Rapport : « La symbolique du futur Tribunal de Paris »


vendredi 2 septembre 20164 min
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Le rapport sur « La symbolique du futur Tribunal de Paris » a été remis à Jean-Jacques Urvoas jeudi 21 juillet 2016. Antoine Garapon et son groupe de travail, « reflétant la diversité des destinataires de cette symbolique », ont mené une réflexion en collaboration avec l’équipe de l’architecte Renzo Piano. Le nouvel édifice, qui sera livré en juin 2017, a été conçu pour « ne pas culpabiliser ni intimider inutilement les justiciables ».



Le nouveau Palais de justice de la capitale s’appellera « Tribunal de Paris », tout simplement. « Ce nom définit le rassemblement des 20 Tribunaux d’instance de la capitale avec le Tribunal de Grande Instance, le Tribunal correctionnel, le Tribunal de police, le Tribunal pour enfants et le Tribunal des affaires de sécurité sociale ». Il est « compréhensible par tous », ajoute la Chancellerie. Magistrat, docteur en droit, animateur radio sur France Culture et auteur de nombreux ouvrages, c’est comme secrétaire général de l’Institut des Hautes études sur la Justice qu’Antoine Garapon a présenté le rapport intitulé « La symbolique du futur Tribunal de Paris ». C’est à la lecture de cette étude que le garde des Sceaux a choisi le nom. L’architecture du futur centre névralgique de la Justice à Paris met au cœur de sa réflexion « le ressenti des justiciables », indique un communiqué du ministère de la Justice. Dans la lettre de mission adressée à Antoine Garapon le 14 septembre 2015, le directeur de la direction des services judiciaires précisait que « le futur Palais de justice de Paris-Batignolles devra exprimer un langage en adéquation avec son temps, à même d’être compris par nos concitoyens ». Son architecture s’inscrira ainsi dans le mouvement des édifices de la fin du XXe siècle qui rompt avec le modèle néo-classique des Palais anciens. Mais Jean-François Beynel précise : « l’impératif d’une symbolique demeure ».

 

« Lieu de civitas »


D’un Palais en pierre au cœur du Paris historique à un gratte-ciel en verre dans le futur quartier de Clichy-Batignolles : symboliquement, ce n’est pas du tout la même chose. « La justice est rendue dans l’Île de la Cité depuis 2 000 ans », précise Etienne Madranges, magistrat et historien de la Justice. Mais la rupture ne sera pas si violente, car depuis le Moyen-âge la symbolique judiciaire a considérablement varié. Elle a tout d’abord voulu rappeler aux juges leur faillibilité, inhérente à ce qu’ils sont : des hommes. Car le pouvoir de déterminer le vrai du faux, le juste de l’injuste appartenait jusqu’alors à Dieu. Il y a donc au départ une grande méfiance vis-à-vis de l’institution. Plus tard, la monarchie, lorsqu’elle s’empare de la Justice pour affirmer sa puissance, modifie en même temps la symbolique judiciaire. Au XIVe siècle, la formule « le roi est source de toute justice et fontaine de justice » est inventée, il devient possible de faire appel des décisions seigneuriales devant la justice royale. Le monarque montre ainsi la bienveillance de son pouvoir. L’architecture change aussi. Elle devient monumentale et pédagogique. À la justice incarnée par le roi, la République substitue un pouvoir anonyme et rationnel. La loi est mise en scène. À la fois considéré comme un auteur indirect de cette loi et son sujet obéissant, le rôle du citoyen devient central. Le document d’Antoine Garapon précise qu’à cette époque « la loi, le pouvoir et les juges incarnent un pouvoir extérieur à la société qui n’a pas de difficultés à trouver son vocabulaire symbolique dans la représentation des souverains donateurs de la loi (de Justinien à Napoléon en passant par Saint-Louis), dans l’allégorisation des vertus cardinales des juges (la prudence, la sagesse, la jurisprudence) ou la figuration de la victoire de la justice sur le crime. Le tout sur les supports somme toute classiques qu’étaient la peinture ou la sculpture ».


Aujourd’hui, au contraire, il existe un lien indissoluble entre la loi et le « vivre ensemble ». L’architecte italien qualifie le nouveau modèle qui émerge de « lieu de civitas ». Ce terme fait référence à la tradition de l’ « humanisme civique ». « Renzo Piano fait le choix de l’urbanité contre l’urbanisme, c’est-à-dire d’un comportement social, soucieux des formes parce qu’il va à la rencontre de l’autre », ajoute le rapport.


Aux marches des Palais du XIXe siècle, majestueux décalage avec l’espace de la cité, le Tribunal de Paris a préféré une entrée dans l’espace judiciaire plus progressive. Le citoyen sera désormais accompagné et préparé pour cette séparation du « monde ordinaire » vers ce que le rapport nomme par euphémisme « une rencontre judiciaire ». L’architecture du XIXe siècle accentuait la différence entre les initiés et les autres. Le citoyen cumulait ainsi l’inquiétude ressentie face l’issue de son affaire avec l’embarras provoqué par un environnement hostile. L’architecture du nouveau Tribunal de Paris veut « briser cette intimidation inutile » indique le rapport avant d’ajouter : « Dans le futur Tribunal de Paris, la signalétique rend le justiciable maître de son propre accompagnement pour parvenir à sa salle d’audience ». L’architecte confirme ce souci de dédramatisation : « Nous ne voulons pas, dit Renzo Piano, tomber dans le piège de l’arrogance, de l’agressif, de l’intimidant ».


Le document propose une conception des symboles comme « ce qui procure un instrument au collectif pour marquer le temps, l’espace et la vie collective de ses propres valeurs » et non pas comme « un habillage de la domination ». Il s’agit ici de trouver l’entre-deux, « ne pas réduire le symbolique à ce qui intimide, voire écrase » sans tomber dans le mouvement de « dé-symbolisation » que l’on connait aujourd’hui et qui affaiblit l’institution judiciaire et sa capacité à modifier le réel uniquement par des instruments symboliques.


Éclairer et rendre transparent


Face à ce qu’Antoine Garapon analyse comme une perte de confiance à l’égard des institutions, « nous avons choisi la transparence » assure Renzo Piano. Le rapport précise rapidement : « transparence ne veut pas dire silence ». Au contraire, le verre sert de support à un discours pour l’éclairer et non pas l’opacifier. (...)


Victor Bretonnier






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