Justice

Des comités des usagers dans les tribunaux, le modèle innovant du tribunal judiciaire de Lyon


mardi 22 juillet7 min
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Le 24 juin, le tribunal judiciaire de Lyon a été récompensé du prix des « bonnes pratiques 2025 » du ministère de la Justice pour la création de son comité des usagers. Une initiative singulière lancée il y a deux ans pour l’amélioration de l’accueil et de l’accompagnement des justiciables.

L’idée de départ est inédite. Tout du moins, elle l’est au sein d’une juridiction française. En 2023, le tribunal judiciaire (TJ) de Lyon se lance dans la création d’un comité des usagers - à l’image de ce qui se fait dans les hôpitaux. Il doit permettre aux justiciables de s’impliquer concrètement dans l’amélioration de l’accueil, l’accessibilité et la compréhension du monde de la justice. Autrement dit, de garantir la qualité et la pertinence des actions à mettre en place.

Une idée presque expérimentale, dont l’ambition a finalement porté ses fruits, estime Antonny Ferreira, l’un des membres du comité. Et pour cause : deux ans après sa formation, des dizaines de mesures concrètes ont été adoptées par le tribunal. « Toutes les administrations devraient se confronter au regard de ses usagers et accepter d'entendre les critiques, continue Antonny Ferreira. Ce n'est pas toujours simple, mais ici, on voit bien que le résultat est là. Elles ont été constructives, comme les propositions, et ont participé à améliorer l'accueil des usagers. » Ce que n’a pas manqué de remarquer l’institution.

Fin juin, le comité des usagers a en effet été récompensé du prix des « bonnes pratiques » par le réseau des services judiciaires du ministère de la Justice. Dans un communiqué, ce dernier salue « les professionnels de terrain » du tribunal judiciaire de Lyon, qui « déploient leur énergie et leur enthousiasme » au quotidien pour « rapprocher les citoyens de leur justice », comme l’engagement des membres du comité. Une initiative singulière qui fait figure de modèle.

Pour améliorer l’accueil, « changer de méthode »

Tout commence au printemps 2023, sous l’impulsion de Michael Janas, président du tribunal judiciaire de Lyon, et de Nicolas Jacquet, procureur de la République. Les deux hommes - qui ne sont plus en poste aujourd’hui - souhaitent repenser l’accueil et la prise en charge des justiciables. Mais pas tout seuls.

En collaboration avec la faculté de droit de l’Université Jean Moulin III, les deux chefs de juridiction commencent par adapter le questionnaire sur la satisfaction des usagers de la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ). Pendant plusieurs jours, des dizaines d'étudiants sont chargés d'interroger celles et ceux qui arpentent quotidiennement les couloirs du tribunal pour recueillir leurs avis. Au total, 335 personnes se prêtent au jeu.

« La méthode du comité des usagers, c'est un changement de méthode », résume Dominique Lenfantin, l'actuel président du tribunal judiciaire de Lyon. L'idée n'était pas « de penser à la place des gens », poursuit-il, mais de savoir « ce qu'ils pensent de la justice en dehors des décisions juridictionnelles » pour ensuite « adapter le dispositif d'accueil au sens large du terme, en fonction des remarques ».

L’analyse des centaines de réponses obtenues par le questionnaire permettent d'établir des pistes d’améliorations possibles. Plus exactement, cinq axes de travail sont identifiés : la prise en charge du handicap visible et invisible, l’amélioration de l’accompagnement des victimes, la prise en compte des personnes en difficulté face aux outils numériques, l’adaptation du langage judiciaire pour le rendre plus compréhensible et une meilleure gestion du temps d’attente à l’audience. 

Très vite, le comité des usagers est constitué ; il réunit une dizaine de personnes issues de la société civile - des acteurs associatifs, des étudiantes en droit ou la responsable du pôle régional du Défenseur des droits. Convoquées par le tribunal judiciaire de Lyon lors de différentes réunions, elles ont désormais pour mission de réfléchir aux actions qui pourraient permettre d'améliorer l'accueil et la prise en charge des justiciables.

« Ce sont des rencontres qui ont été très satisfaisantes parce que nous étions vraiment dans la proposition », se souvient Jade Ligner, l'une des étudiantes membres du comité.  Pour elle, comme pour les autres membres du groupe, l'expérience représente « une très belle opportunité » - non sans investissement.

Chapeauté par les deux chefs de juridiction, le comité des usagers œuvre en collaboration avec le groupe de travail interne au tribunal, constitué de magistrats et de fonctionnaires de justice. Ensemble, ils étudient notamment la faisabilité des préconisations. Une organisation importante, mais le timing est idéal ; car en toile de fond, d’importants travaux de rénovation des bâtiments ont démarré - ce qui permet de confronter ce qui a été prévu au jugement du comité.

A l'issue de cette première phase, 50 mesures à mettre en place ont été adoptées à l'unanimité lors de l'assemblée générale plénière du tribunal judiciaire de Lyon, en décembre 2023.

Des mesures « concrètes » et « pratico-pratiques »

« Pour le moment, tout ce que nous avons fait relève de ce que la juridiction pouvait faire rapidement et par elle-même ; c'est-à-dire tout ce qui ne demandait pas d'engagement budgétaire trop important », relève Dominique Lenfantin. « Mais ce qui a été fait, c’est déjà énorme », rebondit de son côté Clara David-Ruget, qui siège au comité. La juriste y représente l'association d'aide aux victimes Le Mas - qui dispose d’une permanence juridique au tribunal.

Elle estime que l’accueil et l’orientation des victimes a favorablement évolué, souvent à la faveur de petites actions « très concrètes » et « pratico-pratiques » ; comme la mise en place d'une nouvelle signalétique dans les couloirs du tribunal. Plus largement, Clara David-Ruget relève les efforts qui ont été fait pour rendre le langage et l’organisation de la justice plus accessible.

Par exemple, l’installation de différents écriteaux en salle d'audience pour indiquer au public où se trouve le président, le greffier, l'assesseur, le procureur ou encore les avocats des différentes parties - et qui ils sont. Dans le même esprit, une vidéo pédagogique a été réalisée en interne pour expliquer le rôle de ces professionnels - et rappeler les règles à respecter lors des procès. Selon Thierry Dran, le procureur de la République auprès du tribunal judiciaire de Lyon, « elle est aujourd’hui diffusée avant la plupart des audiences pénales » et susciterait « l'intérêt de la chancellerie » -  qui lui en aurait demandé une copie.

Mais c'est sans doute sur le volet de l'accessibilité aux personnes en situation de handicap que le plus gros a été fait. Une thématique particulièrement importante pour Antonny Ferreira, qui représente l'Association des paralysés de France (APF) au sein du comité. « Je pense que mon profil était intéressant parce que je suis policier de profession - ce qui fait de moi un usager régulier du tribunal -, mais je suis aussi en situation de handicap. Ce qui m'a permis de déceler assez vite ce qui pouvait être mis en place. »

Et d’après lui aussi, les aménagements sont d'ores et déjà extrêmement bénéfiques. Il cite notamment l'installation d'une imprimante en braille pour les personnes non-voyantes, l'adaptation des nouveaux portiques de sécurité aux fauteuils roulants, ou encore la création d’une « fiche besoin »« Très simplement, continue le policier, il s'agit d'un formulaire à destination des usagers qui permet de prendre en compte certains besoins spécifiques, notamment ceux des personnes victimes. » Très bientôt, des places de parking réservées aux personnes en situation de handicap devraient également être aménagées à proximité du tribunal.

Au total, nous indique le procureur  Thierry Dran, « entre 60 et 70 % des mesures préconisées par le comité des usagers ont été mises en œuvre ». Plus en détail, « nous avons réalisé près de 80 % de celles portant sur le volet handicap et 66,7 % de celles portant sur l'amélioration de l'accompagnement des victimes. Mais c’est moins bon sur la ponctualité des audiences et la gestion du temps, où nous en sommes à 43 %. » Concernant cet aspect, les projets sont nombreux, mais nécessitent des financements.

La juridiction envisage notamment d'installer différents écrans dans la salle des pas perdus du tribunal pour indiquer aux usagers les informations liées à leur audience. Le procureur évoque aussi un projet de « rappel par SMS » - qui permettrait aux justiciables d’être convoqués par tranche horaire et de réduire leurs temps d’attente ; car aujourd’hui, tous sont convoqués à 14h, sans savoir à quel moment de la journée, ou de la soirée, leur affaire sera jugée.

In fine, « il reste encore beaucoup à faire, conclut le procureur de la République. Notamment des choses un peu plus longues à mettre en place, et plus coûteuses ». Mais il espère, comme le président du tribunal judiciaire de Lyon, que l'obtention du prix des « bonnes pratiques » du ministère de la Justice plaide en leur faveur en vue de l'obtention de futurs financements. Quoi qu'il en soit, l'initiative permet de montrer l’exemple ; très récemment, la juridiction de Bobigny a créé son propre comité des usagers.

C. D.

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