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La faculté de droit et science politique de l’université Toulouse Capitole a proposé mi-mars le colloque intitulé « Le capital social », organisé par le centre de droit des affaires et l’institut national universitaire Champollion. Nous nous faisons ici l’écho, sous forme de série, des idées échangées au cours de cette journée sous la houlette des modérateurs, Arnaud de Bissy, Hélène Durand, Nadège Jullian, et Emmanuel Cordelier. La série « Le capital social » regroupe les articles suivants :
• Le salarié actionnaire : quelles réalités ? ;
• Le désengagement capitalistique de l’État actionnaire ;
• La société non capitaliste ;
• Risques et intéressement des managers au capital ;
• Les conséquences de la non-libération des apports ;
• La variabilité du capital social ;
• Le cash out, une opération risquée.
L'opération de cash-out a été mise en lumière à la suite de plusieurs avis rendus par le comité de l'abus de droit fiscal. Simple opération de réduction de capital non motivée par les pertes, elle possède de nombreuses vertus civiles, mais surtout une fiscalité attrayante, laquelle doit conduire à la plus grande vigilance, en raison du risque de qualification en abus de droit fiscal.
Le
capital social d'une société peut être réduit en raison de l'apparition de
pertes, mais également en l'absence de pertes. Ce second visage de la réduction
de capital peut de prime abord apparaître étonnant. La société va restituer des
richesses aux associés en diminuant son capital ; elle paie à l’associé
ses droits sociaux, à la manière d’un simple acheteur et les annule afin de
réduire son capital.
Inverse
de l'opération d'augmentation de capital par apport de richesse, l'opération
n'est pas analysée comme une distribution sur le plan juridique. S’agissant de
sa fiscalité, elle relève de celle des plus-values pour la part des sommes
versées représentant les réserves de la société, comme le soulignent les
spécialistes de l’opération (1).
En réalité,
les choses sont un peu plus complexes, car les réductions de capital non
motivées par des pertes peuvent emprunter deux voies alternatives : la
réduction du nombre de titres de capital, ou encore la réduction de la valeur
nominale des titres. Concrètement, cela peut conduire une société avec un
capital social de 1000 euros divisé en 100 actions de 10 euros à supprimer 10
actions, le capital sera alors de 900 euros et sera représenté par 90 actions,
ou dans une même configuration à réduire le nominal à 9 euros, le nombre de titres
est alors conservé.
En
outre, l’opération n’est pas neutre pour les créanciers, puisque les richesses
de la société sont attribuées aux associés, et la dette de dernier rang, le
capital est réduit. C’est pourquoi les créanciers bénéficient d’un droit
d’opposition. À titre d’exemple, en matière de SA, l’opposition est organisée à
l’article L. 225-205 du code de commerce. Elle permet aux créanciers craignant
la réduction de l’assiette de leur droit de gage général d’obtenir
éventuellement le remboursement de leur créance ou la constitution de garantie,
mais uniquement si le juge estime leur demande légitime ; autrement dit,
s’ils ont des raisons de s’inquiéter de la solvabilité future de la société,
leur débiteur. En pratique, le risque d’entrave à l’opération par les
créanciers est faible, car les sociétés qui choisissent la voie du cash out
sont en bonne santé financière, si bien que les créanciers ne sont pas alarmés
par la réalisation de l’opération.
L’opération
brièvement présentée interroge sur pourquoi les associés choisiraient une
réduction de capital non motivée par les pertes plutôt qu’une simple
distribution. Surtout, en raison de son régime fiscal avantageux, se pose la
question de savoir si cette opération n’encourt pas la qualification en abus de
droit fiscal. Nous allons présenter les deux facettes du cash out, d’un côté,
ses atouts, de l’autre, le risque fiscal lié.
L’opération
de réduction de capital non motivée par les pertes présente à la fois des intérêts
juridiques et fiscaux.
Parmi
les vertus juridiques de l'opération, vient tout d'abord l’intérêt sur le plan
purement financier. Il s'agit de la fameuse relution du capital social. En
effet, lorsque des titres sont annulés et si la société maintient le même
bénéfice, apparait alors mécaniquement une amélioration du bénéfice net par
actions. En d’autres termes, là où l’augmentation de capital entraîne une
dilution des participations de ceux qui n’y participent pas, la réduction de
capital entraîne l’effet inverse.
Autre
utilité, l'opération peut permettre d'organiser la sortie d'un associé, notamment
quand ce dernier souhaite exercer son droit de retrait statutaire ou encore
extrastatutaire, lorsqu'il est exclu de la société, ou tout simplement pour
mettre fin à une querelle entre associés. La réduction de capital non motivée
par les pertes offre une porte de sortie en cas de conflit entre associés.
Il
n’est, par ailleurs, pas exclu que l’opération de réduction se réalise par la
sortie, non pas de liquidités du patrimoine social, mais d’un bien en nature. L'opération
peut permettre d'alléger le bilan de la société dans la perspective d'une
transmission. Par exemple, un repreneur, ne disposant pas des fonds nécessaires
pour acquérir la société d'exploitation avec l'immeuble social, pourrait voir
son projet d’acquisition facilité par la mise en place d'une telle opération
préalablement à l'acquisition des titres. Autre exemple, un associé, ayant deux
enfants et souhaitant transmettre sa société d’exploitation à l’un d’entre eux,
pourrait grâce au cash out sortir les actifs immobiliers de la société
pour en réduire la valeur, puis constituer des lots égalitaires lors d’une
donation-partage avec ses deux enfants, le premier obtenant les titres, le
second l’immobilier d’entreprise.
Enfin,
parce que la réduction de capital social altère la substance des droits
sociaux, les actifs obtenus en contrepartie ne sont pas qualifiés de fruits,
mais de produits (2). Or seuls les fruits des biens propres sont attirés par la
communauté. Partant, si les droits sociaux sont des propres d’un époux, toute
distribution de dividendes profite à la communauté. En revanche, les produits
échappent à l’attraction communautaire et demeurent des biens propres de
l’époux propriétaire des droits sociaux. Le choix de la réduction de capital en
lieu et place d’une distribution pour faire échapper la somme à la communauté semble
moralement contestable. Cependant, il est vrai que d’un point de vue purement
stratégique, l’incidence sur les qualifications du droit des régimes
matrimoniaux peut être prise en compte par l’associé et son conseil.
Enfin,
l’atout le plus remarquable, est le régime fiscal attractif de la réduction de
capital non motivée par les pertes des sociétés à l’impôt sur les sociétés. En
effet, les associés d’une société souhaitant retirer des richesses de leur
société peuvent soit procéder à une distribution de dividendes si l'exercice a
été bénéficiaire, soit procéder à une annulation des titres si la société a
accumulé des réserves. Or la seconde voie est fiscalement plus attractive.
Prenons
un exemple afin de démontrer cette affirmation : Monsieur XYZ fonde une
SAS unipersonnelle, soumise à l’impôt sur les sociétés, en 2000 au capital
social de 100.000 euros, divisé en 100 actions de 1000 euros de nominal. Les
réserves de la société sont d’un montant de 200.000 euros de sorte que la
valeur théorique de chaque action est de 3000 euros. Le taux marginal
d’imposition de Monsieur XYZ est de 45%.
Monsieur
XYZ souhaite sortir 60.000 euros de liquidités. Deux possibilités s’offrent
donc à lui, que nous allons comparer, voter une distribution ou réduire le
capital social et pour chacune des options, Monsieur XYZ peut être imposé à un
taux forfaitaire, le fameux Prélèvement forfaitaire unique, ou choisir le
barème progressif.
De
prime abord, l’unification des fiscalités applicables aux différentes
opérations (distribution de dividendes et réduction de capital social) pourrait
laisser supposer un coût fiscal similaire dans les deux hypothèses. Or, il n'en
est rien, car si le taux est le même, la base de taxation diffère (3). En
outre, des abattements peuvent s’appliquer en cas d’option pour l’imposition au
barème progressif.
La
distribution de dividendes aboutit ainsi soit à un prélèvement au PFU de 30%,
soit 18 000 euros pour 60 000 euros distribués, soit un impôt de 16 200 euros
et des prélèvements sociaux de 17,2%, soit 10 320 euros et donc un total de 26
520 euros.
En
revanche, si Monsieur XYZ réalise une réduction de capital en se faisant
racheter 200 actions, d’une valeur vénale grâce aux réserves de 3 000 euros
chacune, il percevra aussi 60 000 euros. En vertu de l’article 112-6° du Code général
des Impôts, la taxation se fera selon le régime des plus-values de cession de
titres, au prélèvement fiscal unique (PFU) ou sur option au barème progressif. La
Plus-value étant de 40 000 euros, seule cette somme supportera l’impôt.
Au
PFU, il devra payer 12 000 euros. Au barème de l’impôt sur le revenu, il pourra
éventuellement bénéficier d’un abattement de 85% sur le montant de la
plus-value puisqu’il détient ses titres depuis plus de 8 ans et les a acquis
avant le 1er janvier 2018. Il devra ainsi payer 4 050 euros d’impôt
et cette fois 6 880 euros de prélèvements sociaux (les 17 ; 2% étant cette
fois appliqué sur la plus-value et non la somme totale). Soit un coût global de
10 930 euros.
En
résumé, le coût final est de :
Options |
Distribution
de dividendes |
Réduction
de capital social |
PFU |
18
000 € |
12
000 € |
Barème
progressif |
26
520 € |
10
930 € |
NB :
lors du choix pour le PFU ou le barème, il ne faut pas oublier que cette option
doit être prise globalement par le contribuable, pour l’ensemble des revenus de
capitaux mobiliers.
Il
apparaît donc que la réduction de capital permet au contribuable de percevoir
des liquidités de la société à moindre coût fiscal que la solution
traditionnelle de la distribution de dividendes. Aux atouts juridiques de
l’opération, s’ajoute donc un atout fiscal conséquent.
Premier
danger, l'administration fiscale a tenté à plusieurs reprises de démontrer que
le recours à la réduction de capital non motivée par les pertes en lieu et
place d'une simple distribution de dividendes constitue un abus de droit fiscal.
Elle se fonde dans ses redressements sur l'abus de droit par fraude à la loi et
non sur l'abus de droit par simulation, l'opération de réduction de capital
n'étant pas fictive. En outre, très récemment, la Cour administrative de
Bordeaux a retenu une solution inquiétante en présence d’une opération de
réduction de capital social non motivée par les pertes, conduisant à son tour à
craindre le traitement fiscal de cette opération.
Pour qualifier l'opération d'abus de droit, l'administration dispose de deux armes : l'article L.64 et l'article L.64A également appelé mini abus de droit fiscal. Cependant, à la lecture de ces textes, deux critères cumulatifs sont exigés – la contrariété à l’intention du législateur et la poursuite d’un but exclusivement ou principalement
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