+4°C en 2100 : quel immobilier pour anticiper le réchauffement climatique ?


samedi 3 août 20199 min
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Engagé pour le climat, le cabinet de conseil Arp-Astrance, spécialisé en immobilier, a lancé son programme « 4C2050 », cycle d’événements autour des problématiques environnementales. En avril dernier, sa conférence sur le sujet « Quel immobilier pour 2050 pour anticiper un réchauffement climatique de +4° en 2100 ? », qui réunissait le climatologue Hervé Le Treut et le DG du groupe Essor, spécialisé dans la reconversion de friches, a fait salle comble.  

 


Arp-Astrance a sorti un bel atout de sa manche. À l’occasion d’une conférence donnée dans le cadre de son programme « 4C2050 » en avril dernier, le cabinet de conseil a pu compter sur l’intervention du climatologue Hervé Le Treut, membre de l’Académie des sciences et directeur de l’institut Pierre-Simon-Laplace. L’occasion d’expliquer – ou de rappeler –, avant même d’évoquer le secteur du bâtiment, les tenants et les aboutissants de ces « +4°C », dont on ne parlera jamais trop. Car pour le spécialiste, les consciences sont toujours insuffisamment éveillées face à une problématique fondamentale « qui n’est déjà plus la même qu’il y a dix ans ». « Il y a rarement eu un problème aussi rapidement évolutif que celui du climat ! », a-t-il alerté.


Le climatologue est revenu sur les prémices de cette évolution, semble-t-il à la toute fin du XIXe siècle. À cette période, a-t-il raconté, le chimiste suédois Svante Arrhenius, pionnier de la théorie de l’effet de serre, réalise des calculs sur le réchauffement et estime qu’un doublement du taux de CO2 causerait un réchauffement d’environ 5°C, « mais d’ici plusieurs milliers d’années, au rythme de l’époque ». Au rythme actuel, cependant, selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), cela prendrait moins d’un siècle. Et si Svante Arrhenius voyait ce réchauffement « d’un œil positif, pour échapper à la glaciation », a rapporté Hervé Le Treut, depuis un demi-siècle, la communauté internationale s’alerte.


En effet, alors que durant 10 000 ans, la proportion de CO2 dans l’atmosphère est stable, elle explose de façon brutale, tardive, dans les années 1950. En 1979, est remis « un rapport fondateur sur le risque climatique », a indiqué Hervé Le Treut : celui du professeur Charney. « Après ça, les choses sont allées vite : il y a eu le Programme mondial de recherche sur le climat en 1980, le GIEC en 1988, le Sommet de la Terre à Rio en 1992, a retracé le climatologue. Malgré la prise de conscience, les actions envisagées n’ont pas été concrétisées. » 


Dans les années 1950, on comptabilise 1 milliard de tonnes de carbone par an ; 7 milliards au moment du Sommet de la Terre. Aujourd’hui, ce ne sont pas moins de 10 milliards de tonnes qui sont émises en l’espace d’une seule année. « L’atmosphère est comme un vase que l’on remplit de CO2, a expliqué Hervé Le Treut. On la remplit actuellement à un rythme 10 fois plus rapide que celui des années 50 ». Autre problème : le CO2 ne quitte pas facilement l’atmosphère. Comme la plupart des gaz, son temps de résidence est long. Ainsi, au bout de 100 ans, la moitié de ce qui a été mis dans l’atmosphère est toujours présent. « Une partie du futur est donc déjà écrite : la capacité de prévision pour les 20 prochaines années est forte, car elle dépend des gaz à effet de serre déjà émis. Nous sommes sur une trajectoire rapide, qui va augmenter, et nous n’y échapperons pas. Certes il existe des incertitudes car il y a une part de chaos du climat. Mais il y aussi une part organisée, que nous savons simuler, même si le système climatique est hétérogène, complexe, difficile à prévoir », a argué le climatologue. 


 


+1,5°C : « géophysiquement possible, socialement impossible »


Si le réchauffement est inéluctable, plusieurs scénarios sont aujourd’hui considérés ; tout dépendra des mesures mises en place mondialement pour réduire les gaz à effet de serre. Alors que de nombreux climatologues et économistes tablent sur un réchauffement à 4°C d’ici 2100, la COP21 s’est engagée en 2015 à maintenir le réchauffement sous la barre des 2°C à horizon 2100. Persuadé que cela est insuffisant, le GIEC va plus loin : dans son dernier rapport, suite à la signature de l’accord de Paris, il décrit une trajectoire de limitation du réchauffement planétaire à 1,5°C, seuil au-delà duquel, selon lui, l’augmentation des températures pourrait entraîner des effets domino. Hervé Le Treut, lui, est dubitatif, car pour atteindre cet objectif, les émissions de CO2 devraient diminuer de 45 % d’ici à 2030, pour devenir nulles aux alentours de 2050 (environ 25 ans plus tôt que dans le scénario des 2°C). « Le Groupe soutient que c’est faisable, car c’est en effet géophysiquement possible, seulement, c’est socialement impossible. Cela signifierait plus d’avions, plus de voitures… » Et alors qu’un changement radical serait nécessaire, les progrès sont, au contraire, beaucoup trop lents actuellement. Dans leur rapport 2018 Émissions Gap Report, les experts du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) alertent ainsi sur le fait que les États devraient multiplier leurs efforts par trois d’ici 2030 pour maintenir le réchauffement sous les 2°C… et par cinq pour un réchauffement limité à 1,5°C.


 


Zoom sur les régions


« Quand on passe d’un discours d’alerte à “comment faire”, il faut nécessairement prendre en compte la complexité du monde réel, a affirmé Hervé Le Treut.
Le caractère impossible de ce qui est devant nous oblige à considérer des échelles régionales ». Pour le climatologue, la région est un espace « de réflexion et d’action » privilégié, qui favorise la prise de conscience d’un « futur d’arbitrage entre des choses qui ne sont pas toutes possibles simultanément ».


Le spécialiste a piloté une analyse sur les conséquences du changement climatique sur le territoire de la Nouvelle-Aquitaine. Dans cette région, « le réchauffement est d’1,5°C », a pointé Hervé Le Treut. Ce dernier a présenté « un système complexe caractérisé par quatre types de régimes de temps, qui correspondent à des risques différents : situation de sécheresse, situation d’inondations... Or le climat se promène de l’une à l’autre, et ce chemin dépend aussi des saisons. Si l’on veut se protéger, il faut prendre en compte cette complexité ». Une protection loin d’être évidente, a-t-il reconnu. « Autant les risques sont faciles à déterminer, autant la mise en œuvre est difficile ». À l’instar des risques littoraux, liés à l’érosion côtière et à la submersion marine. « On s’achemine vers une submersion totale de certaines régions en fin de siècle. On doit donc prendre en compte le futur et faire reculer les villes derrières les dunes. »


 


Groupe Essor : un travail sur la limitation de l’étalement urbain


À l’échelle mondiale, le secteur de la construction est responsable d’environ 10 % des émissions de gaz à effet de serre, dont la moitié liées au béton. Tout comme les transports, le bâtiment est donc encore trop pollueur, jugeait l’ONU en 2018, qui estimait pourtant qu’il « détient un énorme potentiel inexploité de réduction des émissions », en mettant en avant des gains d’efficacité énergétique accumulés dans les domaines du « chauffage, de l’éclairage et de la cuisine », ainsi que la hausse du recours aux énergies propres pour alimenter les bureaux et logements.


Lors d’une deuxième partie, la conférence s’est donc penchée sur l’intégration des objectifs climatiques dans l’immobilier, via l’intervention, en premier lieu, de Jean-Yves Langla, directeur général d’Essor Développement, entreprise dédiée à la construction de bâtiments à usage professionnel. Dans le groupe, la prise en compte des problématiques environnementales s’est faite « naturellement », boostée par deux moteurs. « D’une part, certains de nos partenaires et clients nous ont amenés à nous en préoccuper. On les a accompagnés sur des démarches visant à limiter l’impact sur le climat, notamment les collectivités. D’autre part, notre société avait envie de raconter quelque chose. On a construit une politique d’innovation avec des axes autour de la limitation des émissions de CO2. » 


Essor a donc travaillé sur la limitation de l’étalement urbain, et s’est spécialisé dans la reconversion de friches. « Ça a été notre angle d’attaque, a expliqué Jean-Yves Langla. Aujourd’hui, il faut construire la ville sur la ville ! » 


Actuellement, à Bègles (Gironde), alors qu’une ancienne friche Esso, très polluée, est en train d’être transformée en « Parc de l’Intelligence Environnementale » pour accueillir des entreprises autour du développement des énergies renouvelables, le groupe réalise un ensemble immobilier à destination de bureaux. Outre la réhabilitation d’un bâtiment de près de 600 m² abritant une pépinière d’entreprises, Essor développe un programme de deux bâtiments neufs conçus selon la réglementation ERP (Etablissement Recevant du Public). L’ensemble, livré à la fin de l’année, sera certifié BREEAM – Building Research Establishment Environmental Assessment Method, standard de certification bâtiment le plus répandu dans le monde. 


Toutefois, labelliser n’est pas toujours chose facile, a confié Jean-Yves Langla. Le groupe a réalisé en 2013 une extension et une réhabilitation de l’ancienne gare de Villeneuve-sur-Lot. Le bâtiment est aujourd’hui dédié à l’accueil d’une agence Pôle Emploi. S’il répond à la norme RT 2012 (réglementation thermique), qui a pour objectif de limiter la consommation d’énergie primaire des bâtiments neufs à un maximum de 50 kilowatts heure d’énergie primaire par m2 et par an en moyenne, ainsi qu’au référentiel national établi par Pôle Emploi, le client, à l’époque, a refusé la certification HQE (Haute Qualité Environnementale). « C’était trop contraignant, trop cher… Les préoccupations climatiques sont dans la plupart des esprits, mais quand il s’agit de mettre en place des choses concrètes, les gens sont plus frileux : le long terme, c’est rarement une réalité pour eux. De ce que nous avons pu observer, cela commence tout juste chez les utilisateurs. Ce sont les investisseurs qui sont les plus concernés. »


Au-delà de la réhabilitation des friches, Jean-Yves Langla a indiqué qu’Essor avait « décidé de façon plus volontariste de démarrer des expérimentations ».


Le groupe a récemment développé un projet à énergie positive, qui produit plus d’énergie qu’il n’en consomme, puisqu’il stocke son surplus de production photovoltaïque dans une zone hydrogène. « Une première en France », s’est réjoui Jean-Yves Langla. Le « Delta Green », situé à Saint-Herblain (Loire-Atlantique), a ainsi remporté le Grand Prix de la construction durable aux Green Solutions Awards 2018.


Par ailleurs, le groupe expérimente sur ses chantiers le béton bas carbone, une technologie qui produit du ciment avec une cuisson à froid. « Le ciment bas carbone, c’est un vrai sujet ! », a insisté Jean-Yves Langla.  


Selon ce dernier, il y a également « un grand rôle à jouer sur le végétal pour le rafraîchissement en milieu urbain ». 


Mais pour le DG, la préoccupation des 4°C doit être davantage partagée.
Et cela « doit passer par le réglementaire », a-t-il estimé. 


 


Pour Arp-Astrance, il faut « s’organiser collectivement »


En tant que cabinet de conseil spécialisé en immobilier, Arp-Astrance est lui aussi fortement engagé pour le climat. Le groupe a initié en interne et avec plusieurs partenaires une réflexion sur l’anticipation du réchauffement climatique et de toutes ses conséquences en termes de santé, de durabilité des villes, de mobilité et d’immobilier. 


L’architecte Narimane Laissoub-Benoudadd a ainsi présenté un outil, développé au sein d’Arp-Astrance, dédié aux professionnels de l’immobilier. L’objectif : aider ces derniers à mieux comprendre les futures tendances et évolutions en termes de risques climatiques – chaleur, glissements de terrain, inondations, etc – « afin d’identifier les impacts physiques de ces risques sur les bâtiments, d’en déduire et de déterminer les coûts financiers, de les intégrer dans la méthode d’évaluation immobilière, et de comprendre comment ils peuvent impacter la valeur d’un bien ». Des cartographies vont ainsi identifier les biens les plus exposés, les moins vulnérables, et élaborer des analyses de bénéfices, en indiquant où il est intéressant d’investir, pour quels bâtiments des travaux ne seraient pas rentables, etc.


« On considère qu’il faut dès aujourd’hui repenser la conception et les usages de l’immobilier en tenant compte des phénomènes climatiques, afin de nous assurer que les bâtiments conçus et construits aujourd’hui sauront faire face à l’évolution du climat. Quoi qu’on fasse par ailleurs, il faut se préparer, avec toutes les conséquences que ça a en termes de chaleur, pluie, air, etc. », a considéré Hervé Moal, directeur Innovation et Partenariats d’Arp-Astrance.


Parallèlement à la transition écologique, ce dernier a jugé nécessaire de travailler sur la résilience et l’adaptation : comment s’organiser collectivement pour faire face aux catastrophes. 


Pour Hervé Moal, nous passerons bientôt de questions de « mieux-être » et de « moins consommer » à des questions de vie, tout court : « Jusque-là, quand on avait quelques centaines de décès de personnes âgées liés à la chaleur, on disait que c’était normal. Quand des milliers de nourrissons vont en mourir, peut-être que là, on se posera plus de questions ! Aujourd’hui, les populations à risques – enfants, personnes âgées, malades – sont gérées par la mairie en cas de grande chaleur. Mais quand le problème deviendra structurel, cela va être compliqué. Il faut une prise en charge collective ! »



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