Article précédent

La CPI vient d’émettre ce mardi des
mandats d’arrêt contre deux responsables militaires russes. Mais depuis
quelques années, et plus particulièrement avec l’aggravation du conflit
israélo-palestinien, un certain nombre de voix mettent en doute les pouvoirs
répressif et dissuasif de la juridiction. Selon les magistrats Bruno Cotte et
Aurélia Devos, une révision du Statut de Rome est nécessaire afin de renforcer
la portée de la justice pénale internationale.
« S’il
n’y a jamais le moindre accusé dans le box, à quoi est-ce que cela sert ? »
martèle Bruno Cotte. L’ancien magistrat et ex-président de la chambre de
jugement à la Cour pénale internationale (CPI) ne mâche pas ses mots lors de la
neuvième édition du Salon du livre judiciaire, le 8 juin 2024. Invité aux côtés
d’autres auteurs, dont la magistrate Aurélia Devos, à présenter son ouvrage Vladimir
Poutine, l’accusation, où il évoque les crimes de guerre en Ukraine commis
par le président russe à travers le prisme de la juridiction internationale, il
se saisit de l’occasion pour souligner les limites de la CPI. La priorité,
selon lui : réviser le Statut de Rome, traité international fondateur de
la Cour, afin de rendre « la justice internationale réelle, utile et
effective ».
Les États non parties peu inquiétés par la CPI
Il
faut dire que le rôle de la CPI est de plus en plus contesté, notamment en
raison du conflit israélo-palestinien. En effet, bien que son procureur, Karim
Khan, ait réclamé la délivrance d’un mandat d'arrêt pour crimes de guerre et
crimes contre l'humanité à l’encontre de Benyamin Netanyahou - les juges de la Cour
doivent d’ailleurs se prononcer prochainement sur le sujet -, la guerre contre
le Hamas continue sans signe de cessez-le-feu, malgré les appels à la paix
émanant d’autres pays.
Sans
surprise, toutefois, le Premier ministre israélien ayant bien fait comprendre
qu’il ne pouvait pas être véritablement inquiété, étant donné qu’Israël, tout
comme la Russie, n’est pas État-partie au Statut de Rome, et estimant par
conséquent que la CPI n'a aucune autorité sur la question de ce conflit. Et en
effet, même si le Statut de Rome « ne prévoit aucune immunité », il
reste extrêmement compliqué pour la CPI de sanctionner les crimes commis par les
dirigeants. En pratique, les États non-signataires ou non-ratifiants, à
l’instar également des États-Unis, de la Chine, de l’Inde, de l’Ukraine ou
encore de la Russie, ne sont pas soumis aux règles établies par ce texte
fondateur de la CPI, et ne sont donc pas tenus de respecter les décisions
rendues par cette juridiction.
« C’est
merveilleux sur le plan du symbole de dire que la CPI délivre des mandats
d’arrêt, y compris envers les dirigeants du Hamas ou les responsables actuels
d’Israël, mais si c’est pour que cela ne se traduise jamais par une
comparution, par le moindre débat judiciaire et par la moindre audition de
victimes et de témoins qui, évidemment, disparaissent avec les années ou dont
les souvenirs s’effilochent, alors cela ne sert pas la justice pénale
internationale », fustige Bruno Cotte.
Procédure
in abstentia : la possibilité d’un jugement symbolique
Mais
alors, en quoi une révision du Statut de Rome, ce texte de 1998 conçu pour
juger les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre et qui a donné
naissance à la CPI en 2002, pourrait-elle transformer la justice internationale
telle que nous la connaissons aujourd'hui ? Selon Bruno Cotte, la réponse est
claire : il faut instaurer une « procédure in abstentia », connue en France
sous le nom de procédure de défaut criminel (anciennement contumace). Objectif :
permettre à la Cour de juger des chefs d'État qui refusent de comparaître
devant un tribunal sans qu’ils aient besoin d’être présents. Bien que ce type
de jugement soit avant tout symbolique, il offrirait aux victimes la
possibilité d'obtenir justice et éviterait que les témoins disparaissent avec
le temps.
« Je
tiens à cette procédure, car il est essentiel d’établir un récit judiciaire qui
soit dans le moule du droit. Les victimes et les témoins doivent être entendus
et les accusés absents doivent bénéficier d’une vraie défense, même si cela est
compliqué à mettre en œuvre, surtout si les accusés ne veulent pas rencontrer
les avocats. On ne peut plus se contenter de la compilation de BFMTV, de LCI ou
des reporters de guerre : aussi courageux soient-ils, ce n’est pas fait
pour écrire l’histoire et encore moins l’histoire du droit ».
En dépit des efforts du magistrat pour promouvoir l’importance de
la procédure in abstentia en justice pénale internationale, une démarche qui «
commence à porter ses fruits dans les universités », l’ancien président de
la chambre de jugement de la CPI reconnaît que faire adopter une telle mesure relève
du parcours du combattant. Selon lui, certains États pourraient craindre
l’instauration d'une procédure permettant de juger des dirigeants même sans
leur comparution : « Soyons très clairs, la plupart des États ont un
double langage », explique-t-il. Par ailleurs, parmi les 124 États
signataires du traité, plusieurs d’entre eux « ne sont pas fondamentalement
démocratiques » et redoutent qu’une telle procédure « ne leur revienne
en boomerang un jour ou l’autre ».
THÉMATIQUES ASSOCIÉES
Infos locales, analyses et enquêtes : restez informé(e) sans limite.
Recevez gratuitement un concentré d’actualité chaque semaine.
0 Commentaire
Laisser un commentaire
Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *