#MeTooCinéma : une urgence à légiférer, pour la commission d’enquête sur les violences dans le milieu de la culture


mercredi 6 novembre 20245 min
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L’Assemblée nationale a relancé, début octobre 2024, la commission d'enquête sur les violences sexuelles dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel et du spectacle vivant. Voici ce qu’il faut retenir des échanges et des premières pistes lancées le 5 novembre, lors de l’audition des collectifs et des associations.

Acte II. Scène I. Les parlementaires reprennent à zéro leurs travaux, après la dissolution de l’Assemblée nationale en juin 2024, et la commission d'enquête sur les violences sexuelles dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel et du spectacle vivant, initiée en mai dernier après les accusations de l’actrice Judith Godrèche visant les réalisateurs Benoît Jacquot et Jacques Doillon, n’y échappe pas. Remise sur les rails avec une nouvelle présidente - Sandrine Rousseau, qui remplace ainsi Erwan Balanant, passé rapporteur -, la commission entend, en ce début novembre et depuis plusieurs jours, représentants, collectifs et associations du secteur.


Régulièrement émaillé par des affaires judiciaires et médiatiques (citons, dernièrement, les noms de Gérard Depardieu, Stéphane Plaza ou encore Dominique Boutonnat) et dans le sillage du hashtag #metoo, le monde de la culture est bouleversé par la libération de la parole et la mise au grand jour d’un écosystème particulièrement violent, entaché par la précarité des intermittents, le rapport immédiat et nébuleux au corps et à l’intimité.

Une urgence à légiférer ? Pour Emmanuelle Truan Dancourt, journaliste et présidente de l’association MeTooMédia, la France est bien loin d’avoir réalisé sa prise de conscience : « On n’arrive pas à faire notre « me too » en une fois, contrairement à l’Espagne, qui a complètement renversé son droit et créé des tribunaux spécifiques pour les violences sexistes et sexuelles. Adèle Haenel se lève : il ne se passe rien. Judith Godrèche prend la parole : ça s’agite un peu, mais devant une salle absolument glacée. On avance d’un pas, on recule de dix. C’est dur à dire, mais l’affaire des viols de Mazan nous aide un peu ».

  •     Contraindre les entreprises à sanctionner

« Et on attend que justice se passe ! », fustige encore Emmanuelle Truan Dancourt, par ailleurs plaignante dans l’affaire Patrick Poivre d’Arvor, en cours d’instruction. L’ancien présentateur TV est mis en examen pour viol, et accusé de viols et d’agressions sexuelles par un grand nombre de femmes.

Emmanuelle Truan Dancourt appelle à appliquer plus systématiquement le droit du travail dans le secteur, et à forcer les employeurs à recourir plus régulièrement à leur pouvoir disciplinaire. « Toutes les entreprises culturelles ou médiatiques s'appuient sur le droit pénal et le principe de présomption d'innocence. Mais le droit du travail existe ! La présomption d'innocence n'existe pas dans le droit du travail. Un média est censé protéger ses employées, stagiaires, invitées, et a le pouvoir, par exemple, de suspendre un monsieur qui fait de l’audience sur la 6 », lance l’intervenante, avec une référence à peine voilée à l’affaire Stéphane Plaza, dont le procès a été renvoyé au mois de janvier 2025.

« C'est peut-être au législateur de trouver un moyen de contraindre les entreprises ou institutions à prendre leur responsabilité en matière de droit du travail, qui est un droit en quelque sorte plus immédiat que le droit pénal ».

  •   Former les professionnels à leurs droits

Problème de taille cependant : les professionnels du cinéma, de l’audiovisuel et du spectacle semblent ignorer leurs droits. « Le Code du travail est très peu utilisé dans notre milieu », confirme Mélodie Molinaro, comédienne et fondatrice de l’association Derrière le Rideau, qui milite pour la libération de la parole dans le milieu du spectacle vivant. « Il y a un vrai manquement : il est très peu connu et/ou très mal appliqué ».

L’artiste pointe également du doigt l’absence totale de formation et témoigne : « Je ne connais aucune école de spectacle qui forme ses élèves à leurs droits. On nous demande d'être au service de l'art, d'être au service du metteur en scène, de nous mettre à nu, ce sont ces mots-là qu'on emploie. On ne parle pas du droit du travail ».

  • Une formation certifiante pour les référents violences et harcèlement sexistes et sexuels

Qui de mieux pour informer sur des obligations légales que le référent violences et harcèlement sexistes et sexuels (VHSS) ? Or, là aussi, il y a des manquements, soulèvent les associations. « Beaucoup de ces référents sont autoproclamés, sans avoir suivi de formation ni avoir été certifiés. Ils n’ont pas de codes ni de clés pour recueillir la parole des victimes présumées. Se former devrait être une obligation », estime Mélodie Molinaro, qui plaide pour externaliser ce dispositif dans les petites structures.

Dans ces dernières, « les référents VHSS occupent souvent des postes à responsabilité, des postes d’autorité ! » Ainsi, un producteur et metteur en scène peut se retrouver référent VHSS.

« Sans services RH, si je suis comédienne et que le référent VHSS est aussi mon agresseur, comment je fais ? Vers qui je me tourne ? », interroge la comédienne. « On s’est aussi questionnés sur le fait que les référents VHSS n'étaient pas soumis au Fichier des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (Fijais). Ce serait peut-être une piste d’amélioration », suggère Sophie Lascombes, membre du conseil d’administration et chargée de formation du Collectif féministe contre le viol (CFCV).

  • Vers une loi intégrale

« Nous avons un accord avec le rapporteur : ne pas finir cette commission d’enquête avec la proposition d’une charte sur les violences sexuelles et sexistes », souligne la présidente de la commission d’enquête, Sandrine Rousseau, en concluant ces premières auditions. La députée insiste sur la nécessité de légiférer.

« Les parlementaires pourraient s’inspirer de la loi-cadre Intégrale contre les violences sexuelles », suggère Emmanuelle Truan Dancourt. Élaborée par une coalition d’associations féministes, de syndicats, de juristes, de défenseurs des droits humains et experts, ses 130 propositions (législatives, réglementaires, budgétaires…) seront dévoilées courant novembre et « couvriront tous les aspects de la lutte contre les violences sexuelles, de la prévention à la sanction en passant par l’éducation, la formation, le financement des associations spécialisées, le parcours judiciaire des victimes », peut-on lire sur le site du magazine 50-50. 10 mesures ont déjà été dévoilées en octobre. Le rapport de la commission d’enquête, lui, est attendu pour avril 2025.

Delphine Schiltz

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