Rentrée judiciaire du TC de Bobigny : Bilan d’une année 2019 « intense »


samedi 7 mars 20209 min
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L’an dernier, le tribunal de commerce de Bobigny a rendu plus de 88 000 décisions, dont quelques-unes fortement médiatisées, a rapporté son président, Francis Griveau, lors de la traditionnelle audience de rentrée judiciaire.


C'est dans une salle bondée que le tribunal de commerce de Bobigny a fait sa rentrée, le 22 janvier dernier, à peine déstabilisé par la mobilisation silencieuse d’une vingtaine d’avocats, pancartes en main contre la réforme des retraites, groupés à l’entrée de la pièce. 


Si Fabienne Klein-Donati, procureure de la République, a félicité le président de la juridiction, Francis Griveau, pour sa réélection, et salué les juges fraîchement installés, elle n’a pas manqué de pointer, au regard de cette nouvelle promotion, que la parité était « loin d’être au rendez-vous ».
« Il va falloir progresser ! », a-t-elle enjoint, espiègle. 


Prenant bonne note de ce manque de diversité, le président s’est toutefois réjoui que deux juges aient pu rester pour un cinquième mandat, suite à la loi PACTE. « La Conférence des juges consulaires de France a permis de faire entendre notre voix », a-t-il précisé, avant de souhaiter « bon courage et bonne chance dans l’exercice de leurs fonctions » aux nouveaux juges amenés à siéger dès le lendemain. L’occasion de rappeler que « tous les juges consulaires exercent leurs fonctions à titre gratuit au vu de l’article L. 722-16 »
a souligné Francis Griveau. « lls ne peuvent accomplir leurs tâches que grâce au soutien de leur famille, de leur entreprise, et je tiens à les en remercier chaleureusement », a ajouté le président du tribunal de commerce de Bobigny. Ce dernier s’est également dit satisfait que les obligations déontologiques des juges et leur formation continue aient été dernièrement « renforcées » avec la loi Justice du XXIe siècle.


 


Bilan annuel de l’activité


Après avoir mis en exergue que le département de la Seine-Saint-Denis, avec 126 110 entreprises inscrites au Registre du commerce et des sociétés (RCS) et un solde net de 14 956 immatriculations en 2019, était « l’un des départements les plus dynamiques de France », Francis Griveau s’est livré au traditionnel bilan annuel de l’activité de son tribunal.


« Nos juges en charge ont eu une activité particulièrement intense avec le suivi du dépôt des comptes annuels ainsi que la relance des dirigeants suite à la mise en place du registre des bénéficiaires effectifs », a-t-il affirmé, évoquant près de 31 000 injonctions.


Autre chiffre tout aussi frappant, le TC de Bobigny a rendu pas moins de 88 000 décisions sur l’année écoulée. Francis Griveau a observé une augmentation des jugements au fond et des ordonnances de référé. 


« Le contentieux est le socle de notre tribunal (...). La qualité de ses jugements se mesure par un taux d’infirmation en appel de 1,23 % », s’est par ailleurs congratulé le président de la juridiction, qui n’a pas manqué de spécifier qu’après Aéroport de Paris, la SNCF était devenue au 1er janvier 2020 une Société Anonyme dépendant donc du tribunal de commerce de Bobigny pour le contentieux. « On peut aussi noter des affaires importantes concernant des litiges SNCF/SERNAM, ou encore des saisies conservatoires d’avions à Roissy », a illustré Francis Griveau.  Celui-ci a en outre constaté une hausse des enrôlements de conciliations, « en progression constante ». À ce titre, trois juges ont été agréés par la cour d’appel comme conciliateurs de justice. Dernière nouveauté en date : la juridiction met en place cette année la possibilité de saisir ces conciliateurs sans passer par la phase judiciaire, « ce qui permettra de résoudre des litiges dans un cadre plus serein », a assuré Francis Griveau. 


Le président est également revenu sur l’importance de la prévention, « la base pour que la vision extérieure des tribunaux de commerce soit l’aide aux entreprises et non celle de fossoyeur », a-t-il martelé. 412 entretiens ont ainsi été menés par les juges de la prévention, toutefois en baisse par rapport à 2018. « Mais nous comptons bien augmenter ce nombre en 2020 », a promis Francis Griveau. Souhaitant « illustrer l’importance sociale de la prévention », ce dernier a indiqué que le nombre moyen de salariés par société concerné en prévention était de 100 salariés, contre 10 salariés en redressement et 0,7 salarié en liquidation. Le président a également dénombré 42 ouvertures de dossiers de mandats ad hoc ou de conciliations, ayant permis de préserver 1,7 milliard d’euros de chiffres d’affaires et 5 418 emplois.


Par ailleurs, alors que l’activité du CIP (Centre d’Information sur la Prévention des difficultés des entreprises) est en augmentation, le président du tribunal de commerce de Bobigny a toutefois déploré : « Les organismes en contact avec les sociétés en difficulté ne nous adressent pas suffisamment de sociétés que nous pourrions aider. » Francis Griveau a ainsi regretté que la mise en place de la cellule d’aide aux entrepreneurs mis en liquidation, tenue par des juges honoraires du tribunal, ait « du mal à trouver sa place », malgré l’importance de son action, « qui trouve son essence dans la collaboration des réseaux AGIR, 60 000 Rebonds ou Apesa », associations de soutien aux entreprises et aux entrepreneurs en détresse. 


Du côté des procédures collectives, cette fois, le bilan de l’activité 2019 fait état de presque 2 400 ouvertures dont 17 sauvegardes – presque trois fois plus qu’en 2018 –, 318 redressements judiciaires – contre 168 en 2018 – et 2 006 liquidations (106 de moins qu’en 2018). Au titre de sa qualité de tribunal de commerce spécialisé (TCS) depuis février 2016, le TC de Bobigny, qui figure parmi les « plus importants de France » en nombre de dossiers, compte en outre 36 dossiers traités en procédure et en prévention rien que sur l’année 2019. Comme l’a souligné Fabienne Klein-Donati, une telle qualité amène la juridiction à gérer « des dossiers importants provenant de plusieurs départements ». À ses yeux, cela constitue pour le TC de Bobigny « un vrai challenge qui impose à tout le monde de hausser son niveau d’exigence en termes de qualité, de réactivité et de sérieux ». « J’en veux pour exemple que, dans un important dossier de sauvegarde, la décision rendue par votre tribunal a été acceptée et validée par un juge américain chargé pour sa part du volet outre atlantique de la même procédure. C’est dire l’impact et la portée que peuvent avoir certaines de vos décisions », a appuyé la procureure. « Cette activité, la plus médiatique, a permis à notre tribunal de se faire connaître à travers des problématiques particulières », a opiné le président ; à l’instar, notamment, de la cession de l’activité d’un réseau de 370 épiceries solidaires en un mois, avec l’aide du ministère des Solidarités et de la Santé, ou encore du plan de redressement du journal L’Humanité.


Enfin, Francis Griveau s’est arrêté sur les sanctions, en augmentation a-t-il relevé. Celui-ci a recensé 531 jugements de sanction personnelle (contre 425 en 2018) et 16 jugements de comblement en insuffisance d’actif, soit quatre fois plus que l’année précédente. Le président a signalé que l’activité de sanction du tribunal était principalement constituée d’interdictions de gérer et de faillites ; 221 jugements de faillite personnelle et 272 jugements d’interdiction de gérer au cours de l’année 2019, très exactement, comme est venue préciser Fabienne Klein-Donati, qui a estimé que les dérives de « certains employeurs trop nombreux » méritaient d’être « sanctionnées le plus fermement possible ». 


En la matière, le président s’est réjoui de la mise en place du Fichier National des Interdits de Gérer (FNIG), qui permet « de lutter efficacement contre la fraude, avec l’aide du Ministère Public et du Greffe, dont le rôle a été renforcé ».



Le président Griveau, au centre



 


Une « coopération active » avec le ministère public


La procureure en a profité pour souligner la réorganisation des audiences de sanction orchestrée par le président : « En renvoyant à des audiences tenues le lundi après-midi l’ensemble de ces dossiers, [cela] permet à mon parquet d’être présent, en particulier pour le suivi des procédures de comblement de passif, auquel je suis attachée, car elles imposent au dirigeant indélicat de contribuer à la réparation du dommage qu’il a causé. Elles sont trop peu souvent mises en œuvre. Mon parquet a d’ailleurs eu l’occasion de rappeler aux mandataires toute l’importance que revêt leur vigilance dans l’examen des dossiers et l’importance des actions en sanction qu’ils engagent dans ce cadre », a-t-elle ajouté.


Les améliorations ainsi constatées ne devraient cependant pas s’arrêter en si bon chemin. « Pour 2020, une attention est portée, avec l’aide de nos mandataires judiciaires, sur l’augmentation des actions patrimoniales à l’encontre des dirigeants. Une audience par mois y sera consacrée », a en effet annoncé Francis Griveau. 


Le président n’a pas manqué de glisser quelques mots sur la « coopération active » avec le ministère public, « afin d’agir pour la préservation de l’ordre public économique du département », notant que 604 saisines d’office avaient été effectuées en 2019. 


Fabienne Klein-Donati a rappelé que l’action de son parquet s'exerçait en effet en premier lieu par les saisines en vue de l’ouverture d’un redressement judiciaire ou du prononcé d’une liquidation judiciaire. « Ces requêtes parquet faites en complément des actions de prévention menées par votre tribunal sont source de nombreuses ouvertures de procédures collectives, ce qui démontre que trop souvent, le dirigeant, et, je pense, à tort, craint l’ouverture de la procédure collective, alors même qu’elle peut être la solution à des impasses de trésorerie parfois sévères », a considéré la procureure de Bobigny. 


Cette dernière a également été félicitée pour la mobilisation sans faille de son parquet. « Nous connaissons tous la charge du ministère public dans ce département, et son manque de moyens. Malgré cela, Madame la Procureure, il vous a été possible d’augmenter légèrement le taux de présence du parquet aux audiences de procédures collectives », a salué Francis Griveau. « Bien qu’elle soit en sous-effectif une partie de l’année, j’ai tenu à maintenir et renforcer la présence du parquet aux audiences de procédures collectives pour répondre à l’accroissement de votre activité, a abondé Fabienne Klein-Donati. 


La réouverture du secrétariat commercial dédié au suivi de ce contentieux, pour appuyer l’activité des magistrats, toujours au nombre de deux, qui suivent les procédures relevant de votre juridiction a permis de mieux prendre la mesure du volume d’activité et de la diversité des interventions de mon parquet. À cet égard, les chiffres globaux situent le tribunal de commerce de Bobigny sensiblement au même niveau que Paris, ce qui montre son importance. »







Fabienne Klein-Donati


La procureure est revenue d’autre part sur le rôle essentiel que la juridiction commerciale exerçait en amont en matière de prévention des difficultés des entreprises, notamment via l’action du parquet en matière de sociétés fictives et de lutte contre les faux experts comptables. « Une vraie stratégie de lutte contre ce phénomène se met progressivement en place tant au plan administratif que pénal », a-t-elle précisé, et ce, à trois stades. Premièrement, au stade de la création d’entreprise par le filtre que constitue le contrôle exercé par le greffe au visa des dispositions de l’article L. 210-7 du Code de commerce, en vérifiant notamment l’identité du gérant, sa capacité à gérer, l’adresse du siège social. Ensuite, au stade de l’exploitation, en intégrant la problématique des faux comptables, en surveillant les sociétés de domiciliation, et les multi-dirigeants cumulant les mandats sociaux. Enfin, au stade des procédures collectives, au travers des sanctions personnelles prononcées, de la vigilance sur les fraudes aux AGS et la cohérence des emplois avec l’objet social. « La tâche est importante et la feuille de route ambitieuse, mais cela doit constituer un axe de travail majeur de cette année 2020 », a déclaré Fabienne Klein-Donati. « Les services d’enquête en matière financière sont toujours très chargés, mais j’entends continuer à assurer une présence forte du parquet dans la lutte contre l’ensemble des infractions financières, dont l’impact sur le tissu économique et plus encore les victimes, est conséquent dans un département où les disparités économiques sont considérables », a-t-elle par ailleurs promis. 


Pour finir, la procureure a tenu à souligner « l’important travail effectué » pour la mise en œuvre de la loi sur les bénéficiaires effectifs. Cette dernière a en effet amené un peu plus de 82 000 sociétés à se mettre en règle et permis une mise à jour du registre du commerce et des sociétés. « Il a été procédé sur réquisitions de mon parquet à 30 794 procédures d’astreintes liquidées au profit du trésor pour un montant total de 2 315 700 euros.
À cette occasion, 13 066 radiations ont été prononcées
 », a rapporté Fabienne Klein Donati.


À Bobigny, on ne badine pas avec le RCS !


 


Bérengère Margaritelli


 


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