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Ce 30 septembre marque la fin de la commission d’accès aux études du second cycle, dernière arme des rectorats pour trouver une solution aux étudiants sans master. La compétition a été rude pour les aspirants aux masters de droit qui ont multiplié les appels à l’aide sur les réseaux sociaux ces derniers mois, pas toujours conscients de la tension de la filière. Pour le JSS, trois étudiantes témoignent et reviennent sur leur parcours du combattant.
On en a repéré des dizaines sur LinkedIn, cet été et au mois de septembre. Des messages d’étudiants désespérés de ne pas trouver de place en master de droit, et se disant écœurés par le traitement de leur dossier via la plateforme Mon Master. Depuis sa mise en place en 2023, ce guichet, fréquemment qualifié d’opaque, s’attire les foudres des diplômés de licence. Et tout particulièrement de celles des aspirants aux masters de droit, engagés dans l’une des filières universitaires les plus sélectives.
Selon des chiffres rapportés par Le Monde, le droit figure parmi l’un des secteurs disciplinaires les plus tendus avec un taux d’accès (NDLR : le rapport entre le rang du dernier admis et le nombre de candidats) de 30 %, derrière les formations en psychologie (17 %). Pour certains masters comme celui de « droit pénal et sciences criminelles », à l’université de Bordeaux, il y a eu 2 211 candidatures pour seulement 25 places en 2025, soit un taux d’admission d’à peine 1 %.
Une sélectivité dont Suzie, diplômée en droit-langues à l’université de Tours, a fait les frais. Contactée mi-septembre par le JSS, la diplômée se demandait encore comment envisager la suite : « J’attends la réponse de deux masters. Si je ne suis pas prise, j’envisage de refaire une L3 dans une autre université, ce qui semble être l’une des seules options qui me restent », nous écrit-elle, découragée. « Vous donnez tout votre possible pendant trois ans pour n’avoir aucune place nulle part », se désole celle qui souhaiterait devenir notaire.
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Pour les étudiantes contactées par les JSS, l’été a été rude, et la rentrée angoissante. « Je me levais chaque matin avec la boule au ventre », se rappelle, Anaïs, 20 ans, elle aussi à l’origine d’un appel à l’aide sur les réseaux sociaux en cette rentrée. Le scénario est le même pour toutes : de longues heures passées les yeux rivés sur les lignes de vœux de Mon Master, plusieurs dizaines de mails envoyés à des directrices et directeurs de master débordés, des saisines du rectorat « pas plus efficaces ».
« J’ai formulé presque 30 vœux sur les deux phases de sélection », détaille Ludirine. Les premiers en droit privé, droit civil, droit des personnes, droit de la famille. L’étudiante envisage aussi des spécialités éloignées de ses préférences pour s’offrir plus de chances « au second tour » : droit notarial, droit du patrimoine, droit des successions. Sans succès.
Les refus se multiplient, et fin août, elle n’est toujours que 372e sur la liste d’attente du master en droit privé à Paris-Saclay pour lequel elle a postulé. Parmi les motifs de refus : « le niveau académique des autres candidats » et « les capacités d’accueil limitées dans la formation ». Après saisine du rectorat, l’étudiante reçoit des propositions de masters en économie sans rapport avec ses vœux : « Je pense que c’est un robot qui a lu mon dossier. Y a-t-il une personne réelle derrière les propositions du rectorat ? », ironise-t-elle.
« C’était très dur psychologiquement, on se sent bloquée », confie-t-elle. « Quand la plateforme se ferme, tout disparaît. On vous envoie un questionnaire de satisfaction huit jours après pour vous demander comment ça s’est passé. Je trouve que le système est mal fait ». Même sentiment de découragement pour Anaïs : « Je me suis sentie nulle d’avoir été refusée partout. Ça a été une énorme remise en cause. Et puis, je me suis révoltée. »
Chez ces étudiantes, c’est le sentiment d’injustice qui prime. Auprès du JSS, elles font valoir leurs efforts constants. Pour Suzie, « trois années d’acharnement, sans redoublement, ni rattrapage » et plusieurs stages réalisés « malgré un manque de réseau dans le secteur juridique ».
Pour Ludirine, une licence obtenue avec mention « assez bien », malgré ses précédents redoublements, et le sentiment d’une détermination non récompensée. « Je ne suis pas qu’une note », fustige la Francilienne qui rêve d’intégrer l’École nationale de la magistrature. « J’ai travaillé pendant toute ma licence à temps partiel, 25 heures par semaine en plus des TD et des cours magistraux », se défend la jeune femme, première à faire du droit dans sa famille.
Anaïs, elle, met en avant des résultats en constante progression, doublés de « bonnes notes dans les matières fondamentales », une lettre de recommandation d’un de ses chargés de TD, un test TOIEC et une formation MOOC qu’elle se rajoute pour muscler son profil.
« J’ai été très rassurée par le discours des professeurs. Je ne pensais pas avoir de problème en sortant d’une très bonne faculté comme Paris Assas », fait remarquer l’étudiante quand on lui demande si elle avait conscience de la concurrence en sortie de licence. « Je me disais que ce n’était pas un concours, qu’il fallait juste avoir de bons résultats et valider sa licence. »
« On ne sensibilise pas les étudiants sur l’absence de débouchés dans les filières comme le droit », dénonce pour sa part Rémy Dandan, avocat exerçant depuis quatre ans en droit de l’enseignement supérieur et de l’éducation.
Sur les réseaux sociaux, l’avocat incite les étudiants sans solution à compter du 30 septembre à saisir le tribunal administratif. Mais dans les faits, il reconnaît que peu d’étudiants vont devant la justice : « Le régime juridique n’a pas changé depuis 2016. En revanche, l’organisation de la plateforme Mon Master change à peu près chaque année. Elle donne l’impression aux étudiants d’une surenchère de solutions : phase initiale, puis phase complémentaire, gestion des désistements, et enfin commission d’accès. Le problème, c’est qu’à trop attendre, les délais de recours expirent ou vous agissez trop tard. Il me semble que la procédure est aujourd’hui en partie organisée pour neutraliser les recours ».
Le professionnel dénonce aussi un manque de transparence : « La loi dit qu’il ne doit pas y avoir de sélection en master, sauf si l’université l’organise en son sein à travers une délibération qui fixe clairement les capacités d’accueil. Mais parfois, les universités oublient de délibérer ou de publier la délibération. Les règles du jeu de la sélection, qui pourraient permettre aux étudiants de s’adapter, sont opaques », observe-t-il.
En guise de dernière chance, mais aussi pour partager leur détresse, beaucoup d’étudiants témoignent sur les réseaux sociaux. Une stratégie payante pour Ludirine. Quelques jours après son post, une personne l’informe que des places sont vacantes à l’université catholique de l’Ouest à Angers. Un mail, et la voilà admise en master de droit privé. Interrogée sur le coût de cette année universitaire, Ludirine nous répond que la faculté reste « abordable ». « Et puis, j’ai beaucoup épargné ces cinq dernières années pour répondre à ce type d’imprévu ». Restait à trouver en plein de mois de septembre un logement dans la cité angevine…
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Anaïs tente elle aussi de trouver une issue grâce au réseau social LinkedIn. Parce qu’elle y a « un petit réseau » : professeurs, directeurs de master, avocats. « J’étais dans une situation tellement désespérée. Je me suis dit que c’était un peu ma dernière chance ». Cette stratégie lui permet de trouver des stages pour patienter une année… Mais pas de master. Alors, à l’affût de tous les tuyaux, elle se déplace directement dans une université pour déposer son dossier en main propre et trouve là encore porte close.
Finalement, l’étudiante joue son va-tout en contactant « tous les doyens d’Île-de-France ». Si beaucoup lui répondent qu’ils ne peuvent intervenir, l’un d’entre eux transmet son dossier à un directeur de formation d’une université francilienne. Il est finalement accepté… là où elle avait été précédemment refusée via la procédure Mon Master. « Ça démontre bien que le système est très imparfait et que le dossier transmis via la plateforme n’a aucune importance », dénonce l’étudiante.
« Je trouve ça grave, ajoute-t-elle. Être obligé de faire tout ça pour avoir un master, alors que c’est un droit. C’est littéralement un droit de poursuivre nos études lorsqu’on est titulaire d’une licence ».
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