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CHRONIQUE. Le mercredi, la 7e chambre correctionnelle du tribunal d’Évry est dédiée aux violences intrafamiliales et aux infractions sexuelles. Sur les huit affaires inscrites au rôle, ce 13 novembre, quatre seront renvoyées à la demande de l’une des parties ou pour des irrégularités de procédure. Récit d’une journée banale mais parlante, où se côtoient la violence des affaires et les aléas ordinaires d’une administration démunie.
La salle
pénale n°2 accueille un procès « hors norme ». C’est le terme employé
par la Chancellerie pour désigner les procès qui demandent des moyens
exceptionnels. Ici : trois semaines d’audience pour des escroqueries et
des dizaines de parties civiles, pour lesquelles un dispositif d’accueil a
spécialement été installé au milieu de la salle des pas perdus. Il met un peu
d’ambiance dans ce hall triste et froid.
L’audience de
la 7e chambre correctionnelle est remisée dans une salle civile, plus
petite, mais dotée d’un box pour prévenus opportun, comme si elle était là pour
délester, à l’occasion, les chambres pénales surchargées. Tous les prévenus
sont là. Leur stress est discret. La plupart sont figés, très polis, et
n’enlèvent pas leurs vêtements. Quand ils sont appelés, ils se lèvent d’un bond,
par peur de ne pas obtempérer assez rapidement.
L’huissière
fait une dernière inspection des téléphones portables et annonce « le
tribunal ». La salle se lève d’un bloc et Thiago, le premier accusé,
s’extrait des rangs. Il est suivi d’Emma*, la victime. Le prévenu a 37 ans, des
tatouages, les tempes rasées, un chignon stylisé. Il aurait agressé sexuellement
cette jeune femme beaucoup plus jeune. Cette dernière est accompagnée d’un père
à l’allure peu commode et d’une mère dont elle est, physiquement, la copie.
Elle jette un œil à ce Brésilien robuste qui se courbe devant le tribunal. Finalement,
il ne sera pas jugé ce jour-là : son avocat nouvellement désigné n’a pas
pu s’entretenir avec lui, faute d’interprète en portugais disponible. Droit de
la défense, procès équitable, certes, mais la procureure objecte qu’il serait
bien commode de prendre le dossier ce jour-là, car la victime a fait l’effort
de se présenter. L’avocat d’Emma abonde, mais la présidente décide de le
renvoyer au 11 juin 2025. La salle se vide.
« Je ne
sais pas si je serai en vie ! »
Un Albanais
âgé et clopinant prénommé Nikolin se pointe, sur sa béquille, paré d’une veste
matelassée bordeaux et d’un jogging gris hors d’âge. C’est la troisième fois
que l’audience a lieu ; et à cause d’un bug informatique, il y en aura une
quatrième, car ce prévenu n’a pas reçu de citation à comparaître comprenant
tous les chefs de prévention – une obligation procédurale. Nikolin a très bien
compris la situation, sans attendre l’intervention de l’interprète, et ça le
met en rogne. Il tient à s’exprimer sur le fond du dossier sur-le-champ. Malgré
ses protestations éraillées, teintées de son fort accent – et qui font hésiter
son interprète, la présidente lui répète patiemment qu’elle ne transigera pas.
Plus la magistrate parle, plus Nikolin hausse le ton. « Monsieur, on va
vous sortir », menace-t-elle.
A deux mètres de là, la victime, son ex-compagne, semble affectée. « Pour madame, ça devient extrêmement compliqué. Le divorce a été prononcé, il y a l’ordonnance de protection mais elle souhaiterait une vrai condamnation pénale », avance l’avocate de la partie civile. Il faudra attendre le 11 juin 2025. Nikolin demande : « Est-ce que je peux voir les enfants ? »
- Ce n’est pas notre rôle, vous allez sortir de la salle et vous reviendrez le 11 juin 2025.
- Je ne
sais pas si je serai en vie !
- Eh bien, on verra ça. »
Un couple bien mis, d’apparence bourgeoise, venu accompagner son fils accusé
d’agression sexuelle, secoue la tête. Ces parents à l’allure soignée désapprouvent-ils
cette gabegie administrative ? Y voient-ils un gaspillage d’argent public ?
« Tout ça parce qu’un procureur ne sait pas rédiger une citation
! » enfonce une avocate, semblant oublier l’épisode du bug
informatique. L’homme, qui porte de grosses lunettes, n’a pas l’air content,
tandis que sa femme applique du Tippex © sur des fiches manuscrites rangées
dans un gros classeur de couleur vive.
« J’entends
la difficulté psychologique, mais c’est pareil pour mon client »
Pendant ce
temps, trois gendarmes amènent un prévenu dans le box. Ses yeux courent dans la
salle, à la recherche de têtes connues. C’est un dossier pour
« proxénétisme aggravé », qui vient en audience relai.
Ce dossier
passera après celui d’Alexandre, la trentaine sans cheveux, avec une barbe bien
coupée. Il semble relativement détendu pour un homme qui va être jugé pour une
agression sexuelle sur mineure. Peut-être est-ce parce qu’il n’a pas vu la
partie civile, et qu’il s’attend à ce qu’il va entendre ? « La jeune M.
devait être là, mais du fait du retentissement psychologique consécutif à
l’agression, il lui est difficile de sortir seule, et sa maman ne pouvait se
rendre disponible », plaide l’avocate de la victime. Elle demande le
renvoi. L’histoire semble se répéter : c’est la troisième fois que ce
dossier était présenté au tribunal.
La procureure
est « assez embêtée parce que ça commence à faire long »,
mais elle considère la présence de la partie civile « fondamentale ».
Elle ne s’oppose donc pas au renvoi. L’avocat de la défense, lui, fait part de
son désaccord : « J’entends la difficulté psychologique, mais c’est
pareil pour mon client ! » Qui nie les faits, donc. Cette fois-ci, la
date de renvoi est le 18 juin 2025 (l’audience du 11 juin devant être pleine).
« J’en
ai marre de la prison »
Vient enfin le
dossier du prévenu écroué. L’audience relai est prévue pour examiner la demande
de mise en liberté et les demandes de modifications de contrôle judiciaire des
autres prévenus. Ils sont sept dans ce dossier, et trois sont présents, en plus
d’Abdallah, incarcéré « depuis 38 mois », s’étrangle son
avocat. Comment une détention provisoire si longue est-elle possible pour une
affaire délictuelle (proxénétisme aggravé) ? Parce qu’il a d’abord été ouvert
sous une qualification criminelle. C’est donc le régime de détention provisoire
qui s’impose.
« Il
sera jugé le 14 février, ça fera 42 mois », scande l’avocat. Il avance que tout le monde est libre, que son client peut
être logé chez des parents à Poitiers, qu’il a été irréprochable en prison. La
défense fait enfin remarquer qu’au vu des peines encourues, il y a de grandes
chances que le prévenu sorte après l’audience, puisque sa détention provisoire
couvrira largement la peine à laquelle il risque d’être condamné.
Pendant la
plaidoirie, une sonnerie de téléphone retentit. Une avocate farfouille dans son
sac et adresse un sourire gêné au tribunal, colle son sac sur sa poitrine et
sort de la salle en courant à petits pas, bredouillant des excuses, accompagnée
par le générique de L’Agence tous risques qui hurle dans le couloir.
Silence. Réquisitions.
La procureure estime que le « risque de pression » persiste, et rappelle qu’Abdallah a été condamné huit fois… dont sept où il ne s’est pas présenté à l’audience. Elle n’est pas encline à lui faire confiance et demande le renouvellement de son mandat de dépôt. Abdallah aura ces courts derniers mots : « J’en ai marre de la prison ». Il est maintenu en détention. Le tribunal va désormais appeler les dossiers au fond.
Julien Mucchielli
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