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Venu se confier au Club de l’Audace de Thomas Legrain en mars dernier, Bruno Cercley, PDG de Rossignol, est revenu sur le développement du leader de l’équipement de sport d’hiver, qui après avoir connu des heures sombres au début des années 2000, semble bien remis en piste(s).
Pourtant, le PDG du leader mondial de l’équipement de sport d’hiver l’a admis : il est arrivé chez Rossignol « un peu par accident ». Rien ne le prédestinait en effet à finir dans le ski : au départ, Bruno Cercley suit une formation d’ingénieur aéronautique, puis occupe des fonctions commerciales et de direction générale dans l’industrie des matériaux chez Owens Corning, Atochem, Saint-Gobain. « Tout ça, avant de me retrouver, en 2002, dans un univers que je ne connaissais pas : le sport », a-t-il raconté.
Rossignol cherchait alors un directeur général ouvert d’esprit, capable de gérer un groupe multi activités : ce profil lui ressemble, il veut tenter l’aventure. À l’époque, l’entreprise est familiale ; Bruno Cercley gère alors Rossignol en « fils de père de famille ». Mais l’actionnaire de référence prend de l’âge, il n’y a pas de successeur, total, l’équipementier isérois est vendu à Quicksilver en 2005 et Bruno Cercley devient président de Coleman Europe, division du groupe américain Jarden.
2005, c’est précisément là que commencent les problèmes pour Rossignol, a affirmé Bruno Cercley. « Quicksilver avait une stratégie textile et voulait développer cette branche. Mais elle s’est retrouvée enfermée dans un positionnement d’entrée – milieu de gamme, sans originalité des produits, au milieu d’un marché où des dizaines d’autres marques étaient déjà bien installées. » En parallèle, la société australienne n’a pas su gérer la partie industrielle du groupe, a-t-il estimé ; « Or il fallait rationaliser cette partie industrielle le plus vite possible. Quicksilver l’a fait, mais en partie, assez mal, avec du retard, des coûts importants ». Les processus de fonctionnement se sont alors rapidement grippés, a expliqué Bruno Cercley, ce que Quicksilver n’a pas vu arriver, tout occupée qu’elle était au textile. Pour couronner le tout, la météo décide de s’en mêler : 2006 et 2007 verront passer deux hivers « pratiquement sans neige ».
« Être petits, économes »
En 2008, alors que Rossignol n’est plus que l’ombre d’elle-même, c’est paradoxalement cette situation qui va décider un actionnariat tripartite à sa rescousse, avec l’ambition de redresser le groupe. L’équipementier est racheté pour 40 millions d’euros (contre 240 déboursés trois ans plus tôt par Quicksilver) par le consortium « Chartreuse et Mont Blanc » dirigé par un Bruno Cercley qui n’en a pas fini avec Rossignol, consortium auquel participent aussi Jarden et la banque australienne Macquarie.
Et il va falloir se retrousser les manches : au moment de sa vente à Quicksilver en 2005, le groupe affichait 500 millions de chiffre d’affaires. En 2008, il n’en fait plus que 248 millions, moins 68 millions de résultats nets, sans compter une dette de plus de 300 millions.
« Quand vous allez voir les banques avec cette carte de visite,
surtout en 2008, en pleine crise, c’est compliqué : on est repartis avec
zéro financement. Cela nous a obligés à être petits, économes, tout en trouvant
les meilleures solutions. » Une expérience que le PDG a jugé avec le
recul « extraordinaire ». Mais à l’époque, le constat est
dramatique.
« On se rend compte que les process sont cassés. On voit des usines
complètement embouteillées de références de skis dans tous les sens, sans aucun
processus pour gérer toute cette complexité. Tout était parti à vau l’eau, sans
aucun contrôle. » Quand Bruno Cercley reprend le groupe, dès les
premières réunions opérationnelles et comités d’entreprise, il ne peut que se
rendre à l’évidence : « les gens sont fatigués, physiquement,
psychologiquement. Un an de process de vente dans une société qui ne gagne pas
d’argent et qui en perd beaucoup, c’est très compliqué ». Alors le
nouveau PDG doute : peut-être que ce rachat était une folie, sans doute
n’arrivera-t-il pas à relever Rossignol.
Revenir au métier de base
Le redémarrage commence par un coup de chance : la neige, cet hiver-là, est au rendez-vous. L’équipementier prend en parallèle la décision de revenir au « métier de base ». « Je voyais des personnes en R&D qui travaillaient sur des systèmes d’affichage tête haute sur des masques, et pendant ce temps on ne sortait pas une seule paire de skis de qualité des usines… On s’est dit : tant qu’on ne réussit pas à sortir des skis dans des conditions de rentabilité correcte, on ne fait pas autre chose », a relaté Bruno Cercley
La décision est prise de simplifier les gammes, de diviser par deux le nombre
de références et de détruire une partie du stock : « Quand on a
repris Rossignol des mains de Quicksilver, on avait plus de 1,1 million de
paires de skis en stock. On a été le premier groupe dans le monde à passer au
rouleau compresseur 350 000 paires de skis, en se promettant de ne
plus jamais faire de course au volume. » L’année suivante,
l’équipementier génère un chiffre d’affaires de 30 % inférieur avec une
marge de 30 % supérieure. « Cela nous
a permis de repartir sur des bases solides »,
a assuré Bruno Cercley.
Après avoir simplifié l’offre, le nouveau PDG opère une réduction
drastique mais nécessaire, et supprime 35 % des effectifs, sans fermer
d’usine. Une décision qui passe « plutôt bien » : « nos
employés ont compris qu’on n’avait pas le choix ». L’équipe de
direction est quant à elle renouvelée.
« On avait des skieurs de très bon niveau, ce qui est un plus quand on
vend de l’équipement de sport d’hiver. Mais ce qu’il y avait de mieux à faire,
c’était d’avoir une combinaison de personnes de l’intérieur, qui connaissent
bien les produits, et de personnes de l’extérieur, qui connaissent bien les
process. »
Après avoir passé deux ans à se remettre sur pied, à avoir repris
des parts de marché et récupéré la confiance des autres pays, Rossignol lance
de nouveaux produits et mise sur la compétition. Le groupe sort ainsi un
nouveau modèle chaussures, en 2010, pour les JO de Vancouver. À cette occasion,
le skieur suisse Didier Défago gagne la descente olympique équipé de ces
chaussures.
Une aubaine pour la marque française, qui mesure alors l’intérêt pour elle de
la compétition dans le lancement d’un produit. « Si vous gagnez avec un
produit et que vous le vendez au même moment dans vos magasins, c’est beaucoup
plus facile. L’argument de vente est tout trouvé. » La société
continue en outre de contribuer au développement de la compétition mondiale de
ski, convaincue que cela fait avancer et permet de maintenir le contact avec le
grand public.
Rossignol en profite aussi pour renouveler son attachement au made in France. Le groupe adopte le label « origine France garantie », après avoir rapatrié à Sallanches une partie de la production qui se faisait à Taiwan. « Produire là-bas, c’était un non-sens économique au niveau des matières, au niveau du marché. Maîtriser les usines en Europe, en étant proches du marché, nous donne au contraire une capacité à réagir, une flexibilité, une agilité incomparables. »
L’ère de la diversification
En 2014, le groupe est mûr pour une nouvelle phase de développement, et se lance à la recherche d’un nouvel investisseur majoritaire. « Je voulais un investisseur qui comprenne les sports d’hiver, et la mécanique de saison. Je voulais aussi qu’il comprenne que l’avenir du groupe est dans le textile », a affirmé Bruno Cerlcey. Ce sera le fonds scandinave Altor, notamment connu pour avoir relancé et redressé Helly Hansen, marque d’outdoor spécialiste du nautisme et des sports d’hiver.
Mais plus question de refaire les erreurs du passé. Rossignol se concentre sur le développement d’une ligne de vêtements alliant technique et mode. La société fait reposer à cet effet une partie de son activité textile basée à Milan, « un microcosme local qui avance beaucoup sur la technicité et le design du produit ». La branche textile représente aujourd’hui pas moins de 80 millions d’euros. Bruno Cercley l’a prédit : ce chiffre sera multiplié par 6 d’ici quelques années.
L’équipementier opère par ailleurs un focus sur l’outdoor. Des activités permettent de désaisonnaliser le métier de base et permet de stabiliser le groupe sur l’année, en particulier via un allié de taille : le vélo, que le groupe développe, à la vente et dans les stations. « On a observé que dans les montagnes, les gens font du ski l’hiver et du vélo l’été, a souligné le PDG de Rossignol. En France et dans d’autres pays européens, le VTT électrique se développe de façon exponentielle, c’est une nouvelle expérience que les gens découvrent en famille, entre amis. » Sur sa lancée, Rossignol rachète ainsi Time en 2016 et Felt Bicycles en 2017. Pour Bruno Cercley, l’avantage du vélo est qu’il offre « des combinaisons infinies ». Se diversifiant dans le vélo à assistance électrique (VAE), le groupe a ainsi dévoilé fin 2018 son E-Track Fat, un VAE spécialement conçu pour la montagne.
La Chine, tout schuss sur les sports d’hiver
Pour Bruno Cercley, ce sont les années de redressement qui ont fait la
force de son entreprise : « En 2008, on perdait
200 000 euros par jour. C’est souvent dans ces périodes qu’on est le
plus intelligent : on est obligé de se “creuser” pour trouver des
solutions. » Aujourd’hui, le PDG veut continuer à voir grandir
Rossignol. Le groupe développe une approche de stratégie digitale B to C de
plus en plus prégnante, étoffe sa stratégie e-commerce et maintient une
présence accrue sur les réseaux sociaux pour se rapprocher du consommateur.
Parallèlement, il continue à se propager ;
à « ouvrir des boutiques un peu partout » : Saint-Germain
à Paris, Lyon, Colorado, New York... Un essaimage « maîtrisé »,
a assuré Bruno Cercley, le but étant principalement d’exposer les produits
proposés.
Par ailleurs, si la France et les États-Unis représentent une majeure
partie du marché mondial du ski, un pays jusque-là peu concerné se met tout
schuss sur les sports d’hiver :
la Chine, et cela n’a pas échappé au PDG de Rossignol. « Avec les JO
2022 à Pékin, l’objectif du gouvernement chinois est de faire sortir les gens
des villes pour leur faire faire du sport ». Les stations de ski
chinoises sont donc en effervescence, et les investissements colossaux :
« des stations immenses sont destinées à aider à l’apprentissage du ski
pour la population. D’ailleurs la Chine a une politique radicale en la
matière : pour atteindre ses objectifs, le pays a décidé que les classes
de neige seraient obligatoires entre 10 et 12 ans ».
Une perspective réjouissante pour Rossignol. La Chine pourrait en effet représenter 100 millions de skieurs d’ici 6-7 ans, contre 15 aujourd’hui, et constituerait une grande part du marché mondial du ski. En 2018, le groupe ouvre ainsi 20 % de son capital à un investisseur chinois, IDG Capital. Cap donc sur la Chine. « Ce qui nous intéresse, c’est l’ouverture de boutiques à Pékin, Shanghai, Hong Kong. Notre objectif n’est pas tellement de vendre beaucoup de matériel, mais d’utiliser l’histoire de notre marque pour le textile. Le pouvoir d’achat de cette population sur ces produits est incroyable. » Bref, l’oiseau centenaire n’est pas près de s’arrêter de chanter.
Bérengère Margaritelli
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