TRIBUNE. Réinventer la finance durable : entre illusions et réalités


samedi 29 juin 20244 min
Écouter l'article

« La vérité, c’est qu’on ne sait rien de la performance des fonds durables », pointe Vincent Auriac, fondateur et Président d’Axylia, cabinet spécialiste de la finance responsable, qui souligne que « la finance durable a besoin de transparence, de critères clairs et d’une vraie prise en compte du climat pour retrouver sa crédibilité et son efficacité ».

Vingt-sept ans après l'introduction de la notation ESG en France, il est toujours impossible d’identifier simplement le caractère éthique des milliers de produits d'investissement. Le temps est venu de compter ce qui compte vraiment, et c'est par le climat que passe déjà la solution. La notation ESG (Environnement, Social et Gouvernance) est au cœur des stratégies d'investissement responsable, évaluant les entreprises à partir de dizaines voire centaines de critères.

Ces notations sont essentielles pour la création de fonds indiciels cotés (ETF) :  il en existe 3000 dans le monde, dont 1200 orientés ESG. Toutefois, l'opacité et la divergence des notations ESG suscitent de nombreuses critiques. La finance durable a besoin de transparence, de critères clairs et d’une vraie prise en compte du climat, mère de toutes les batailles, pour retrouver sa crédibilité et son efficacité.

La vérité sur la performance des fonds durables

La vérité, c’est qu’on ne sait rien de la performance des fonds durables. Même celle des fonds labellisés ISR n’est pas calculée. Il faut distinguer les fonds des grands réseaux bancaires et les ETF ESG, qui s’écartent peu des grands indices traditionnels (tracking error de 3%) ; leur performance est donc en ligne.

Les fonds de boutiques, adeptes de la gestion active affichent plus de personnalité et voient leur tracking error culminer à 8-10 %. Ils sont souvent surinvestis en valeurs de croissance ou en valeurs moyennes, notoirement à la traîne depuis plusieurs mois. Les sociétés de gestion expliquent trop peu ces biais.

45 % des fonds labellisés ISR sont exposés aux énergies fossiles

Le Label ISR va être réformé pour exclure les investissements dans les énergies fossiles. Actuellement, TotalEnergies figure dans 356 fonds durables pour une valeur totale de 3,5 milliards d’euros, représentant 2% de sa capitalisation boursière.

Avec la nouvelle réglementation, ces actions vont devoir changer de mains. Pourquoi ne pas les transférer dans un fonds national d’engagement plutôt que de les vendre à des actionnaires peu soucieux de climat ? Cette approche permettrait de poursuivre le dialogue avec l’énergéticien et, aux fonds ISR de conserver cette participation à leur actif. On ne peut pas demander aux sociétés de gestion de faire de l’engagement et laisser partir un très gros émetteur de CO2 comme TotalEnergies.

Selon le baromètre Morningstar, sur les 1 200 fonds labellisés ISR en France, 45 % sont exposés à des degrés divers aux énergies fossiles, pouvant atteindre 13,8 %. Le transfert de ces actions dans un fonds national d’engagement offrirait une solution viable pour respecter les nouvelles normes par une stratégie d'engagement proactive.

L’ESMA, une nouvelle réglementation qui ne sera pas la dernière

L’ESMA propose une nouvelle réglementation qui ne sera pas la dernière tant que ne sera pas définie l’entreprise durable ! L’ESMA propose notamment une clarification des noms des fonds, souvent trompeurs et, un recul du greenwashing. 80 % des investissements devront respecter des objectifs durables, dans six catégories : environnement, durabilité, impact, social, gouvernance et transition.

Les fonds durables devront reprendre les exclusions des indices PAB/CTB (climat) : les armes controversées, le tabac, les violations de traités internationaux, les énergies fossiles et les centrales thermiques.

Selon Morningstar, la dernière réglementation de l’ESMA changerait les dénominations de 60 % des 2500 fonds en actions « durables ». Une étude d’Axylia en novembre 2021 avait la première trouvé 72 % de fonds en risque. Pour améliorer la transparence, les agences de notation de fonds devraient ventiler les souscriptions et rachats des fonds et ETF, par degré de température ou Score Carbone.

Compter ce qui compte vraiment

Pour les fonds durables qui ne changeraient pas de noms, principalement des ETF ESG et des fonds sectoriels, ils devront désinvestir, ce qui représente 40 milliards d’euro de cessions. Les valeurs concernées incluent TotalEnergies, Tencent Holdings, Ecolab, Shell, Airbus, Thalès, Safran, et même le chinois BYD qui a une petite filiale dans les produits du tabac.

Alors, quelles propositions pour repenser la finance durable ?

1.   Arrêter l’inflation de documents que personne ne lit intégralement,

2.   Créer un fonds souverain d‘engagement,

3.   En finir avec 27 ans de notation ESG,

4.   Compter ce qui compte vraiment : la solution passe par le climat (score carbone),

5.   Pousser la transparence : le site du Label ISR doit proposer un parcours client ESG,

6.   Morningstar doit proposer des statistiques de marché/collecte orientées carbone pour TOUS les fonds, ESG ou pas

La finance durable doit évoluer pour susciter une large adhésion de la part des épargnants. Cela passe par moins de complexité, une absolue transparence, des critères clairs et une réelle prise en compte du climat. La solution se trouve dans l’affichage des émissions de CO2, le seul indicateur mondialement utilisé et disponible et, des trajectoires de décarbonation.

Vincent Auriac

Partager l'article


0 Commentaire

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Abonnez-vous à la Newsletter !

Recevez gratuitement un concentré d’actualité chaque semaine.