Selon Amnesty international, le déclin des droits humains dans le monde "se poursuit"


lundi 10 avril 20239 min
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Dans son dernier rapport annuel publié fin mars, l’ONG s’inquiète qu’il n’y ait toujours pas de « changement de cap sur le front des droits humains ». Elle recense notamment des conflits « toujours plus meurtriers », une forte répression de la liberté d’expression et une flambée des violences envers les femmes, avec des régressions inquiétantes comme en Afghanistan.

Alors que 2023 sera l’année du 75e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme, Amnesty International tire la sonnette d’alarme sur la situation des droits humains dans le monde au fil de son dernier rapport annuel, rendu public le 28 mars. 

L’ONG pointe en effet que si les derniers mois ont marqué un tournant dans l’histoire de l’ordre mondial avec un retour sur le devant de la scène de l’Alliance atlantique, « il n’y a cependant pas eu de changement de cap sur le front des droits humains. La chute s’est malheureusement poursuivie, sans le moindre signe de ralentissement. »

Face à des conflits particulièrement meurtriers, un soutien occidental inégal

Le rapport fait notamment état de « davantage de conflits » « toujours plus meurtriers ».

Alors qu’en Europe, les forces russes, en envahissant l’Ukraine, se sont livrées à des violences contre la population civile sous forme d’« exécutions extrajudiciaires » et d’« attaques aveugles », dénonce-t-il, en Éthiopie, la guerre, considérée comme l’un des conflits les plus meurtriers de l’histoire récente, aurait fait plusieurs centaines de milliers de morts », dont beaucoup auraient été tués à l’abri des regards, « dans le cadre d’une campagne de nettoyage ethnique discrètement menée contre les Tigréens au Tigré occidental ».

2022 a également été l’année la plus meurtrière de la dernière décennie pour les Palestiniens de Cisjordanie, souligne le rapport. Au moins 151 personnes, dont plusieurs dizaines d’enfants, ont été tuées par les forces israéliennes, « la plupart dans le cadre de raids militaires et d’opérations d’arrestations qui se sont multipliés ». Par ailleurs, au Myanmar, l’armée a mené une série d’opérations punitives contre les populations karen et kayah. Des centaines de civils ont ainsi été tués et au moins 150 000 personnes déplacées, informe l’ONG. 

Les conflits armés ont en effet entraîné des mouvements massifs de populations. Or, l’étude pointe volontiers que si la politique d’accueil « à bras ouverts » de l’Union européenne (UE) à l’égard des Ukrainiens fuyant l’agression de leur pays par la Russie a montré que l’UE était « plus que capable de recevoir un grand nombre de personnes sollicitant une protection et de faire en sorte qu’elles aient accès aux services essentiels », cette approche « différait radicalement » de celle adoptée vis-à-vis de personnes d’autres régions demandant une protection. Pour Amnesty International, cela relève « d’un racisme et d’une discrimination profondément ancrés », car fréquemment, aux frontières, les réfugiés ou migrants font l’objet de renvois « forcés, sommaires, parfois même violents », voire sont victimes de torture et d’autres violations dans des pays de transit, comme la Libye. 

Par ailleurs, les pays occidentaux se sont largement positionnés en faveur des efforts de la Cour pénale internationale (CPI) pour enquêter sur les allégations faisant état de crimes de guerre commis en Ukraine, alors que certains ne l’ont pas fait « dans nombre d’autres situations », met en exergue le rapport, à l’instar du Royaume-Uni qui a même alloué une aide supplémentaire à la CPI. En outre, alors que celle-ci a fait publiquement la promotion de son enquête sur la situation en Ukraine, elle a consacré « de bien moindres ressources à d’autres enquêtes », comme celles sur la situation au Nigeria et en Palestine. Dans la même veine, le Conseil des droits de l’homme, bien qu’ayant condamné les violations commises en Ukraine, ne s’est « pas véritablement préoccupé du conflit au Yémen, laissant un immense vide quant à l’obligation de rendre des comptes », constate Amnesty International.

Des populations fortement muselées à travers le monde

Autre tendance préoccupante concernant les atteintes aux droits fondamentaux : une forte répression de la dissidence et de la société civile. « L’érosion de nos libertés de manifester et de nous exprimer s’est accélérée en 2022, au point de devenir un véritable effondrement », peut-on lire dans la préface. Et ce, sur fond de conflit ou non. Le rapport mentionne par exemple la nouvelle loi russe venue interdire les propos critiquant la guerre en Ukraine, laquelle a donné lieu à « des milliers » de poursuites administratives ou judiciaires et à « des dizaines » de fermetures de médias indépendants. Il cite aussi le fait que le gouvernement chinois ait « violemment dénigré » un rapport du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme qui faisait état de possibles crimes contre l’humanité contre des Ouïghours et d’autres minorités ethniques musulmanes ; ou encore que le gouvernement égyptien, qui a tenté d’améliorer son image en amont de la COP27 (accueillie en novembre), ait pourtant « arrêté de façon arbitraire environ trois fois plus de personnes à cause de leur dissidence réelle ou supposée ».

Face aux rassemblements également, « bien souvent, des États ont eu recours à une force illégale – et parfois même meurtrière – pour réprimer ces manifestations », note le rapport. À partir de septembre, après la mort de Jina Mahsa Amini, une Kurde iranienne, décédée après avoir été détenue par la « police de la moralité », les autorités iraniennes ont ainsi réprimé le soulèvement de sa population avec « des tirs à balles réelles, des tirs de projectiles en métal et en rouant de coups les contestataires », violences qui ont fait « des centaines de morts, dont des dizaines d’enfants », rappelle Amnesty International. Au Pérou cette fois, plus de 20 personnes ont été tuées lorsque les forces de sécurité ont eu recours « à une force illégale en réaction aux manifestations » durant la crise politique qui a suivi la destitution du président Castillo. Le rapport recense aussi que les autorités de plusieurs pays, dont l’Australie, l’Inde, l’Indonésie et le Royaume-Uni, ont adopté de nouvelles lois imposant des restrictions pour les manifestations, et que d’autres ont usé « de l’état d’urgence (Sri Lanka) ou de prétextes comme la pandémie de COVID-19 (Chine) ou la sécurité dans le contexte des élections (Guinée) » pour empêcher les manifestants de remettre en cause les politiques publiques. 

La flambée des violences fondées sur le genre

Amnesty International s’inquiète également de la flambée des violences faites aux femmes, aux filles et aux personnes LGBTI. Des violences sexuelles, parfois utilisées comme arme de guerre, ont été massivement perpétrées dans le contexte de conflits dans différentes régions, entre autres en République centrafricaine et au Soudan du Sud, en Éthiopie et en Ukraine. Dans les États en paix, les femmes ne sont pas davantage en sécurité, parfois même jusque dans leur foyer. Des centaines de féminicides ont été enregistrés rien qu’au Mexique. L’Inde n’est pas épargnée non plus. Au Pakistan, plusieurs meurtres de femmes tuées par un membre de leur famille ont été largement médiatisés – ce qui n’a pas hâté le Parlement d’adopter le projet de loi sur la violence domestique en instance depuis 2021, fait remarquer l’ONG. 

Le rapport précise néanmoins que certains États ont pris des mesures pour améliorer la protection apportée par la loi. En Europe, de nouvelles lois relatives au viol consacrant le principe du consentement sont entrées en vigueur en Belgique, en Espagne et en Finlande. En Afrique et en Asie, plusieurs pays, dont la Chine, le Congo, l’Indonésie, la Papouasie-Nouvelle-Guinée et le Zimbabwe, ont adopté des lois visant à renforcer la protection des femmes contre les violences sexuelles et fondées sur le genre. « Cependant, bien trop souvent, dans ces pays et ailleurs dans le monde, les autorités ont failli concrètement à leur obligation de protéger les femmes et elles n’ont pas pris de mesures concrètes pour remédier à l’impunité des responsables de ces crimes. Au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, les autorités en Arabie saoudite, en Égypte, en Irak, en Iran et au Yémen ont même engagé des poursuites pénales et recouru à d’autres formes de harcèlement contre des femmes défenseures et militantes des droits humains qui dénonçaient des violences sexuelles », nuance l’ONG.

Outre les violences, certains pays ont connu une dégradation particulièrement grave des droits des femmes et des filles, s’alarme Amnesty International, à l’instar de l’Afghanistan. De nouveaux décrets pris par les talibans ont ainsi interdit aux femmes de voyager sans être accompagnées d’un homme, de se rendre dans les jardins publics, de suivre des études secondaires et supérieures et de travailler pour des ONG. Par ailleurs, l’année 2022 a été « marquée à la fois par des revers et par des progrès concernant le droit à l’avortement ». Après la suppression en juin dernier de la protection fédérale de ce droit aux États-Unis, plusieurs États américains ont adopté des lois interdisant ou restreignant l’accès à l’avortement : en réaction, d’autres ont voté en faveur de sa protection. Ailleurs, la Cour constitutionnelle colombienne l’a dépénalisé jusqu’à la 24e semaine de grossesse, et l’Équateur l’a dépénalisé en cas de viol. En Hongrie, en Pologne et en Slovaquie, de nouvelles mesures ont été adoptées pour limiter l’accès à l’avortement, tandis que plusieurs autres pays, dont l’Allemagne et les Pays-Bas, ont levé certaines restrictions. 

Les droits économiques et sociaux mis à mal

Enfin, Amnesty International se montre particulièrement soucieuse de l’explosion du coût de la vie et de l’insécurité alimentaire du fait des crises économiques liées à la pandémie de COVID-19, aux guerres et au changement climatique. « Ces difficultés ont été accentuées par le fait que de nombreux gouvernements ne se sont pas attaqués aux obstacles structurels ni aux causes profondes, empêchant la concrétisation des droits à l’alimentation, à la santé, à la Sécurité sociale, au logement et à l’eau », observe-t-elle. Du fait des crises économiques, 97 % de la population vit dans la pauvreté en Afghanistan, contre 47 % en 2020, et la population du Sri Lanka a été confrontée à d’importantes pénuries « de denrées alimentaires, de combustible, de médicaments et d’autres denrées de première nécessité ». À Haïti, plus de 40 % de la population est en situation d’urgence alimentaire, et en Somalie, la sécheresse a conduit à une hausse spectaculaire du nombre de cas de malnutrition. En Inde et au Pakistan, entre autres, les personnes travaillant en plein air ont « grandement pâti de vagues de chaleur sans précédent et de la pollution de l’air », et au Pakistan, les pluies et les inondations, aggravées par le changement climatique, ont « eu des effets catastrophiques sur l’existence et les moyens de subsistance de la population ». 

Le droit au logement a lui aussi été « mis à mal par des expulsions forcées », rapporte Amnesty International, comme au Brésil, au Canada, en Suède, en Tanzanie, au Viêt-Nam, où les droits des populations autochtones ont été violés « quand l’État a manqué à son devoir de les protéger face aux expropriations réalisées par de grandes entreprises ou par les pouvoirs publics ». Ces pays ont en effet poursuivi la mise en œuvre de projets extractifs, agricoles ou infrastructurels « sans avoir recueilli au préalable le consentement, donné librement et en toute connaissance de cause », des populations autochtones concernées, ce qui a parfois conduit à leur expulsion forcée de leurs terres. En Tanzanie, les autorités ont par exemple expulsé de force des membres du peuple autochtone masaï de leurs terres ancestrales pour mettre en place un projet touristique, illustre le rapport. 

En la matière, le rapport invite donc les États à « prendre des mesures urgentes » pour atténuer la crise climatique, garantir le droit de toutes les personnes « à un niveau de vie suffisant, à l’alimentation, à la santé, à la Sécurité sociale, au logement et à l’eau”, mais aussi pour veiller à ce que tout projet envisagé sur le territoire de peuples autochtones soit soumis à l’obtention préalable du consentement de ceux-ci. « Les pays riches et les institutions financières internationales doivent de toute urgence alléger la dette et contribuer financièrement aux efforts internationaux déployés pour aider les pays dans le besoin à concrétiser les droits économiques, sociaux et culturels de leur population, notamment dans le contexte de la crise climatique », ajoute-t-il. « N’attendons pas que la planète s’embrase une fois de plus pour vivre enfin dans le respect de libertés et de principes acquis au prix de millions de vies. 2023 doit marquer un tournant en matière de protection des droits humains. À défaut, les dirigeants du globe commettraient une trahison qui pourrait mener le monde au bord de l’abîme », conclut la secrétaire générale de l’ONG, Agnès Callamard.

 

Bérengère Margaritelli

 

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