Quel Cupressien, inventeur de l’anaglyptographie, est entré au Panthéon sans ses mains ?


dimanche 14 juin 20204 min
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Il est cupressien parce qu’il est né à Coupvray, en Seine-et-Marne, où le lavoir des Médisances accueille les lavandières, où le ru de la Fréminette rafraîchit le bas du village, et où le menhir servant de borne communale est surnommé l’Armoire. Ce benjamin d’une famille de quatre enfants habite une maison briarde traditionnelle : l’évier y est un lavier, l’alcôve pour dormir y est entourée d’un encadrement de chêne, le « poëlier » permet d’y accrocher poêles et casseroles, la maie y protège le pain et la bassinoire y chauffe le lit.



Fils d’un bourrelier, il rêve, tout petit, d’imiter son père. Ses yeux pétillent quand il le voit façonner un harnais. Le papa lui interdit de toucher à ses outils destinés à découper, percer, coudre le cuir, ces pinces, alênes et autres couteaux dont le maniement demande dextérité et grande prudence. Mais le regard du garçonnet âgé de trois ans est aimanté par les instruments de l’artisan talentueux. Bravant l’interdiction paternelle, courant 1812, il grimpe sur l’établi dans l’atelier de la tentation et s’empare d’un petit couteau-serpette (illustration) et d’un morceau de cuir. Soudain, sa main ripe et l’outil atteint l’œil, qui s’infecte rapidement. L’infection gagne le second œil, provoquant la cécité totale.


Le papa picotait le cuir. Le fils va bientôt picoter le papier.


Car Louis Braille, scolarisé malgré son handicap (cas rare à l’époque), brillant élève, doué dans toutes les matières, réagit avec vigueur dès son adolescence. Son père a bien essayé de lui fabriquer des planchettes avec des clous à tête ronde disposés de telle sorte qu’ils forment des lettres. Mais ce système rudimentaire ne satisfait pas le jeune Louis, qui rejoint à Paris l’Institution royale des jeunes aveugles. Très vite, il devient professeur, mais également organiste.


Tandis que certains inventeurs présentent des méthodes afin de permettre aux aveugles de lire avec les mains, Louis Braille, de 16 à 18 ans, met au point sa propre méthode de transcription de l’alphabet (on ne traduit pas en braille, on transcrit en braille). Il va la perfectionner petit à petit. Le principe est de n’utiliser que deux colonnes de trois points, de travailler en relief, mais en creux, à lenvers. L’utilisation de six points en relief permet soixante-quatre combinaisons. Cela est suffisant pour prévoir les ponctuations, les accents, et les notes de musique. Il y a donc des livres en braille mais aussi des partitions musicales en braille. Louis Braille conçoit ainsi l’écriture à points saillants la plus accessible, l’anaglyptographie. Du grec « ana », en haut, « gluptos », gravé, et « graphein », écrire.


Atteint de tuberculose, il meurt très affaibli en janvier 1852, sans connaître l’essor national et international de son œuvre dont la généralisation a curieusement connu un début difficile.


En 1951, la Fédération Nationale des Aveugles demande le transfert des cendres de Louis Braille au Panthéon à l’occasion de la commémoration du centenaire de sa mort. René Pleven, président du Conseil, établit un projet de loi en ce sens qui est voté le 11 avril 1952 par l’Assemblée nationale. Certains descendants de la famille et quelques Cupressiens font remarquer que Louis Braille doit rester au cimetière de Coupvray conformément à son vœu d’y reposer. Lors d’une réunion, René de Buxeuil, compositeur, chansonnier, fondateur de l’Union Générale des Auteurs et Musiciens Aveugles, auteur de nombreuses mélodies, atteint de cécité depuis sa jeunesse (un camarade l’avait blessé au visage avec une carabine à plombs), ancien élève de l’Institut national des jeunes aveugles, propose une solution qui satisfait tout le monde. Les cendres pourront rejoindre le Panthéon, mais des reliques resteront à Coupvray. Le 20 juin 1952, le maire de Coupvray, un représentant de la préfecture, un administrateur civil de l’Éducation nationale, un commissaire de police et un médecin assistent à l’exhumation, opérée par le fossoyeur municipal Lefort. Braille a été inhumé en pleine terre. Il faut donc creuser avec précaution. On découvre un squelette, intact. Il est décidé de conserver les ossements des mains, destinés à être déposés, telles des reliques, dans une urne en comblanchien qui sera scellée sur la tombe.


Le squelette, sans ses mains, est couché dans un cercueil de zinc et de chêne. Le garde-champêtre du village pose les sceaux avec le tampon de cuivre de la commune.


Le cercueil est veillé tout d’abord par les habitants de Coupvray dans l’église communale, puis toute une nuit par les pensionnaires de l’Institut national des jeunes aveugles. Une cérémonie officielle est organisée à la Sorbonne. Le 22 juin, un long cortège accompagne dans la ferveur et l’émotion la dépouille du héros qui est accueillie au Panthéon par le président de la République, Vincent Auriol, et par les hautes autorités du pays.


En 1956, sa maison natale est transformée en petit musée, intimiste et authentique, dans la rue rebaptisée à son nom.


Célébré par la Nation, populaire dans toutes les nations… celui qui, au crépuscule de sa courte vie ne voyait plus briller l’aurore depuis plus de quarante ans, n’imaginait peut-être pas que son invention, devenue méthode universelle, allait connaître un essor mondial.


Louis Braille, vainqueur incontesté de la nuit éternelle, bienfaiteur de l’humanité pour l’éternité !


 


 


Étienne Madranges,

Avocat à la cour,

Magistrat honoraire

Chronique n° 153


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