… le baron de Breteuil, ministre de la Maison du Roi. Le monarque convoque le cardinal, le sermonne, ne prête guère attention à ses balbutiements, puis le fait arrêter dans la galerie des glaces, au vu et au su de la cour, par… le baron de Breteuil. En ce jour d’Assomption, l’ascension de Rohan s’assombrit. Le voilà, lui qui n’est (au sens figuré) pas un tiercelet, vêtu de la pourpre cardinalice, à la Bastille, où il sait que le gobelet va remplacer le calice. Son Éminence faisait bombance. Elle est priée de faire repentance.
La comtesse de la Motte, elle, n’a plus la cote. Elle n’est pourtant point sotte, mais… dans le scandale elle barbote ! Elle est arrêtée. Son mari, qui est son principal complice, et qui n’a jamais été très franc du collier, prend la fuite. Un Italien proche du cardinal, Joseph Balsamo, qui se fait appeler comte de Cagliostro et se fait passer pour un mage, est également incarcéré. Après la parure, la procédure. Le Parlement de Paris est saisi par requête du procureur général Omer Joly de Fleury*, lui-même saisi par une lettre patente du roi qui, décrivant les faits, reproche aux accusés d’avoir violé, "avec une témérité inouïe, le respect dû à la Majesté Royale." Le Premier président est étienne François d’Aligre, fils d’un président à mortier, issu d’une famille de magistrats qui a donné au royaume deux chanceliers de France. Une instruction est diligentée. Le rapporteur est le conseiller Titon. Le 31 mai 1786, les juges, « en la Grand’chambre assemblée » condamnent la fausse comtesse « à être, ayant la corde au col, battue et fustigée nue de verges, et flétrie d’un fer chaud en forme de la lettre V sur les deux épaules, par l’Exécuteur de la Haute Justice, au-devant de la porte des prisons de la Conciergerie du Palais ; se fait menée et conduite à la Maison de force de l’Hôpital Général de la Salpêtrière, pour y être détenue et renfermée à perpétuité ». Marquée du V des voleurs, elle réussira plus tard à s’enfuir à Londres. Le Parlement relaxe Cagliostro et le cardinal, les déchargeant " des plaintes et accusations contr’eux intentées". Poursuivi pour crime de lèse-majesté, Rohan sort blanchi. Il est vrai que le Parlement est souvent, par ses Remontrances, hostile au pouvoir royal. Les souverains sont contrariés. Marie Antoinette se sent particulièrement humiliée. Une humiliation qui va précéder un tourbillon. Quatre ans plus tard, la monarchie sera contestée et la révolte se transformera en Révolution. Il n’est pas exclu que l’affaire du collier, modérément parmi d’autres causes, en soit l’une des explications.
*sur ce magistrat, voir notre chronique sur le Chevalier de la Barre dans le JSS n° 56?du 15/07/2017
étienne Madranges,
Avocat à la cour,
Magistrat honoraire
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