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Depuis l’entrée en vigueur de la loi
n° 74-631, du 5 juillet 19742 réduisant la majorité de
vingt-et-un à dix-huit ans accomplis, l’article 414 du
Code civil dispose qu’à « cet âge,
chacun est capable d’exercer les droits dont il est titulaire ». Ce
principe d’une portée générale trouve application en droit commercial. Il
s’ensuit qu’à dix-huit ans, toute personne a la capacité d’être commerçant et,
par conséquent, peut exercer comme elle le veut le commerce qu’elle souhaite,
sans une quelconque autorisation. En fixant la majorité à cet âge-là, le
législateur avait modifié la situation des mineurs quant à l’exercice du
commerce, lesquels sont tous interdits d’être commerçants, y compris ceux qui
auraient été émancipés à l’âge de seize ans et pour lesquels l’exercice du
commerce aurait constitué une raison majeure d’être émancipés. Eu égard aux
risques inhérents aux activités commerciales, le législateur n’avait pas poussé
davantage sa volonté de réformer en permettant aux jeunes de moins de dix-huit
ans, quand bien même fussent-ils émancipés, de faire du commerce. Aussi,
avait-il conservé les énonciations de l’ancien article L. 121-2 du Code de commerce selon lesquelles « le mineur,
même émancipé, ne peut être commerçant ».
Néanmoins, près d’une quarantaine
d’années plus tard, la loi n° 2010-658 du 15 juin 2010 relative
à l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL) en vue de « promouvoir
et de libérer l’esprit d’entreprise auprès des jeunes » et d’accompagner
ceux qui « d’ores et déjà s’engagent dans cette
démarche, souvent au titre d’une net-entreprise »3, a modifié cette règle. Dorénavant,
le mineur émancipé peut être commerçant, pourvu qu’il en soit autorisé par le
juge des tutelles lors de la déclaration d’émancipation, ou par le président du
tribunal de grande instance4,
s’il exprime la demande après avoir été émancipé5.
Faute de solliciter son émancipation,
le mineur ne peut être commerçant, les actes de commerce lui étant interdits à
peine de nullité ou de rescision pour lésion6. Ses représentants légaux ne sont pas non
plus habilités à en effectuer à sa place7. S’il hérite d’un fonds de commerce,
notamment par décès de l’un de ses parents, il n’a le choix qu’entre les
procédés élaborés par la pratique avant l’entrée en vigueur de la loi du 15 juin 2010 : exploitation du fonds
par le parent survivant au regard de son droit de jouissance légale sur les
biens de l’enfant mineur, mise en location-gérance, apport à une SARL ou à une
SAS unipersonnelle ou pluripersonnelle.
Pour mettre en œuvre son activité
commerciale, plusieurs statuts s’offrent au mineur émancipé : le statut
traditionnel de commerçant individuel, le statut d’autoentrepreneur, s’il
remplit les conditions requises, le statut de l’EIRL qui présente l’avantage de
dissocier son patrimoine professionnel de son patrimoine individuel.
Reste à savoir d’une part, comment le
mineur émancipé peut acquérir la capacité commerciale (I.), d’autre part,
comment il va exercer une activité commerciale (II.) ?
L’accession à la capacité commerciale du mineur
émancipé
Les
modalités d’accession à la capacité commerciale
L’évolution historique –
Avant la loi du 5 juillet 1974, la
capacité commerciale n’était dévolue au mineur à condition, qu’outre il fût
émancipé, il fût également âgé de dix-huit ans. Par ailleurs, il devait obtenir
une autorisation spéciale de ses père ou mère ou encore celle du conseil de
famille selon une procédure d’habilitation publiée au registre du commerce8.
à ces deux conditions, il pouvait
recueillir le fonds de commerce hérité de ses parents. L’ancien article 3 du Code de commerce posait les mêmes conditions pour
l’exercice par ce mineur d’un acte de commerce isolé. En définitive, depuis
1974 l’évolution
législative a tendu à réduire progressivement la capacité commerciale du mineur
émancipé qui, en considération de son jeune âge, n’a pu devenir commerçant,
mais a continué à bénéficier de la capacité civile9. La loi de 1974 avait estimé inopportun d’autoriser
les personnes de moins de dix-huit ans à exercer une activité spéculative.
En matière commerciale, le mineur émancipé était assimilé au mineur non émancipé ; d’où le moindre intérêt apporté à l’émancipation, d’autant plus que même non émancipé, le mineur de seize ans peut sous certaines conditions disposer de ses biens10, être engagé en tant qu’apprenti ou conclure un contrat de travail11, créer et administrer une association12, créer et gérer une EIRL ou une société unipersonnelle, l’article 389-8
du Code civil13 limitant l’autorisation aux seuls actes d’administration14 qu’énumère l’acte d’autorisation donnée par le représentant légal. Cet âge marque la fin de la scolarité obligatoire15.
Sur certains points, la différence
est notable avec la loi du 15 juin
2010 qui exige seulement
du mineur qu’il soit émancipé, peu importe le mode16, par décision
judiciaire (1.) ou de plein droit par mariage (2.) et peu importe l’âge, qu’il
ait ou non au moins seize ans.
L’émancipation
par décision de justice
Le caractère récent de l’émancipation
judiciaire – En réalité, l’émancipation judiciaire ne date pas de
très longtemps, et ne figurait donc pas dans le Code civil napoléonien de 1804.
Dans ce code, les parents pouvaient librement déclarer l’émancipation de leur
enfant17. Il s’agissait d’une émancipation
« expresse », du fait qu’elle résultait de la seule déclaration du
père ou de la mère, par opposition à l’émancipation par mariage qui était
« tacite ». L’acte était donc purement privé, sans intervention de
l’autorité publique, même si la déclaration parentale devait être reçue par le
juge de paix qui se bornait à entériner la demande, sans pouvoir la refuser18.
La loi du 14 décembre 1964 a modifié la situation. Elle a abrogé
l’ancien article 7 du Code de commerce et donné une
pleine capacité au mineur émancipé en droit civil, tout en maintenant le régime
particulier du droit commercial19.
Sous l’empire de cette législation, la majorité étant fixée à vingt-et-un ans
accomplis, le mineur qui n’avait pas atteint cet âge était incapable en droit
commercial et en droit civil.
Certes, le juge restait encore
cantonné dans un rôle passif de prononcer de l’émancipation, sans donc pouvoir
l’initier, l’acte relevant de l’autorité parentale, mais il pouvait intervenir
en cas de désaccord du couple. Le parent titulaire du droit de garde de
l’enfant pouvait, à cette époque, saisir
le juge des tutelles habilité à prononcer l’émancipation après avoir entendu l’autre parent,
s’il existait de
justes motifs20.
Le régime de l’émancipation judiciaire
– Le caractère actuel de l’émancipation exclusivement
judiciaire résulte de la loi du 5 juillet
1974. Celle-ci impose en toute hypothèse le recours au juge des tutelles, en
supprimant le pouvoir des parents de déclarer l’émancipation. Ce juge prend
désormais cette décision au regard des circonstances, mettant ainsi fin à toute
automaticité. Néanmoins, les parents du mineur conservent l’initiative du
déclenchement de la procédure. En leur absence, le rôle d’instigateur de
l’émancipation revient au conseil de famille. D’aucuns déplorent que
l’intéressé ne puisse saisir lui-même le juge21.
En la matière, la loi no
2007-308?du 5 mars 2007 portant réforme de la protection
juridique des majeurs n’a rien apporté de plus ; l’émancipation judiciaire
demeure régie par les articles 413-2 et
suivants du Code civil.
Conformément à la loi actuellement en
vigueur et, contrairement à l’émancipation par le mariage, le mineur doit être
âgé d’au moins seize ans et une requête doit être déposée par les parents. En
la matière, un âge minimal a toujours été exigé ; il est passé de quinze
ans dans le Code Napoléon à dix-huit ans avec la loi n° 64-1230 du 14 décembre
1964 portant modification
des dispositions du Code civil relatives à la tutelle et à l’émancipation, et a
été abaissé à seize ans par la loi du 5 juillet
1974.
Il n’en demeure pas moins qu’à toute
époque, peu importe le mode et l’âge d’émancipation, la capacité commerciale
n’est reconnue qu’à partir de dix-huit ans. En cela, la loi du 15 juin 2010 innove puisqu’elle ne détermine pas
l’âge à partir duquel le jeune émancipé de moins de dix-huit ans peut être
commerçant ; elle fixe comme seules conditions l’émancipation et
l’autorisation du juge (juge des tutelles, président du TGI) pour devenir
commerçant. Il est vrai qu’initialement, le projet de loi enregistré à
l’Assemble nationale22
ne comportait pas la possibilité pour un mineur émancipé de faire le commerce.
Aucun des six articles ne faisait état de la capacité commerciale de ce mineur.
Ce projet était exclusivement consacré au régime juridique instauré au profit
de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée en lui conférant la
possibilité d’avoir deux patrimoines et, par conséquent, de lui permettre
d’isoler son patrimoine personnel d’un patrimoine d’affectation23.
Toujours est-il que sous réserve des
conditions édictées par la loi de 1974 et
de l’existence de justes motifs24,
le juge prononcera l’émancipation, après avoir auditionné le mineur et entendu
l’autre parent, si la demande émane d’un seul des deux25.
Des recours peuvent éventuellement être exercés à l’encontre de la décision
d’émancipation du mineur.
L’émancipation
par le mariage
L’absence de condition relative à
l’âge – Contrairement à l’émancipation par autorité de
justice, l’émancipation par le mariage intervient de plein droit, aucune
condition d’âge n’étant exigée ; la capacité commerciale est conférée du
seul fait du mariage. La condition d’âge ne joue que pour le mariage en
lui-même. Certes, le mariage ne peut être contracté avant l’âge de 18 ans révolus26,
pour autant le procureur de la République du lieu de célébration du mariage
peut octroyer des dispenses d’âge pour des motifs graves27.
Mérite tout de même d’être posée la
question de savoir si le mineur âgé de moins de 16 ans (âge légal d’émancipation
judiciaire), peut en raison de son émancipation automatique par mariage28,
accéder au statut de commerçant. Rien ne permet d’y apporter une réponse, ni la
jurisprudence qui n’a à ce jour pas été saisie de la question, ni la loi, que
ce soit celle du 15 juin
2010 ou les précédentes,
qui est muette en la matière. Toujours est-il qu’a priori, rien ne s’y
oppose, sans oublier tout de même que la seule émancipation ne suffit
pas ; il convient en effet qu’à la demande du mineur d’être commerçant, le
président du TGI lui accorde cette possibilité après avoir été émancipé29.
Les autorisations préalables au mariage –
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