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CHRONIQUE. En comparution différée, au tribunal judiciaire de Nanterre, un homme est jugé pour des violences commises sur son ex-conjointe. Récit.
Le prévenu, Frédéric*, est âgé de 40 ans. Avec sa stature plutôt
corpulente, il s’avance dans le box des prévenus, suivi de l’escorte policière.
La juge commence le récit des faits qui lui sont reprochés.
Plusieurs mois avant l'audience, au printemps, Frédéric a exercé des violences
volontaires sur son ex-conjointe, Alison* - sans que celles-ci n’entraînent
d’incapacité de travail. Le procès-verbal relate un enchaînement d’actes assez
violents, notamment une « balayette »,
qui a fait tomber son ex-compagne au sol. Mais ce n'est pas tout. Après
qu'un contrôle judiciaire a été prononcé à son encontre en septembre, « avec l’interdiction de se rendre au domicile
de Madame, et d’entrer en relation avec elle, de quelque façon que ce
soit », celui-ci est révoqué fin octobre,
après de nouveaux actes. Il est alors placé en détention provisoire.
La juge s’adresse à Alison :
« Madame, est-ce que vous acceptez de nous expliquer ce
qui s’est passé ? Je vais lire votre audition, et vous allez me dire si vous
êtes d'accord ou pas. Ok ?
-
Oui.
-
Venez à la barre, Madame.
Vous avez été en couple avec Monsieur ?
-
Oui, pendant sept ans.
-
Et ça s’est arrêté quand ?
- On a commencé à avoir des soucis en 2020, et ça s’est terminé en
2022. »
Le couple a eu trois enfants, présents à l’audience. La séparation
a eu lieu à l’amiable, confirme Alison. Puis, la magistrate entre dans le
détail des faits. Alors qu’elle est sur son lieu de travail, un agent de
sécurité vient voir Alison. Ce dernier l’informe de la présence de Frédéric, et
de son souhait de la voir. Elle va à sa rencontre, et dès qu’il la voit, il lui
« met une gifle », lui « tire les cheveux pour aller dans un endroit à l’abri des caméras »,
puis lui assène un « coup de poing » et lui « fait une balayette ». Enfin, une fois Alison au sol, Frédéric
lui met des coups de pied dans les jambes. La victime confirme les faits, mais
la magistrate veut comprendre :
« Est-ce que vous savez pourquoi il s'en prend à vous ce
jour-là ?
-
On avait eu une altercation
au téléphone.
-
D’accord. Et c'était à propos
des enfants ?
-
Oui.
-
Sur quoi, en particulier ?
-
C’était par rapport à
l’organisation de la communion de notre fille. Et Monsieur m’a mal parlé.
-
Monsieur a expliqué qu'il
aurait mal pris le fait que vous ayez pu avoir des mots, directement ou
indirectement, par rapport à sa mère. Madame, pardonnez-moi si ça sonne comme
un reproche, mais quand l’agent de sécurité vous dit qu’il y a monsieur, vous ne
vous dites pas qu’il vient peut-être pour se disputer ?
- Non, pas du tout, parce qu’il était censé récupérer les enfants
après, j’étais loin de me douter… »
« C’est un comportement que je n'aurais pas dû avoir »
La juge projette quelques photos extraites de la
vidéosurveillance, où l’on voit que les coups ont été portés. Quelques jours
après avoir déposé sa plainte, Alison retourne au commissariat pour la retirer.
Elle explique qu’elle a fait ça car Frédéric s’est excusé, et aussi par rapport
à ses enfants. Mais si elle se constitue partie civile (sans pour autant
demander de dommages et intérêts), c’est que Frédéric a commis un autre
forfait, en octobre.
À lire aussi : (75) Tribunal de Paris : « Vous jugez quelqu’un qui a de très
très graves déficiences »
À son tour, la procureure questionne Alison : cette dernière dit
ne pas avoir peur, et ne pas craindre de nouvelles violences. L’avocate de
Frédéric lui demande « quel type de père il est » : « un
bon père », répond Alison. Elle l’amène aussi à préciser qu’ils se
sont déjà disputés devant leurs enfants, mais sans se porter de coups. Frédéric
a été interpellé, mais seulement en septembre, précise la juge. Elle se tourne
vers lui :
« Sur tous ces éléments à propos du 30 mai, qu’est-ce que
vous avez à nous dire, Monsieur ?
-
C’est un comportement que je
n'aurais pas dû avoir. C’est la première fois que c’est arrivé.
-
Effectivement, ce n’est quand
même pas rien.
-
Ça, je le reconnais, et je
m’en excuse pleinement.
-
Ah oui, d'accord, vous vous
excusez, mais enfin, qu'est-ce qui s'est passé, Monsieur ?
-
Moi-même, je ne peux pas me
l'expliquer.
-
Ah, il va falloir quand même
essayer.
-
Il y avait beaucoup de choses
dans ma tête, beaucoup de choses qui se passaient, par rapport aux enfants, par
rapport à elle.
- Il va falloir nous expliquer parce que sinon, là si vous voulez,
le tribunal, il a le sentiment de quelqu'un qui ne sait pas maîtriser ses
nerfs... »
Frédéric soutient qu’en se rendant sur le lieu de travail d’Alison,
son intention initiale était de discuter avec elle. Le prévenu s’excuse à
nouveau, et maintient qu’il ne lui a pas mis de claque. Il reconnaît en
revanche lui avoir mis une balayette. En audition, il a déclaré avoir levé la
main « pour lui mettre un coup de
pression ». Alors que la juge évoque l’examen d’un
médecin, qui avait constaté une rougeur sur sa joue d’Alison, Frédéric explique
cela par le fait qu’il l’ait « attrapée
par le col ».
« Vous êtes en train de juger de dix-sept ans de relation sur deux
faits »
La juge aborde maintenant les faits par lesquels le prévenu a
violé son contrôle judiciaire, en octobre. Ce jour-là, après avoir sonné chez
Alison, et eu une courte conversation avec elle, il escalade deux étages pour
entrer dans son logement, par un velux.
La juge voudrait en savoir plus :
« À quel moment, Monsieur, vous vous dites, tiens, je ne
peux pas passer par la porte, je vais passer par la fenêtre ?
-
C’est parce qu’elle était
avec une personne que je connaissais. Je voulais parler à cette personne.
-
Oh, c’est une bonne idée !
Non, sérieusement, vous ne pouviez pas attendre que la personne sorte ?
-
Sur le moment, je n’y ai pas
pensé.
-
Moi, si je vous pose ces
questions-là, Monsieur, si je suis un peu provocatrice, c'est qu’on peut avoir
l'esprit ouvert, si vous voulez, mais il se rétrécit un peu, quand on voit que
le 28 octobre, alors qu’il y a une nouvelle crispation entre vous, vous arrivez
à faire cette folie. Parce que passer par le velux en le pétant, et rentrer
dans l’appartement, alors que vous êtes sous contrôle judiciaire... Il faut
quoi, en fait, pour que vous compreniez ?
-
Avec ces dernières semaines,
j’ai compris. En plus à la base, je ne suis pas comme ça.
-
On veut bien vous croire Monsieur,
mais ce qu’on a sous les yeux, c’est quand même impressionnant.
-
Vous êtes en train de juger dix-sept
ans de relation sur deux faits. La séparation, forcément, c’était difficile
parce qu’il y a des enfants au milieu. Il y a des choses sur lesquelles on
n’est pas d’accord, et qui ne vont pas dans le bon sens.
- Mais Monsieur, soyons clair : quand les choses vont bien, le
tribunal n’est jamais saisi. On ne va pas vous donner une médaille parce que
pendant dix-sept ans les chose se seraient bien passées. C'est normal, en fait,
que les choses se passent bien. »
Une juge assesseuse prend la parole, et interroge Frédéric sur des
propos tenus lors de l’instruction : il aurait qualifié les faits d’ « anodins »,
à l’aune de leur dix-sept ans de vie commune. Il répond :
« Non, j’ai pas dit anodin, j’ai dit un comportement
malheureux.
- Malheureux ? Le Code pénal ne sanctionne pas de comportement
malheureux, il sanctionne les infractions et les délits, Monsieur.
La juge parle de « désaccords », et Frédéric
répond qu’il s’agissait d’« plutôt d'insultes » de sa
conjointe. La magistrate enfonce le clou :
« Est-ce que vous pensez, monsieur, que des insultes
peuvent justifier des violences ?
-
C'est pour ça que je vous
réponds encore que ce sont des comportements malheureux.
- Alors, « malheureux »... est-ce que vous pensez
vraiment, Monsieur, que c'est le terme approprié aux agissements de violence
que vous avez commis à l'égard de la mère de vos enfants ? »
Avec un certain sens de la rhétorique, Frédéric lui répond alors
que « s’il y a des mots plus graves,
il veut bien les utiliser ».
Prenant la parole en fin d’audience, l’avocate considère ainsi qu’on lui
« reproche peut-être de ne pas avoir
les bons mots ». Elle
l’affirme, « ce n'est pas quelqu'un
qui a l'habitude de se retrouver devant les policiers et les tribunaux ». Une manière de souligner sa
sincérité, pointant qu’il a tout de suite reconnu les faits.
Frédéric est reconnu coupable des faits de violence sur son
ex-conjointe. Le tribunal, précise la juge, a considéré que ces faits,
particulièrement graves, ont été aggravés par le comportement du prévenu
pendant son contrôle judiciaire. Il est condamné à une peine de dix-huit mois
d’emprisonnement, dont six mois fermes et douze mois assortis d’un sursis
simple (pendant une durée de cinq ans). Allant ainsi au-delà des réquisitions
de la procureure, qui avait requis dix-huit mois intégralement assortis d’un sursis
probatoire.
Le tribunal ordonne son maintien en détention, et prononce
également une interdiction de paraître au domicile de la victime, et ce pendant
trois ans. Cela ne veut pas dire qu’il ne pourra plus voir ses enfants,
précise la juge, mais qu’ils devront « s’arranger d’une autre façon ».
Enfin, le tribunal ne fait pas droit à sa demande de non-inscription sur le
casier judiciaire n°2, car « il veut d’abord qu’il fasse ses preuves ».
Etienne
Antelme
*Les prénoms ont été changés
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