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18/09/2023 16:02:48
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(78) À la cour d’appel de Versailles, les effectifs de magistrats ne sont « pas à la hauteur » en vue des JO
Lors de la rentrée de la juridiction yvelinoise début septembre, Marc Cimamonti a pointé que des postes ne sont toujours pas pourvus alors que l’échéance des Jeux approche. Sur un autre plan, le procureur général a réaffirmé, de concert avec le Premier président Jean-François Beynel, la place prépondérante des greffiers, nombreux à manifester ces derniers mois pour une revalorisation de leur statut.
C’est en présence du directeur des services judiciaires et du ministre de la Justice que la cour d’appel de Versailles, dernièrement « très concernée par les violences urbaines », a procédé à son audience solennelle de rentrée, début septembre, au lendemain de la présentation détaillée à Colmar du plan de recrutement de personnels de justice. Le Premier président Jean-François Beynel l’a d’ailleurs souligné, ce plan « donne à [l’]institution, par son ampleur et son caractère inédit, les moyens qui doivent lui permettre de sortir de la crise et de répondre aux attentes [des] concitoyens ».
Des moyens qui s’appuient sur le projet de loi de programmation sur la justice, lequel doit aboutir en octobre prochain et prévoit, d’ici 2027, de porter le montant du budget du ministère de la justice à 11 milliards d’euros, et de recruter, au sein des juridictions, 1 500 magistrats, 1 800 greffiers, et plus de 1 000 assistants. Pour sa part, la cour d’appel de Versailles devrait se voir affecter à elle seule un total de 71 magistrats, 127 greffiers et 72 attachés de justice.
« Au-delà, en prévoyant une profonde réorganisation des structures de gestion et d’administration de notre institution et des juridictions (...) et en rénovant les modalités de recrutements des magistrats et de l’élection au Conseil supérieur de la magistrature, ce plan donne les outils à la hauteur des ambitions formées par les Etats généraux de la Justice » s’est par ailleurs réjoui le Premier président, qui a néanmoins évoqué un « vaste chantier ».
Des renforts « importants » mais « insuffisants » en vue des JO
Pour l’heure et alors qu’une quarantaine de magistrats récemment nommés ont été installés lors de cette audience (12 magistrats du siège, 5 magistrats du parquet général et 25 magistrats placés dont neuf au parquet général), le procureur général Marc Cimamonti a indiqué avoir été « entendu » par la direction des services judiciaires pour maintenir le niveau des effectifs du parquet général de Versailles « en nombre - soit à 20 (19 en localisation et un surnombre) - et en qualité ».
« Une nécessité » qui, aux dires du procureur, se justifie notamment « pour faire face tout spécialement à l’audiencement des cours d’assises et des cours criminelles » dont la « dégradation constante [doit être stoppée] », a-t-il estimé, après avoir prévenu qu’il « parle[rait] vrai », comme souvent peu coutumier de la langue de bois lors de ses allocutions.
A noter également le renfort en magistrats placés du siège et du parquet en vue du déroulement dans le ressort de plusieurs épreuves des jeux olympiques et paralympiques 2024. Moyens supplémentaires que le Premier président a qualifiés d’ « importants », afin de parer aux « conséquences [des jeux] sur le plan judiciaire ».
Importants, certes, mais insuffisants, à en croire le procureur général, qui n’a pas manqué de mettre en exergue que s’il était initialement convenu « de combler toutes les vacances des quatre parquets du ressort et de pourvoir des postes en surnombre, soit quatre substituts placés, deux magistrats au parquet de Nanterre, un à Versailles », les effectifs supplémentaires ne sont aujourd’hui « pas exactement à la hauteur », puisqu’ « un poste de substitut placé n’est pas pourvu en surnombre, le parquet de Chartres souffre de deux vacances, celui de Pontoise, d’une vacance, et au parquet de Versailles, deux magistrats manquent à l’appel ».
Marc Cimamonti a néanmoins reconnu « qu’au plan national, les arbitrages [ont] pu être complexes, spécialement avec les cours non concernées par les JO », et assuré que les parquets de ce ressort « fer[aient] face » : « Avec l’équipe des magistrats placés, je suis juste en mesure de leur garantir un effectif réellement présent à hauteur de leur localisation et des surnombres prévus. Mais pour cela, il convient que jusqu’en septembre 2024, ils ne connaissent pas de nouveau départ de magistrat ou en tout cas de départ non remplacé », a-t-il prévenu.
Les nouveaux magistrats invités à « ne pas se replier sur leur métier »
Cette audience de rentrée était également l’occasion de recueillir la prestation de serment de quatre magistrats honoraires à fonction juridictionnelle et de 46 nouveaux magistrats, au terme de leur scolarité à l'École nationale de la magistrature (ENM), juste avant l’installation dans leurs premières fonctions au sein des tribunaux judiciaires du ressort de la cour (Pontoise, Versailles, Nanterre et Chartres…) pour la majorité d’entre eux.
Bien que le procureur général ait fait savoir qu’il n’était « pas totalement convaincu de l’utilité » de la prestation de serment de magistrats honoraires « après le parcours professionnel de magistrat qui a été le leur », il a en revanche considéré que cet acte revêtait « une valeur supérieure pour ceux qui sont encore, pour quelques instants seulement, des auditeurs de justice ». « Cette audience tient du rite de passage en ce qui vous concerne, a-t-il donc affirmé à l’intention des néo-magistrats. Ce sont des moments uniques dont on se souvient toujours, [mais aussi des] moments solennels où l’on doit prendre conscience de son office de magistrat, de ses devoirs, de sa responsabilité, avec une réflexion quant à la meilleure manière de les exercer ».
De son côté, le Premier président a rappelé à ces magistrats fraîchement sortis d’école qu’ils devraient, « en premier lieu, participer au service public de la justice ». « Cela implique de votre part un engagement particulier, fait de dévouement, de désintéressement et de probité. Ces devoirs vous imposent d’être (...) exemplaires et dignes en toutes circonstances. C’est le sens de votre serment, qui ne vous donne aucune prérogative et ne vous octroie aucun statut privilégié, mais qui vous rappelle à chaque instant la confiance qui est mise en vous et la hauteur de votre mission », au cœur de laquelle sont placés les justiciables, a martelé Jean-François Beynel. « On ne peut pas être magistrat si l’on ne pense pas que sa mission est avant tout de prendre en charge avec humanité ceux et celles qui nous sont confiés ».
Les futurs ex-auditeurs de justice ont également pu compter sur les « quelques conseils » que leur a adressés le procureur général, à commencer par une attention toute particulière qui doit être portée à la compétence juridique et technique. « Vous devez avoir l’obsession de la qualité et de la valeur ajoutée de votre action judiciaire », lesquelles comprennent nécessairement une dimension de délai, a-t-il mis en garde : « C’est sans doute un des bémols de votre formation : celui de ne pas vous préparer suffisamment au choc de la prise de fonction lié au temps contraint pour faire face à la masse de travail. Vous allez livrer une course contre le temps et votre organisation personnelle sera déterminante. »
Autre lacune, a observé Marc Cimamonti : la formation initiale serait, d’après le procureur général, insuffisamment centrée sur l’apprentissage du travail en équipe. « Dans toutes les juridictions où vous serez affectés, vous appartiendrez à un service, à un collectif. Vous ne pourrez vous réduire à votre exercice personnel : c’est tout simplement une question d’égalité du justiciable devant la justice. Une juridiction, ce n’est pas les magistrats d’un côté, agents du greffe d’un autre et d’un 3ème les assistants divers des magistrats », a-t-il rappelé, invitant à se méfier de « l’esprit de caste » qui peut toucher certains magistrats : « qu’il se traduise par de la morgue ou de la condescendance, il n’est pas admissible ».
Le procureur général a également insisté : le métier de magistrat suppose, dans son exercice, beaucoup d’équilibre. « [A ce titre], pour faire face aux exigences et à la pression de ce métier, il est indispensable d’être ouvert sur l’extérieur, sur des domaines judiciaires plus éloignés de votre activité du moment, et plus largement sur les autres pans de la vie en société. Ne vous repliez pas sur ce métier : ouvrez-vous, aérez-vous, cultivez-vous ! », a-t-il lancé à l’adresse de ses jeunes collègues.
Le tutorat reconduit cette année
Pour faciliter l’entrée des nouveaux magistrats et fonctionnaires dans leurs premières fonctions, Jean-François Beynel a annoncé que le tutorat mis en place l’an dernier serait reconduit cette année, grâce à des tuteurs bénévoles et volontaires. Les magistrats placés auprès des chefs de cour seront, plus spécifiquement, accompagnés à la fois par leurs tuteurs et par le biais d’un suivi individuel régulier durant leur première année de fonction.
Pour le Premier président, ce dispositif relève d’un « geste de solidarité, de protection », mais aussi d’une « prise en compte des difficultés liées à l’isolement généré par les fonctions de magistrat », et représente « une amélioration notable vers plus de fraternité et de d’écoute », a-t-il affirmé. « La prise de fonction est un moment très important de la carrière, qui peut s’avérer difficile et qu’il convient d’accompagner au mieux », a-t-il ajouté.
Jean-François Beynel a également indiqué que Chantal Arens, désormais Première présidente honoraire de la Cour de Cassation, avait renouvelé son accord pour accompagner les nouveaux magistrats au cours des premiers mois, via des rencontres collectives et individuelles, « afin d’échanger, de répondre à leurs questionnements et à leurs attentes ». Une véritable « chance » pour eux, a-t-il estimé.
« Il n’y a pas de juridiction possible sans greffe »
En dehors de cette nouvelle vague de magistrats venant compenser un certain nombre de départs, deux juristes contractuelles ont rejoint le parquet général au 1er semestre 2023 : une juriste spécialisée pour la prévention des actes de terrorisme et une juriste assistante affectée au pôle action publique. « Vous comblez un manque ! » leur a assuré Marc Cimamonti.
En effet, un juriste assistant, c’est une première pour le parquet. Et si le procureur général s’en réjouit, cela ne l’a pas empêché de taper du poing sur la table. « Cette situation est anormale au regard du nombre des affectations dans les TJ et au siège de la cour », a tempêté Marc Cimamonti, jugeant « impératif d’y remédier ». « Tout pôle du parquet général doit pouvoir bénéficier du concours d’un juriste assistant. Ce sera un de mes objectifs dans le cadre des recrutements liés au plan post Etats généraux de la justice », a-t-il promis.
Par ailleurs, ce ne sont pas moins de 23 greffiers qui ont pris leur fonction à la cour d’appel de Versailles entre mars et juin 2023. « Il n’y a pas de juridiction possible sans greffe et, plus largement, sans l’ensemble des agents qui contribuent à son fonctionnement », a insisté Marc Cimamonti. « Les missions des greffiers (...) [sont] révélatrices de l’ampleur de leur positionnement au sein de l’autorité judiciaire », a souligné en écho Jean-François Beynel.
Éloge peu anodin après un été émaillé de manifestations au sein de la profession, mobilisée contre la nouvelle grille indiciaire proposée par la direction des Services judiciaires et contre l’impossibilité d’un reclassement en catégorie A. Alors qu’un calendrier de négociation en vue d’un protocole d’accord sur la revalorisation indiciaire et statutaire est en cours jusqu’au mois d’octobre, le Premier président a émis le souhait « que les réformes à venir soient l’occasion d’une franche audace et d’une réelle mise à plat des missions » des greffiers.
D’autre part, pour rebondir sur les revendications des greffiers qui accusaient pour partie la Chancellerie de ne « jurer plus que par ‘“’équipe autour du juge’”» dont ils ne font pas partie, comme le résumait la Gazette du Palais en juillet dernier, le procureur général a enfoncé le clou et argué que la « terminologie d’équipe, limitée aux agents contractuels voire en détachement », lui semblait « inadaptée ». « Le greffe en serait exclu, alors qu’historiquement, c’est bien lui qui constitue cet entourage privilégié des magistrats ? »
Marc Cimamonti s’est montré ferme : il ne peut y avoir, selon lui, d’autonomie de certaines de ces catégories professionnelles, « antinomique » avec la notion de service qui impose d’organiser les actions respectives de chacun. « Cela pose en réalité la question de la gouvernance de nos juridictions », a-t-il résumé. La question devra en tout cas être tranchée par la direction des services judiciaires, laquelle planche actuellement autour de cette place occupée par les directeurs de greffe et le service de greffe.
Un coup de projecteur sur l’action judiciaire civile du parquet
Concernant les orientations prises par la cour, l’accent est mis sur le développement de l’action judiciaire civile du parquet, victime de la « prégnance de la matière pénale », a déploré Marc Cimamonti. « Trop fréquemment, on ne pense qu’à la dimension pénale des fonctions du ministère public, [alors qu’il] a des attributions éminentes en matière civile et commerciale. La focalisation médiatique et normative sur le pénal conduit à négliger l’exercice de ces attributions », a-t-il pointé. Souhaitant rendre à César ce qui est à César, et attacher aux contentieux civils « une attention aussi grande qu’au domaine pénal », le procureur général a précisé qu’il avait ainsi recentré le pôle civil du parquet général sur ces attributions en déchargeant ses deux magistrats de toutes les compétences pénales.
Parmi les autres points de préoccupation, alors que 90 futurs directeurs départementaux de la police nationale ont été officiellement nommés mi-juillet, Marc Cimamonti n’a pas manqué d’évoquer la réforme de la police nationale tant honnie. « Il y a un an jour pour jour, j’exposais tout le mal que je pensais de cette réforme. Je n’ai pas varié dans mon appréciation », a-t-il fait savoir, regrettant que les critiques « multiples et de tous horizons » n’aient pas été entendues. « Cette réforme va se faire (...). Elle recèle le risque d’une moindre maîtrise de la criminalité grave et organisée par l’abaissement de la police judiciaire au sens classique », a alerté le procureur général, qui a toutefois garanti qu’il s’attacherait à préserver « la qualité, l’exhaustivité voire l’impartialité des enquêtes relatives aux faits organisés, complexes ou graves de délinquance ».
Enfin, dernier point phare : le sujet des violences intrafamiliales, au centre des politiques de juridiction prioritaires. A ce titre, la cour a finalisé en avril dernier un projet de traitement spécialisé de ces violences, lequel devrait être « lancé prochainement ». Et si l’élaboration d’un projet de décret instaurant des pôles spécialisés contre les violences intrafamiliales au sein des tribunaux judiciaires et des cours d’appel est actuellement en cours, selon Marc Cimamonti, « pour être efficace judiciairement dans le traitement des violences intrafamiliales, les exigences ne sont pas si complexes : il faut être attentif à ce que les magistrats, agents du greffe et attachés de justice disposent des formations adaptées et que les procédures pénales ou civiles soient mises en état de manière exhaustive. C’est cela qu’il faut promouvoir, sans qu’il soit utile de multiplier à tous niveaux une administration judiciaire bureaucratique ».
Le procureur général s’est dit « surpris » par les appels « de plus en plus fréquents » en faveur de la mise en place d’approches judiciaires spécialisées ou particulières pour le traitement de certains contentieux. « On peut se demander si de telles approches ne tendent pas en réalité à obtenir des dispositifs procéduraux spécifiques, dérogatoires, et même en termes de présomption afin de garantir une répression accrue ou une particulière mansuétude. Il est important de ne pas multiplier les structures judiciaires spécialisées au-delà du strict nécessaire en disposant de juridictions de droit commun en capacité de traiter selon des règles identiques des domaines variés de délinquance », a-t-il affirmé. Et d’ajouter : « C’est une question d’égalité des citoyens devant la justice ».
Bérengère Margaritelli
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