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Avril 2024. Neuf militants d'Extinction Rebellion (XR) accusés de s’être introduits illégalement dans le port de commerce de La Rochelle pour y accrocher des banderoles contre l’accaparement de l'eau par l'agro-industrie sont relaxés en première instance. Les magistrats ont estimé que les accusés avaient « multiplié », sans succès, « les démarches légales » pour interpeller les pouvoirs publics, et retenu l’état de nécessité plaidé par la défense. Une décision rare, dont le parquet a fait appel.
Juin 2024. Huit militants de Riposte alimentaire (ex Dernière rénovation) sont relaxés pour avoir bloqué l’autoroute A6, en octobre 2022. Objectif : exhorter l’État à adopter un plan ambitieux de rénovation thermique. Condamnés en première instance, les militants ont obtenu gain de cause devant la cour d’appel de Paris. Les magistrats ont considéré que les poursuites pour entrave à la circulation étaient une « atteinte disproportionnée » à leur liberté d’expression - « les prévenus » ayant mené « une action militante pacifique, responsable » pour « alerter l’opinion et les pouvoirs publics des conséquences du dérèglement climatique ». Le parquet s’est pourvu en cassation.
Relaxe, aussi, pour les huit militants d’Extinction Rebellion qui s’étaient introduits, en mars dernier, dans une usine du groupe chimique Akerma - accusé, depuis plusieurs années, de rejeter d’importantes quantité de PFAS (aussi appelé « polluants éternels ») dans le Rhône, et de contaminer la population. Le 5 juillet 2024, les magistrats du tribunal correctionnel de Lyon ont, là encore, considéré que les poursuites engagées relevaient d’une « ingérence disproportionnée dans l’exercice de la liberté d’expression ». Aucun appel n’a pour l’instant été formé.
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Non exhaustives, de quoi ces relaxes sont-elles le nom ? « Plus nombreuses ces derniers mois », assure Charlotte, du service juridique de Riposte Alimentaire, elles pourraient démontrer, selon elle, une évolution positive de la jurisprudence. Des relaxes motivées, le plus souvent, par des faits insuffisamment caractérisés, une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression ou, plus exceptionnellement, comme à La Rochelle, sur l’état de nécessité. Mais qu’en est-il vraiment ?
« En réalité, tempère Clara Gonzales, juriste à Greenpeace France, il y a plus de répression, plus de poursuites, et plus de renvois devant les tribunaux pour des faits mineurs qui, auparavant, ne faisaient jamais l’objet de poursuites ou de renvois ». De facto, la « réaction judiciaire des magistrats du siège » fait qu’il y a plus de « relaxes ou de dispenses de peine qui sont prononcées » ; peut-être pour ne pas « suivre la courbe du tout répressif engagée par les parquets ».
Ce contexte « répressif » est régulièrement dénoncé par les organisations de défense de l’environnement, qui déplorent, au-delà de l’augmentation des poursuites pénales, un durcissement du cadre législatif et du traitement judiciaire des mouvements de contestation pour le climat. « Y compris pour des faits qui ne relèvent parfois pas de la désobéissance civile mais, par exemple, du droit à manifester », assure encore Clara Gonzales.
Aussi, rappelle avec prudence l’avocate Marie Ollivier,
qui représente notamment des militants de Riposte alimentaire, « difficile
d’affirmer si cette évolution va se poursuivre, ou non, dans la mesure où la
plupart des décisions de relaxes ne sont pas définitives. » En effet, la
quasi-totalité d’entre-elles font actuellement l’objet d’un appel ou d’un
pourvoi en cassation à la demande des parquets.
« La justice n’est pas à la hauteur des attentes de la population sur la répression des atteintes à l'environnement »
- Thibaut Spriet, secrétaire national du Syndicat de la magistrature
« Des pratiques systématiques », constate Charlotte, estimant que le ministère public « ne veut rien laisser passer » dans un contexte, toujours le même, de « criminalisation des militants écologistes, souvent qualifiés d’écoterroristes ». « La justice n’est pas à la hauteur des attentes de la population sur la répression des atteintes à l'environnement, alors qu'il lui est demandé d’apporter des réponses pénales systématiques, rapides, et fermes pour la moindre infraction commise par des manifestants ou des militants », poursuit Thibaut Spriet, secrétaire national du Syndicat de la magistrature.
Ces « pressions » et l’augmentation des poursuites peut s’analyser, notamment, par la non-reconnaissance de la désobéissance civile dans le droit français. Difficile, en conséquence, de plaider le droit à la désobéissance au nom de l’urgence climatique lorsqu’aucune définition juridique ne vient encadrer son exercice. Néanmoins, cette méthode d’action répond à des critères précis que s’imposent, par eux-mêmes, les militants.
Elle se définit d’abord par la commission d’une action de protestation non violente contre une loi ou une politique jugée injuste. Autrement dit, la méthode n’exclut pas la commission d’une transgression à la loi pour manifester son désaccord et alerter sur une cause d’intérêt général. Aussi, elle doit être menée publiquement, de manière pacifique et en pleine conscience ; les militants doivent être prêts à répondre de leurs actes devant les tribunaux.
Michel Forst, rapporteur spécial de l’ONU sur les défenseurs de l’environnement, qui a récemment rendu un rapport alarmant sur la répression des militants écologistes en Europe, défend de son côté le droit à la désobéissance civile en vertu du droit international, qui la considère comme « une forme d’exercice des droits à la liberté d’expression et à la liberté de réunion pacifique », garantis par les articles 19 et 21 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
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Devant la justice française, deux arguments juridiques principaux sont néanmoins défendus, faute de pouvoir invoquer, en tant que tel, le droit à la désobéissance civile : l’exercice de la liberté d’expression et l’état de nécessité. Ces dernières années, plusieurs décisions de la Cour européenne des droits de l’homme et de la Cour de cassation ont d’ailleurs permis de faire évoluer la jurisprudence en la matière. Favorables à la défense des militants écologistes en matière de liberté d’expression pour certaines, mais restrictives lorsqu’elles concernent l’application de l’état de nécessité.
La relaxe prononcée sur ce fondement en avril dernier par le tribunal correctionnel de La Rochelle n’en est que plus surprenante. Pour Sylvain Galinat, l’avocat des militants d’Extinction Rebellion, « c’est la plus belle décision de toutes, avec une motivation d’exception ». De son côté, le magistrat Paul Roubeix, président de la formation de jugement qui a relaxé les neuf activistes, aux côtés de deux autres magistrats assesseurs, l’admet, « il s’agit d’une décision d’avant-garde » ou en tout cas, que l’on peut qualifier « d’isolée ».
« Pour fonder une telle décision, certains éléments doivent être réunis, développe l’avocat des militants. L’action doit répondre à un danger actuel ou imminent, sa réponse être proportionnée à l’enjeu et strictement nécessaire. Jusqu’ici, c’est ce dernier point qui posait problème. En substance, les magistrats disaient : “ce n'est pas parce que vous collez une affiche sur un immeuble que cette action est strictement nécessaire à la résolution du problème écologique” ».
Une interprétation stricte qui fait jurisprudence depuis la décision de la Cour de cassation du 22 septembre 2021. « Ce que j’ai plaidé, reprend Sylvain Galinat, c’est qu’avant d’en arriver-là, les militants avaient essayé tout un tas de choses. Ils avaient élaboré des plaidoyers, participé à des conventions citoyennes, saisis des institutions, s’étaient rendus jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme... Mais sans succès. »
« Nous sommes allés vers le consensus scientifique »
- Paul Roubeix, président de chambre correctionnelle au tribunal judiciaire de La Rochelle
Des arguments retenus par le magistrat Paul Roubeix, pour qui les conditions étaient bel et bien « remplies » - malgré la décision de la Cour de cassation : « Nous avons estimé que la réaction était nécessaire, mais ce qui nous a complètement décidé, c’est la question de la proportionnalité des moyens. En l’occurrence, non seulement il n’y a pas eu de dégradation mais en plus, les militants se sont laissés interpeller sans problème. » Sur la question de l’imminence du danger que représenterait le changement climatique, le magistrat admet qu’il a fallu trancher, et qu’il s’agit, qu’elle se porte dans un sens ou dans l’autre, d’une décision politique. « Mais nous sommes allés vers le consensus scientifique », note-t-il simplement.
Malgré cette première victoire, le combat est loin d’être terminé pour les militants d’Extinction Rebellion. « Si la cour d'appel devait revenir sur cette décision, nous saisirons sans doute la Cour de cassation, et si elle la confirme, je ne doute pas que le parquet se pourvoira en cassation », conclut Sylvain Galinat.
En matière de liberté d’expression, la situation est quelque peu différente, mais pas nouvelle. Les conditions posées par la Cour de cassation et la Cour européenne des droits de l’homme « sont plus souples » et permettent, d’après l’avocate Marie Ollivier, d’imposer un contrôle de proportionnalité au juge. A deux reprises dans des affaires de décrocheurs de portraits de Macron souhaitant par ce moyen alerter sur l’urgence climatique, la Cour de cassation a estimé que les poursuites pour « vol aggravé » (décision rendue en septembre 2021) et « vol en réunion » (décision rendue en mars 2023) portaient atteintes à la liberté d’expression des prévenus, en violation de l’article 10 de la CEDH.
« Si l’infraction est commise dans l’intention d’alerter ou de s’exprimer sur un sujet d’intérêt général et que le trouble à l’ordre public est limité, comme un jet de peinture, continue Marie Ollivier, les magistrats peuvent considérer que les poursuites représentent une atteinte disproportionné à la liberté d’expression » des militants. En effet, relève Clara Gonzales de Greenpeace France, les relaxes fondées sur la liberté d’expression - comme les dispenses de peine - sont plus nombreuses mais ne concernent pas n’importe quel type d’affaire ; le plus souvent, elles sont prononcées sur des actions où les dégradations ont été minimes, voire absentes. Ce qui, là encore, pose la question de la nécessité à poursuivre.
Néanmoins, la juriste observe une meilleure compréhension des juges de ce qu’est la désobéissance civile : « Dès lors que nous revendiquons l’exercice de la liberté d’expression, nous devons démontrer aux magistrats que nous agissons dans ce cadre. Et pour ça, il faut démontrer que l’on intervient sur un sujet d’intérêt général. »
Ce sentiment est partagé par Charlotte, du service juridique de Riposte Alimentaire, pour qui un immense travail de pédagogie et de sensibilisation, certes inachevé, a été accompli devant les tribunaux pour amoindrir les préjugés autour de ce type d’action : « Au départ, les magistrats nous disaient qu’une infraction est une infraction, et que ce n’est pas possible. Mais sur une audience où les juges prennent le temps, qui permet de faire intervenir et d’entendre les prévenus, des experts - qu’ils soient chercheurs, climatologues ou scientifiques - pour expliquer la situation et le pourquoi de nos actions, le comportement des juges évoluent. »
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Si ces discussions ne permettent pas toujours d’éviter la condamnation, elles représentent, pour les militants et les organisations, la possibilité de porter la problématique environnementale devant la justice et d’inciter au débat démocratique. « Nous ne faisons jamais d’actions pour obtenir une enquête, mobiliser les moyens de la police ou de la justice, et aller en audience, précise Clara Gonzales. Notre objectif, c’est d’alerter les décideurs politiques et de réveiller les consciences. Mais une fois que le mécanisme judiciaire est mis en place, c'est aussi un devoir citoyen que d'y répondre, de se présenter et de se défendre devant les tribunaux. »
Pas sûr, en définitive, que ces relaxes soient une vraie tendance, note Thibaut Spriet, pour qui « il est difficile de les imputer à une prise de conscience ou à un ras-le-bol de punir ». Certes, « plusieurs décisions marquantes » de la Cour de cassation et des cours d’appel ont permis d’ouvrir une « brèche » et de « montrer la voie à une méthode d’appréciation au cas par cas ». Mais « ces relaxes démontrent surtout que les juges se conforment à ce que leur impose le droit européen » - et que le raisonnement du contrôle de proportionnalité « est précisément censé s’appliquer en présence d’une infraction minime, justifiée par l’exercice de la liberté d’expression, a fortiori lorsqu’il s’agit de porter un message politique fort sur l’écologie ».
Néanmoins, veut-il conclure, « il existe une vraie tendance : c’est la volonté de mieux traiter les atteintes à l'environnement et de donner à la justice une place centrale dans l’élaboration et la conduite des politiques pénales en la matière, aujourd’hui trop largement dépendantes des préfets ».
C. Dubois
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