34es journées de Paris : les huissiers de justice sur des charbons ardents


samedi 19 janvier 20195 min
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Les 13 et 14 décembre 2018 avaient lieu les 34es journées de Paris, rendez-vous annuel des huissiers de justice, ou plutôt, dernier rendez-vous « dans cette organisation et dans cette configuration », a souligné la ministre de la Justice. Il s’agissait en effet de l’ultime édition organisée par la Chambre nationale des huissiers de justice, avant que la Chambre nationale des commissaires de justice ne lui succède, le 1er janvier 2019, dans le cadre de la nouvelle profession de l’exécution issue de la fusion des huissiers et des commissaires-priseurs. Préoccupée par son avenir, c’est donc tout naturellement que la profession, à l’aube d’un « tournant historique », s’est réunie lors de l’événement, autour d’un thème fédérateur : « Prospective et Stratégie de développement ».





Ils étaient particulièrement fébriles, cette année. Et pour cause, les huissiers présents aux 34es journées de Paris, les 13 et 14 décembre derniers, assistaient au tout dernier rassemblement annuel de la Chambre nationale des huissiers de justice, dans une salle comble un brin survoltée. « Dans quelques jours nous allons vivre l’acte de naissance de la nouvelle profession, tournant majeur dans notre longue histoire, et nous allons tracer un nouvel horizon. C’est l’occasion de se réinventer, de se donner un nouveau souffle ! », a lancé en préambule Patrick Sannino, président de la Chambre nationale des huissiers de justice, depuis rebaptisée Chambre nationale des commissaires de justice.


Un virage qui représente, selon ce dernier, une opportunité de stratégie, face à de nouvelles formes de concurrence qui émergent. « Il nous faut optimiser notre méthodologie et nos procédés de conquête de parts de marché, mieux structurer notre développement économique », a-t-il sommé, invitant à se projeter dans le marché de demain. Avant la matinée dédiée aux allocutions officielles, le 14, la journée du 13 était ainsi consacrée aux perspectives de développement des futurs commissaires de justice. « Bien arbitrer le présent, c’est bien anticiper l’avenir. Pour ne pas être à la traîne dans une économie en mutation, pour ne pas subir, nous devons être partenaires des évolutions », a considéré Patrick Sannino, d’autant que le marché du droit est plus que favorable. En effet, ce dernier représente 32 milliards d’euros (1,5 % de la richesse nationale) et plus de 500 000 emplois. « Le droit n’est donc pas seulement un coût inévitable, mais un créateur de richesses »,
a pour sa part rappelé Bruno Deffains, directeur du Centre de recherches en économie et droit (CRED), plantant un décor optimiste.


 


Panorama


De ce qu’il ressort des résultats d’un sondage et d’une étude de développement économique ayant porté sur 1 700 études d’huissiers, plus de la moitié ont indiqué réaliser un chiffre d’affaires inférieur à 500 000 euros, 30 % entre 500 000 et un million, et 18 % supérieur à un million. Sachant que les particuliers s’avèrent les plus facturés, devant les TPE/PME et les institutions, au cours de ces trois dernières années. Autre point saillant, la majorité des activités au sein des études sont aujourd’hui de nature monopolistique (exécution forcée, signification), a souligné Bruno Deffains, qui a également évoqué une montée en puissance, en parallèle, de la composante concurrentielle – constat, recouvrement de créances, etc., avoisinant désormais les 40 % –, et des activités concurrentielles accessoires, telles que la médiation.


Pour autant, comme l’a précisé le directeur du CRED, les études présentent dans leur globalité un modèle d’affaire relativement statique et une adaptation lente, avec un rapport à l’innovation timide. « La notion de R&D ne joue pas un rôle déterminant culturellement pour le professionnel du droit », a-t-il pointé.  


Frédéric Theulé, du cabinet Colbor, chercheur associé à Sciences Po, a ainsi souhaité mettre en garde la profession contre sa trop grande rigidité et son manque de digitalisation, deux caractéristiques ressortant d’un rapport réalisé en partenariat avec des professionnels du droit, universitaires et entrepreneurs.


Et les chiffres sont éloquents : près de 60 % des études affirment ne pas utiliser d’outils numériques dans le développement de leur activité, quand moins de 20 % y ont, en revanche, souvent recours, a rapporté Bruno Deffains :
« Les huissiers ne sont pas plus en retard que les autres, mais c’est un phénomène qui marque la réticence, le faible degré de confiance dans les technologies numériques, notamment dans le monde de l’entreprise ». En effet, en entreprise, en France, 65 % des personnes montrent une inquiétude à l’encontre des nouvelles technologies, contre 20 % chez les Chinois, a-t-il précisé.


Il est donc urgent pour la profession, selon le directeur du CRED, de se mobiliser sur ces enjeux, car le taux de pénétration des outils issus d’intelligence artificielle est deux fois plus faible en France qu’aux USA, par exemple. Pourtant, l’Hexagone dispose d’un « large potentiel » en la matière, et compte notamment de plus en plus de legaltechs – presque autant, pour le coup, que le marché américain. Si ces entreprises qui utilisent la technologie pour proposer des services juridiques n’étaient qu’au nombre de 75 en 2016, le chiffre a quasiment triplé aujourd’hui. « Le droit français étant complexe, notamment sur le terrain législatif, l’argument marketing est celui de la simplification », a expliqué Bruno Deffains. Leur principal atout est aussi une contrainte : les legaltechs obligent les professionnels du droit à s’adapter en leur procurant un avantage concurrentiel.
« C’est une réalité économique à laquelle il convient de s’adapter, et je recommanderais de passer des formations pour coller à ces réalités ».


Outre les technologies, le directeur du CRED a invité la profession à travailler, affiner sa stratégie. Un mouvement déjà en branle, puisque les huissiers développent de plus en plus de relations stratégiques de travail, en grande majorité avec des avocats, mais aussi avec des confrères huissiers de justice, ou des notaires. Mais à côté de cela, le sondage présenté par Bruno Deffains révèle qu’un quart des études ne savent pas quelle stratégie développer. Ce problème, le directeur du CRED rattaché à la vision de la profession, qui est celle d’une construction stratégique collective : « Les huissiers savent qu’ils ont besoin d’une stratégie, qu’ils ont besoin de se développer, mais pour s’adapter, ils ont besoin d’un guide, d’une direction, et en cela, le rôle de la Chambre ressort nettement ».


 

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