SÉRIE « LE CAPITAL SOCIAL » (10). Le cash out, une opération risquée


mardi 30 avril 20248 min
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Notre série "Le capital social"

La faculté de droit et science politique de l’université Toulouse Capitole a proposé mi-mars le colloque intitulé « Le capital social », organisé par le centre de droit des affaires et l’institut national universitaire Champollion. Nous nous faisons ici l’écho, sous forme de série, des idées échangées au cours de cette journée sous la houlette des modérateurs, Arnaud de Bissy, Hélène Durand, Nadège Jullian, et Emmanuel Cordelier.
  • SÉRIE « LE CAPITAL SOCIAL » (10). Le cash out, une opération risquée

  • La faculté de droit et science politique de l’université Toulouse Capitole a proposé mi-mars le colloque intitulé « Le capital social », organisé par le centre de droit des affaires et l’institut national universitaire Champollion. Nous nous faisons ici l’écho, sous forme de série, des idées échangées au cours de cette journée sous la houlette des modérateurs, Arnaud de Bissy, Hélène Durand, Nadège Jullian, et Emmanuel Cordelier. La série « Le capital social » regroupe les articles suivants :


    • Le coup d’accordéon ;

    • Le capital social entamé ;

    • Le salarié actionnaire : quelles réalités ? ;

    • Le désengagement capitalistique de l’État actionnaire ;

    • La société non capitaliste ;

    • Risques et intéressement des managers au capital ;

    • Les conséquences de la non-libération des apports ;

    • Le capital social imaginaire : le cas de l'entreprise individuelle assimilée à une EURL (ou à une EARL) ;

    • La variabilité du capital social ;

    • Le cash out, une opération risquée.


    L'opération de cash-out a été mise en lumière à la suite de plusieurs avis rendus par le comité de l'abus de droit fiscal. Simple opération de réduction de capital non motivée par les pertes, elle possède de nombreuses vertus civiles, mais surtout une fiscalité attrayante, laquelle doit conduire à la plus grande vigilance, en raison du risque de qualification en abus de droit fiscal.

    Le capital social d'une société peut être réduit en raison de l'apparition de pertes, mais également en l'absence de pertes. Ce second visage de la réduction de capital peut de prime abord apparaître étonnant. La société va restituer des richesses aux associés en diminuant son capital ; elle paie à l’associé ses droits sociaux, à la manière d’un simple acheteur et les annule afin de réduire son capital.

    Inverse de l'opération d'augmentation de capital par apport de richesse, l'opération n'est pas analysée comme une distribution sur le plan juridique. S’agissant de sa fiscalité, elle relève de celle des plus-values pour la part des sommes versées représentant les réserves de la société, comme le soulignent les spécialistes de l’opération (1).

    En réalité, les choses sont un peu plus complexes, car les réductions de capital non motivées par des pertes peuvent emprunter deux voies alternatives : la réduction du nombre de titres de capital, ou encore la réduction de la valeur nominale des titres. Concrètement, cela peut conduire une société avec un capital social de 1000 euros divisé en 100 actions de 10 euros à supprimer 10 actions, le capital sera alors de 900 euros et sera représenté par 90 actions, ou dans une même configuration à réduire le nominal à 9 euros, le nombre de titres est alors conservé.

    En outre, l’opération n’est pas neutre pour les créanciers, puisque les richesses de la société sont attribuées aux associés, et la dette de dernier rang, le capital est réduit. C’est pourquoi les créanciers bénéficient d’un droit d’opposition. À titre d’exemple, en matière de SA, l’opposition est organisée à l’article L. 225-205 du code de commerce. Elle permet aux créanciers craignant la réduction de l’assiette de leur droit de gage général d’obtenir éventuellement le remboursement de leur créance ou la constitution de garantie, mais uniquement si le juge estime leur demande légitime ; autrement dit, s’ils ont des raisons de s’inquiéter de la solvabilité future de la société, leur débiteur. En pratique, le risque d’entrave à l’opération par les créanciers est faible, car les sociétés qui choisissent la voie du cash out sont en bonne santé financière, si bien que les créanciers ne sont pas alarmés par la réalisation de l’opération.

    L’opération brièvement présentée interroge sur pourquoi les associés choisiraient une réduction de capital non motivée par les pertes plutôt qu’une simple distribution. Surtout, en raison de son régime fiscal avantageux, se pose la question de savoir si cette opération n’encourt pas la qualification en abus de droit fiscal. Nous allons présenter les deux facettes du cash out, d’un côté, ses atouts, de l’autre, le risque fiscal lié.

    Les atouts de la réduction de capital non motivée par les pertes

    L’opération de réduction de capital non motivée par les pertes présente à la fois des intérêts juridiques et fiscaux.

    • 4 éléments juridiques à retenir

    Parmi les vertus juridiques de l'opération, vient tout d'abord l’intérêt sur le plan purement financier. Il s'agit de la fameuse relution du capital social. En effet, lorsque des titres sont annulés et si la société maintient le même bénéfice, apparait alors mécaniquement une amélioration du bénéfice net par actions. En d’autres termes, là où l’augmentation de capital entraîne une dilution des participations de ceux qui n’y participent pas, la réduction de capital entraîne l’effet inverse.

    Autre utilité, l'opération peut permettre d'organiser la sortie d'un associé, notamment quand ce dernier souhaite exercer son droit de retrait statutaire ou encore extrastatutaire, lorsqu'il est exclu de la société, ou tout simplement pour mettre fin à une querelle entre associés. La réduction de capital non motivée par les pertes offre une porte de sortie en cas de conflit entre associés.

    Il n’est, par ailleurs, pas exclu que l’opération de réduction se réalise par la sortie, non pas de liquidités du patrimoine social, mais d’un bien en nature. L'opération peut permettre d'alléger le bilan de la société dans la perspective d'une transmission. Par exemple, un repreneur, ne disposant pas des fonds nécessaires pour acquérir la société d'exploitation avec l'immeuble social, pourrait voir son projet d’acquisition facilité par la mise en place d'une telle opération préalablement à l'acquisition des titres. Autre exemple, un associé, ayant deux enfants et souhaitant transmettre sa société d’exploitation à l’un d’entre eux, pourrait grâce au cash out sortir les actifs immobiliers de la société pour en réduire la valeur, puis constituer des lots égalitaires lors d’une donation-partage avec ses deux enfants, le premier obtenant les titres, le second l’immobilier d’entreprise.

    Enfin, parce que la réduction de capital social altère la substance des droits sociaux, les actifs obtenus en contrepartie ne sont pas qualifiés de fruits, mais de produits (2). Or seuls les fruits des biens propres sont attirés par la communauté. Partant, si les droits sociaux sont des propres d’un époux, toute distribution de dividendes profite à la communauté. En revanche, les produits échappent à l’attraction communautaire et demeurent des biens propres de l’époux propriétaire des droits sociaux. Le choix de la réduction de capital en lieu et place d’une distribution pour faire échapper la somme à la communauté semble moralement contestable. Cependant, il est vrai que d’un point de vue purement stratégique, l’incidence sur les qualifications du droit des régimes matrimoniaux peut être prise en compte par l’associé et son conseil.

    • Le traitement fiscal avantageux de l’opération

    Enfin, l’atout le plus remarquable, est le régime fiscal attractif de la réduction de capital non motivée par les pertes des sociétés à l’impôt sur les sociétés. En effet, les associés d’une société souhaitant retirer des richesses de leur société peuvent soit procéder à une distribution de dividendes si l'exercice a été bénéficiaire, soit procéder à une annulation des titres si la société a accumulé des réserves. Or la seconde voie est fiscalement plus attractive.

    Prenons un exemple afin de démontrer cette affirmation : Monsieur XYZ fonde une SAS unipersonnelle, soumise à l’impôt sur les sociétés, en 2000 au capital social de 100.000 euros, divisé en 100 actions de 1000 euros de nominal. Les réserves de la société sont d’un montant de 200.000 euros de sorte que la valeur théorique de chaque action est de 3000 euros. Le taux marginal d’imposition de Monsieur XYZ est de 45%.

    Monsieur XYZ souhaite sortir 60.000 euros de liquidités. Deux possibilités s’offrent donc à lui, que nous allons comparer, voter une distribution ou réduire le capital social et pour chacune des options, Monsieur XYZ peut être imposé à un taux forfaitaire, le fameux Prélèvement forfaitaire unique, ou choisir le barème progressif.

    De prime abord, l’unification des fiscalités applicables aux différentes opérations (distribution de dividendes et réduction de capital social) pourrait laisser supposer un coût fiscal similaire dans les deux hypothèses. Or, il n'en est rien, car si le taux est le même, la base de taxation diffère (3). En outre, des abattements peuvent s’appliquer en cas d’option pour l’imposition au barème progressif.

    La distribution de dividendes aboutit ainsi soit à un prélèvement au PFU de 30%, soit 18 000 euros pour 60 000 euros distribués, soit un impôt de 16 200 euros et des prélèvements sociaux de 17,2%, soit 10 320 euros et donc un total de 26 520 euros.

    En revanche, si Monsieur XYZ réalise une réduction de capital en se faisant racheter 200 actions, d’une valeur vénale grâce aux réserves de 3 000 euros chacune, il percevra aussi 60 000 euros. En vertu de l’article 112-6° du Code général des Impôts, la taxation se fera selon le régime des plus-values de cession de titres, au prélèvement fiscal unique (PFU) ou sur option au barème progressif. La Plus-value étant de 40 000 euros, seule cette somme supportera l’impôt.

    Au PFU, il devra payer 12 000 euros. Au barème de l’impôt sur le revenu, il pourra éventuellement bénéficier d’un abattement de 85% sur le montant de la plus-value puisqu’il détient ses titres depuis plus de 8 ans et les a acquis avant le 1er janvier 2018. Il devra ainsi payer 4 050 euros d’impôt et cette fois 6 880 euros de prélèvements sociaux (les 17 ; 2% étant cette fois appliqué sur la plus-value et non la somme totale). Soit un coût global de 10 930 euros.

    En résumé, le coût final est de :

    Options

    Distribution de dividendes

    Réduction de capital social

    PFU

    18 000 €
    reste 42 000 €

    12 000 €
    reste 48 000 €

    Barème progressif

    26 520 €
    reste 33 480 €

    10 930 €
    reste 49 070 €

    NB : lors du choix pour le PFU ou le barème, il ne faut pas oublier que cette option doit être prise globalement par le contribuable, pour l’ensemble des revenus de capitaux mobiliers.

    Il apparaît donc que la réduction de capital permet au contribuable de percevoir des liquidités de la société à moindre coût fiscal que la solution traditionnelle de la distribution de dividendes. Aux atouts juridiques de l’opération, s’ajoute donc un atout fiscal conséquent.

    L’opération comporte aussi des risques

    Premier danger, l'administration fiscale a tenté à plusieurs reprises de démontrer que le recours à la réduction de capital non motivée par les pertes en lieu et place d'une simple distribution de dividendes constitue un abus de droit fiscal. Elle se fonde dans ses redressements sur l'abus de droit par fraude à la loi et non sur l'abus de droit par simulation, l'opération de réduction de capital n'étant pas fictive. En outre, très récemment, la Cour administrative de Bordeaux a retenu une solution inquiétante en présence d’une opération de réduction de capital social non motivée par les pertes, conduisant à son tour à craindre le traitement fiscal de cette opération.

    • L’administration peut invoquer l’abus de droit

    Pour qualifier l'opération d'abus de droit, l'administration dispose de deux armes : l'article L.64 et l'article L.64A également appelé mini abus de droit fiscal. Cependant, à la lecture de ces textes, deux critères cumulatifs sont exigés – la contrariété à l’intention du législateur et la poursuite d’un but exclusivement ou principalement

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