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CHRONIQUE. Vendredi 15 novembre, comparutions immédiates de Paris. Les dossiers s’enchaînent : vols, violence, stupéfiants. Il y a des renvois, et dans des proportions singulières, des relaxes. Chronique d’un après-midi à la 23e chambre correctionnelle.
On appelle
Amine, 18 ans. « J’attends, monsieur, j’attends »,
s’impatiente le président. Le jeune homme se lève tranquillement, sourire aux
lèvres : « Désolé, c’est la première fois ». Usage, transport,
détention, acquisition de cannabis. Refus de donner la convention de
déchiffrement de son téléphone. Les faits sont du 6 octobre, c’est un renvoi.
Mais où est le co-prévenu ? « Monsieur S. a un problème de rendez-vous,
car il est actuellement détenu à la maison d’arrêt de Nanterre dans le cadre
d’une affaire de trafic de cocaïne et de cannabis. Je mets donc dans les débats
le renvoi de cette affaire. Ce n’est pas vraiment de la faute de Monsieur S. s’il
n’est pas là aujourd’hui », renseigne le président. La procureure en
convient. L’avocat se doit d’ajouter : « Mon client aurait préféré être
jugé aujourd’hui, mais il comprend. » Renvoi au 7 janvier, Amine est
maintenu sous contrôle judiciaire. Il faudra organiser l’extraction de Monsieur
S.
Voici Taha,
un tunisien de 25 ans au phrasé impeccable qui, avec cérémonie, demande un
renvoi pour préparer au mieux sa défense et « prouver [son]
innocence ». Taha est jugé pour proxénétisme au préjudice d’une jeune
femme vulnérable - déficience intellectuelle. Il est en récidive légale.
« Je
suis très attaché à la France »
Arrivé en
France à 17 ans, il a été condamné une fois pour détention de stupéfiant, en
2022, et n’a pas réussi à renouveler son titre de séjour depuis (« mais
c’est en cours ! »). Il sait que sa nationalité étrangère peut faire
craindre au tribunal sa non-représentation à l’audience de fond, c’est pourquoi
il s’enflamme dans une déclaration d’amour à son pays d’accueil : « Je
suis très attaché à la France, c’est mon pays, je ne retourne jamais en
Tunisie. J’ai tout donné pour faire ma vie ici, et je m’exprime bien (c’est
vrai, ndlr). »
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volés ont été revendus »
Déformation
professionnelle ? La procureure semble peu encline à croire un prévenu sur
parole. Elle souligne les risques de pression sur une victime « vulnérable ».
Elle demande que le prévenu soit placé en détention provisoire. L’avocate de la
défense assure que son client aurait bien voulu être jugé aujourd’hui, mais au
vu de la taille du dossier, il s’est résolu à demander le renvoi. Sa pire
crainte, c’est la prison. Dossier suivant. « Merci à vous, au plaisir
! » dit Taha, enjoué. « A tout à l’heure », répond le
juge, surpris. La détention risque d’entacher sa bonne humeur. Renvoi au 7
janvier.
« Ta gueule
ne me plaît pas »
Des cheveux
courts et gris sur un visage buriné, marqué d’une impressionnante balafre sur
la joue. Manucure rouge pétant. Pull à capuche en laine blanc cassé, pantalon
vert, goutte au nez, main gauche appuyée sur une béquille et main droite bien
calée sur la hanche, Sandrine lâche, un « jugée aujourd’hui » rauque
à la question rituelle du juge. Ce sont des violences.
Les faits se passent
dans le métro, ligne 3, le 28 juin 2024. Une SDF lance un « ta gueule
me plaît pas » (sic) à l’encontre d’un usager. Ce dernier lui répond
qu’elle ferait mieux de sortir ou du moins de s’éloigner. La SDF sort un canif,
lui plante dans la cuisse et descend du métro, station Havre Caumartin.
Le passager
décrit une femme maigre et « basanée ». La vidéo surveillance montre
l’agresseuse tituber sur le quai correspondant à l’heure indiquée, mais
impossible de reconnaître Sandrine. En fait, c’est un policier qui aurait fait
le rapprochement entre la description donnée par la victime et Sandrine, qu’il
a déjà contrôlée. Une vague histoire de chapeau que la suspecte portait et
qu’il aurait cru voir sur la tête de Sandrine.
Quand
Sandrine a été interpellée, elle a déclaré : « C’est pas moi du tout
sur la vidéo, en plus j’ai pas de chapeau ». Lors de l’audience, elle
confirme : « C’est toujours pas moi.
- D’accord.
Vous étiez dans le métro ce jour-là ? Vous y faites la manche ?
- Je fais
la manche, mais pas dans le métro. »
Le président relance
: « Autre question ? Non ? Alors, voyons votre
personnalité. »
Sandrine a 50
ans, et cinq ans passés sans domicile ; elle consomme massivement de l’alcool
et du crack. Avant, elle avait un mari qui la battait et deux enfants (majeurs)
qu’elle voyait. « Ne semble pas en mesure de se contraindre à des
mesures dans le cadre d’un aménagement de peine », décrit l’enquêteur
social. A son casier figurent deux condamnations pour violences.
« Qu’est-ce
que vous envisagez de faire ?
- Me
soigner.
- Et
comment ?
- Je vais
partir en cure. Il serait peut-être temps que je me reprenne sérieusement en
main. »
La procureure
fait la moue. « Le dossier est assez pauvre. Elle ne correspond pas à
la description donnée par la victime et on ne la reconnaît pas sur la vidéo. Je
n’ai pas la certitude que Madame a commis ces faits et je demande donc la
relaxe. » La défense aussi. Le tribunal suit et prononce la relaxe. « Merci
! » lance Sandrine avec un grand sourire.
« Je m’excuse,
mais faut pas en rajouter »
Moussa est
nettement moins détendu. Lui aussi est SDF. Le matin du 13 novembre, il a abordé
Julie, qui fumait à l’arrêt de bus ; elle a refusé de lui donner une
cigarette. Il était 6h50 du matin et Julie a trouvé l’homme plutôt inquiétant.
Elle est allée voir le poissonnier pour lui demander de surveiller Moussa. Puis
elle a filé acheter du pain à la boulangerie et, retombant sur Moussa qui
l’observait, elle a accéléré le pas et s’est réfugiée dans le hall de
l’immeuble où se trouvait le restaurant où elle est employée.
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agression, c'est lui qui a tapé mon rétro »
Voici ce qu’elle
a raconté aux policiers : Moussa la talonnait et il a mis un grand coup dans
la porte, avant de lui lancer : « Je vais te baiser, te faire le cul,
te crever », et c’est de ce chef d’accusation qu’il est poursuivi. En
récidive légale.
Moussa a
refusé de parler aux policiers mais ce jour-là, il s’explique devant les juges
:
« Je suis SDF, je me suis levé tôt pour appeler le 115. J’avais envie de fumer, je suis arrivé à la station de bus. Je lui ai demandé une cigarette, elle a refusé. Je l’ai vue parler avec le poissonnier en me pointant du doigt, alors je suis allé vers elle pour lui demander ce qu’elle avait dit. Elle m’a vu venir, et peut-être qu’elle a eu peur ? J’ai toqué, et je lui ai demandé ‘vous avez dit quoi au poissonnier ?’ Elle ne m’a pas calculé, alors je lui ai dit ‘sale pute’, j’admets et je m’excuse, mais faut pas en rajouter.
- Donc
vous n’avez pas menacé de la crever ?
- Non, je
ne l’ai pas menacée de mort. Je voudrais encore m’excuser. »
Julie est
absente à l’audience et n’est pas représentée. La procureure est embêtée : « La
qualification est mise à mal par les déclarations de monsieur ». Et
comme le seul témoin de la scène n’a pas entendu les menaces, elle demande que
la menace d’un crime soit requalifiée en « violences » (caractérisée
par l’insulte : « sale pute »). La défense ne sait pas trop
quoi plaider, mais semble penser qu’éventuellement, ce que demande la
procureure n’est pas déraisonnable. Ce sera une relaxe.
Julien Mucchielli
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