Rencontre des entrepreneurs de France - Quel capitalisme demain ?


lundi 16 septembre 20197 min
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Pour sa 21e édition, l’Université d’été du MEDEF (Mouvement des entreprises de France) a changé de nom. Désormais, il faut parler de la rencontre des entrepreneurs de France (La REF). Celle-ci a eu lieu à l’Hippodrome de Paris Longchamp les 28 et 29 août derniers, et a accueilli près de 7 500 chefs d’entreprise. Économiques, sociales, géographiques, fiscales… les inégalités, perçues ou réelles, revêtent de multiples formes. Quelles ripostes le capitalisme peut-il leur opposer, et quel rôle pour l’entreprise ? C’est à ces questions que les organisateurs ont choisi de consacrer cette nouvelle édition, via notamment la plénière d’ouverture « L’égalité, une obsession française ? ».

 

Selon le MEDEF, plus d’un milliard d’individus sont sortis de l’extrême pauvreté ces trente dernières années, et ce, grâce à la phase de mondialisation accélérée et à la croissance rapide que nous vivons actuellement.

Des classes moyennes ont émergé partout sur le globe. Cependant, dans les pays développés, les inégalités se sont accrues, et les revenus des classes moyennes et populaires ont stagné ou diminué.

Ces inégalités sont devenues d’autant plus insupportables du fait des ruptures auxquelles la planète doit faire face dans un même temps : urgence démographique, migrations, réchauffement climatique, etc. En France, en particulier, les inégalités ont toujours été perçues comme de véritables injustices. Et il semble que, depuis la Révolution française, la passion pour l’égalité n’ait jamais quitté l’Hexagone. Mais cette vision a-t-elle aujourd’hui encore toute sa pertinence ? Ne confond-on pas trop souvent égalité et égalitarisme, au point de refuser toute réforme, même nécessaire ?

C’est autour de ces interrogations qu’ont débattu, lors de la plénière « L’égalité, une obsession française ? » – animée par Fabienne Lissak, ex-journaliste à Bloomberg TV, animatrice de colloques Frédéric Beigbeder, écrivain, critique littéraire, animateur de télévision et réalisateur ; Éric Dupond-Moretti, avocat pénaliste ; Muriel Pénicaud, ministre du Travail et Natacha Polony, journaliste, essayiste et directrice de la rédaction de l’hebdomadaire Marianne.

 

L’ÉGALITÉ : RÉALITÉ OU POSTULAT ?

 

« Les hommes naissent égaux, mais dès le lendemain, ils ne le sont plus ». C’est par cette citation de Jules Renard que Fabienne Lissak a commencé la discussion. Si l’on s’accorde avec cette sentence, l’égalité ne serait qu’une pétition de principe. Or, l’égalité est-elle un simple postulat ? Quelle définition de l’égalité peut-on donner ?

Tout d’abord, Natacha Polony, la première à s’exprimer, a tenu à écarter un cliché très répandu selon lequel les Français préfèreraient l’égalité à la liberté. Préférence qui limiterait leur capacité d’action, de responsabilité, d’épanouissement, et donc la compétitivité du pays.

Or, « ce n’est pas un hasard si la devise française est Liberté Égalité Fraternité » a-t-elle déclaré. L’égalité, selon elle, ne peut donc se concevoir que dans ce triptyque, « Car il n’y a pas d’égalité sans liberté, et pas de liberté sans égalité. », a-t-elle ajouté.

Pour Natacha Polony, c’est à partir d’une définition qui articulerait ces deux éléments – liberté et égalité –, le tout appuyé sur la fraternité, que l’on peut commencer à débattre de l’égalité entre les individus.

Mais, a-t-elle poursuivi, la liberté ne peut être sans limites si l’on veut que l’égalité demeure. Ainsi, dans le domaine économique, le capitalisme doit être régulé. Approuvant les propos de Geoffroy Roux de Bézieux, président du MEDEF, qui dans son discours, a déclaré que « l’État n’a pas le monopole du bien commun », Natacha Polony a soutenu que c’est aux citoyens qu’appartient ce monopole : « cela s’appelle la démocratie ». Les individus comme les entreprises peuvent, certes, participer à la mise en œuvre de ce bien commun, mais celui-ci doit d’abord être défini par des citoyens égaux, « et égaux parce que libres et libres parce qu’égaux » a-t-elle insisté. En tout cas, cette égalité doit être pensée, pour la directrice de la rédaction de Marianne, à la fois individuellement et collectivement. Quant à la liberté, celle-ci ne peut exister, selon elle, dans une société dans laquelle des individus n’ont pas les moyens nécessaires à l’exercice de cette dernière. Citant Condorcet qui aurait déclaré que « la puissance publique doit l’instruction au peuple, parce sinon, la démocratie, c’est la tyrannie des imbéciles. », Natacha Polony a fait remarquer que quand un individu n’a pas les moyens de son émancipation, il ne peut exercer sa liberté. C’est pourquoi il appartient à la puissance publique de rétablir cet équilibre, a affirmé la journaliste.

Cette dernière a ensuite pris l’exemple des « gilets jaunes », afin de démontrer qu’il existe bel et bien en France des inégalités entre les territoires. Inégalités que l’État doit prendre en compte. « Quand vous êtes un citoyen qui vit dans une zone blanche où le portable ne capte pas, où il n’y a pas de dessertes ferroviaires, où les services publics ont reculé, je ne vois pas bien comment vous pouvez innover. Je ne vois pas comment vous pouvez exercer votre liberté, votre capacité à construire et à créer. » a-t-elle déclaré.

Pour Frédéric Beigbeder, l’égalité est si importante qu’il souhaiterait même qu’on modifie la devise républicaine, et qu’on mette les mots dans l’ordre alphabétique. L’« égalité » serait ainsi en premier. « Égalité, Fraternité, Liberté. La fraternité serait ainsi au milieu parce qu’elle est la condition de possibilité de l’existence des deux autres » a-t-il estimé.

Dans un monde de souffrance, de solitude, d’individualisme et d’égoïsme, la fraternité est, selon lui, le seul moyen de rétablir un certain équilibre, une certaine égalité.

Dans ce contexte, les chefs d’entreprise ont un rôle à jouer. Ils ont une vraie responsabilité. Les entreprises sont quasiment obligées de recycler, d’être éthiques, d’avoir une morale, sous peine d’être fustigées.

Bref, si l’égalité n’est pas un simple postulat, au sens où, selon les intervenants, celle-ci peut réellement advenir si l’on s’en donne les moyens, elle n’est cependant pas à l’ordre du jour dans notre monde actuel.

 

 

UN MONDE OU LES INÉGALITÉS ONT EXPLOSÉ

 

« Depuis 40 ans, ce qu’on voit partout dans le monde, c’est un creusement des inégalités, lesquelles sont liées à la dérégulation du capitalisme », a affirmé Natacha Polony. Cette dérégulation, qui a mené à la situation d’inégalités que l’on connait, est, à son avis,

« en train de fragiliser les démocraties occidentales ».

 

UN MONDE EN « COURBE D’ÉLÉPHANT »

 

Afin d’appuyer ses propos, Natacha Polony a fait référence à la « courbe de l’éléphant » de l’économiste Branko Milanovic1. Cette courbe mesure la progression des revenus de la population mondiale, en fonction du revenu de base.

Or, sur 20 ans, a expliqué la journaliste, « cette progression est quasiment nulle pour les populations africaines qui ne sont pas sorties de la pauvreté. »

Le dos de l’éléphant, ce sont les populations en Chine et en Inde qui sortent peu à peu du sous- développement.

Le haut de la « trompe de l’éléphant » renvoie aux revenus exponentiels des 0,1 % les plus riches de la planète. Or, « ces revenus ont explosé », a affirmé la journaliste, se référant aux indications chiffrées de la courbe.

Enfin, le « creux de la trompe » représente les classes populaires et les classes moyennes des pays occidentaux. Là, les revenus diminuent fortement ou stagnent (alors que le coût de la vie augmente).

En d’autres termes, cela signifie, selon Natacha Polony, que la mondialisation s’est faite sur le dos de ces deux dernières catégories.

« On leur a expliqué que la mondialisation c’était bien. Sauf qu’on a oublié de leur dire qu’il y en avait qui n’y participaient pas », s’est indignée l’essayiste. Selon elle, ceux qui profitent le plus de cette dérégulation sont les élite « dont la principale caractéristique est de tuer le libéralisme et la démocratie ».

En effet, a-t-elle expliqué, la fraternité n’existe plus au sein d’une communauté politique quand certains peuvent s’extraire de celle-ci, car ils n’ont pas les mêmes intérêts objectifs que les autres. Cette situation détruit les conditions de la démocratie. En conséquence, égalité, liberté et fraternité sont liées, selon Natacha Polony, à une juste régulation économique par la puissance publique.

 

LES INÉGALITÉS AU TRAVAIL

 

Pour Frédéric Beigbeder, qui a acquiescé à ces propos, il n’est en effet plus possible aujourd’hui de voir des chefs d’entreprise qui gagnent 300 ou 350 fois ce que gagne le salarié le moins bien payé de l’entreprise, alors que ce dernier concourt tout autant au fonctionnement de la société. « Cette disproportion dans les rémunérations est une obscénité », a-t-il déclaré. D’autant qu’avec l’avènement des réseaux sociaux, les très riches sont – et se rendent – beaucoup plus visibles : « aujourd’hui, on passe son temps à les voir dans les journaux, à la télévision, et sur les réseaux sociaux ».

Pour Muriel Pénicaud, certes les chefs d’entreprise apportent le capital lors de la création de la société, et ils prennent des risques – ce qui justifie que la valeur du capital est importante. Cependant, « on ne peut pas dire que le travail n’a aucune valeur par rapport au capital » a-t-elle ajouté. Quand ce dernier est totalement disproportionné par rapport à ce qu’on donne aux salariés, aux consommateurs, aux territoires, « c’est là qu’on va créer des inégalités inacceptables, et finalement, un terreau révolutionnaire dans des pays où cette culture-là est forte », a-t-elle insisté.

Pour la ministre du Travail, il y a donc une vraie réflexion à mener sur le partage de la valeur. « Heureusement », s’est-elle félicitée, les pouvoirs publics ont commencé à s’y atteler avec, par exemple, la loi en matière agroalimentaire et agricole (cf. loi Égalim du 1er novembre 2018), a-t-elle précisé. En outre, dans la loi PACTE, le ministère de l’Économie a facilité l’attribution de l’intéressement et de la participation dans les petites entreprises.

 

LES INÉGALITÉS FEMMES-HOMMES DANS LES ENTREPRISES

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