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Adopté fin avril en séance plénière, l’avis du
Conseil économique, social et environnemental qui aspire à décloisonner les politiques
de santé au travail édicte 17 préconisations. Le texte appelle à une
mobilisation de la part des dirigeants en entreprise, ainsi qu’à une
sensibilisation qui passerait par la formation des personnels de la médecine du
travail et des représentants des salariés.
Si le sujet des liens entre santé, travail et
climat a encore du mal à trouver sa place dans le dialogue social des
entreprises et administrations – bien qu’il s’impose de plus en plus à la
société, notamment à la suite des trois épisodes caniculaires de 2022 –, il est
depuis longtemps au cœur des préoccupations de militants et militantes
syndicaux et d’organisations patronales.
Ce sont justement leurs retours qui ont
contribué, en partie, à nourrir l’avis du Conseil économique social et environnemental
(CESE), intitulé « Travail et
santé-environnement : quels défis à relever face aux dérèglements
climatiques ? », présenté et adopté en séance plénière fin avril.
Un avis qui arrive « à point
nommé », à l’heure où la vie active vient d’être significativement
rallongée, pointe le rapporteur Jean-François Naton.
Lors de la présentation
de ce texte, Sophie Thiéry, présidente de la commission travail et emploi
auprès du CESE, a évoqué une enquête s’inscrivant dans les travaux du Conseil,
réalisée entre le 1er décembre 2022 et le 13 janvier 2023, laquelle
révèle que 70 % des répondants considèrent le dérèglement climatique comme
facteur pouvant affecter la santé des salariés et des agents.
Or, cette dégradation est
déjà à l’œuvre, a-t-elle souligné, alors qu’aujourd’hui, selon la DARES, 3,6
millions de personnes soit 14 % des salariés travaillent à l’extérieur et
sont plus directement exposés à de fortes chaleurs, et que « l’ensemble des travailleuses et travailleurs
– les indépendants, les salariés des services et de l’industrie, comme les
agents publics – sont concernés », pointe le CESE dans la présentation
de son avis. La hausse des températures a notamment un impact direct sur les
risques professionnels (malaises sur le lieu de travail, déshydratation…). Ces risques
ne sont d’ailleurs « pas près de
s’atténuer » a déploré la présidente de la commission travail, puisque
70 vagues de chaleur sont prévues d’ici à 2050, contre 37 vagues relevées entre
1989 et 2022. « Non seulement ces
vagues seront plus fréquentes et plus chaudes, mais aussi plus intenses et
elles arriveront plus tôt et plus tard après l’été. Finalement, on supportait
la chaleur pendant les vacances, désormais ce sera toute l’année et donc au
travail », a alerté Sophie Thiéry.
Les changements
climatiques ont aussi un impact indirect sur les risques d’accidents, l’exposition
à la chaleur mais aussi la fréquence et l’intensité des aléas climatiques menant
à une fatigue accrue et à une baisse de la vigilance pendant l’activité
professionnelle. « Si on gérait les
vagues de chaleur précédentes en “mode crise” de par leur ponctualité, il faut
maintenant les intégrer dans le dialogue social et aux accords qui organisent
les temps de travail » a ainsi martelé la présidente de la commission
travail. Cette dernière a enfin évoqué l’impact lié aux risques psycho-sociaux,
et notamment l'éco-anxiété subie par des personnes éprouvant un conflit
d’éthique entre leurs convictions écologiques et l’impact de leurs activités
sur les bouleversements environnementaux ; un phénomène lui aussi en
augmentation, particulièrement chez les femmes, comme l’enquête du CESE le met
en exergue.
Mentionnons également
que l’ANSES (agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de
l’environnement et du travail) mettait en avant, il y a 5 ans, l’évolution de
l’environnement biologique et chimique, avec un impact sur « les risques chimiques liés à l’inhalation de
substances volatiles ou encore sur la modification des risques liés aux agents
biologiques (maladies infectieuses, pollens, etc.) : le changement global
va ainsi modifier les zones de répartition de vecteurs de maladies infectieuses
(moustiques, tiques, etc.) ou favoriser l’installation de nouveaux vecteurs,
faisant ainsi évoluer les risques liés aux agents biologiques, notamment pour
les personnes travaillant en milieu naturel ou en contact avec des personnes et
des animaux. »
L’enquête menée par le CESE met également en
évidence que la population interrogée se déclare « très majoritairement concernée a` titre personnel par les sujets
environnementaux et leur impact sur le travail mais constate que ces sujets
sont a` l’ordre du jour dans son environnement professionnel dans seulement un
tiers des cas ». C’est pourquoi l’assemblée constitutionnelle formule
17 préconisations s’inscrivant dans un dialogue social, car le travail étant un
« maillon toujours présent »,
comme l’a rappelé le rapporteur Jean-François Naton, il faut « repenser la santé au travail en relation
avec la santé publique et les politiques de préventions », est-il
détaillé dans le projet d’avis du CESE en propos liminaires.
En ce sens, le Conseil
estime dans sa 12e préconisation qu’il faut intégrer l’impact du
dérèglement climatique dans les négociations portant sur les techniques, les
organisations et les conditions de travail et la santé physique et mentale des
travailleurs et travailleuses, qui passe par une organisation des conditions et
du temps de travail, tout en évitant la « maladaptation », qui peut
se traduire par l’amplification de la dégradation de l’environnement en
utilisant par exemple la climatisation.
Pour assurer de
meilleures conditions de travail face au dérèglement climatique tout en
préservant l’environnement, le Conseil conseille de limiter l’exposition des
travailleurs et travailleuses exposés à des températures extérieures élevées,
mais aussi de faire reconnaître dans le Code du travail en son article L.
5424-8 le « risque canicule » comme
intempérie, à l’instar des inondations et autres conditions atmosphériques « rend[a]nt dangereux ou impossible
l'accomplissement du travail eu égard soit à la santé ou à la sécurité des
salariés ».
Afin de renforcer les
précédentes pistes, le Conseil propose dans sa 14e préconisation
« d’intégrer les conséquences du
dérèglement climatique sur l’organisation et les conditions de travail dans les
obligations de négociation de branche déjà prévues à l’article 2241-1 du Code
du travail », rappelant également que les partenaires sociaux en
charge de négocier ces points devront « être vigilants aux objectifs d’atténuation et de sobriété ».
Mais la médecine du
travail a elle aussi un rôle à jouer selon le CESE, qui estime qu’elle est
« un acteur principal de
sensibilisation ». À ce titre, le Conseil recommande de faire de la
prévention, en formant notamment les acteurs de la santé aux enjeux du travail
« dès les premiers cycles
universitaires (…) avec des formations sur la santé au travail et la
santé-environnement ».
En plus de la formation,
l’assemblée constitutionnelle estime que les professionnels de la médecine du
travail doivent avoir un suivi épidémiologique d’une personne salariée, « un enjeu majeur de prévention »
précise l’avis. Cela permettrait de tracer l’exposition aux risques auxquels un
salarié a pu être exposé dans le cadre de son travail.
Le Conseil encourage
également l’accompagnement des entreprises dans la mise en œuvre de leurs
obligations en matière de prévention des risques, notamment la rédaction des
DUERP (document unique d’évaluation des risques professionnels), a expliqué le
rapporteur lors de la séance plénière.
Par ailleurs, le CESE
préconise de « développer le
dispositif de formation commune mentionné à l’article L. 2212-1 du Code du
travail » (« les salariés
et les employeurs ou leurs représentants peuvent bénéficier de formations
communes visant à améliorer les pratiques du dialogue social dans les
entreprises, dispensées par les centres, instituts ou organismes de
formation »), qui prévoira les thématiques environnementales et de
santé-environnement « constitu[a]nt
désormais des objets majeurs du dialogue social ».
De plus, l’assemblée
constitutionnelle « invite à
négocier dans les branches et les entreprises, des moyens de formation pour les
élus du Comité social et économique dans le cadre de la transformation
écologique du travail », car il faut certes « s’adapter au changement climatique, mais
aussi l’atténuer » a détaillé le rapporteur.
Il est donc clair pour
le CESE que les problématiques de santé environnement doivent être intégrées
dans les dispositifs de droit et devoirs existants. Il aspire également à ce
que les risques soient « promus » par un débat démocratique au
travail, dont les conditions doivent être élargies sur l’exposition aux risques
professionnels et environnementaux, selon le Conseil.
Il préconise à ce titre
de compléter les moyens de protection des lanceurs d’alerte (préconisation 16)
qui ne sont juridiquement pas protégés s’ils s’adressent à la cnDAspe
(commission nationale de déontologie et des alertes en santé publique et
environnement), n’étant pas désignée comme autorité compétente à recueillir la
parole des lanceurs d’alerte, alors même que la loi Waseman du 21 mars 2022
leur permet de saisir les autorités externes compétentes.
L’assemblée
constitutionnelle recommande également d’ajuster un principe d’écoute des
salariés qui serait inscrit « parmi
les principes généraux de prévention du Code du travail », « les travailleurs [étant] les mieux à même de
connaître les risques auxquels ils s’exposent » est-il argumenté au
sein de l’avis, mais aussi d’instituer un débat régulier au CESE où les agences
publiques en charge de l’évaluation des risques et de l’épidémiologie des
maladies à caractère professionnel pourraient être entendues. Il s’agit là d’un
sujet primordial pour nouer un dialogue social indispensable : un travail
« qui participe à ce renversement où
le pouvoir d’agir sur le travail permettra de forger les conciliations du
justice sociales et environnementale, d’efficacité et de performance »
a martelé le rapporteur Jean-François Naton.
Mais pour que cela
fonctionne pleinement, la participation active des entreprises est sollicitée,
de même que le dialogue social comme « levier
de transformation ». En effet, « il ne peut y avoir de débat sur la démocratie sociale et
environnementale sans recours à un dialogue professionnel articulé en dialogue
social » a expliqué le rapporteur Jean-François Naton. Un dialogue
entravé selon lui par l’adage « travailler plus pour gagner plus »
avant de penser le travail autrement, et particulièrement dans le contexte
actuel du dérèglement climatique.
Ce dialogue passe, entre
autres, par une transparence des entreprises, notamment dans la rédaction de
leur DUERP. En effet, si les entreprises peuvent être accompagnées sur le
sujet, encore faut-il qu’elles « jouent le jeu » et remplissent
correctement ce document unique d’évaluation des risques professionnels. Or, en
France, seules 50 % des entreprises remplissent de manière satisfaisante
leur DUERP, a indiqué le rapporteur, autrement dit tous les risques ne seraient
pas répertoriés, nuisant de surcroit à la santé des salariés. C’est pourquoi le
CESE préconise dans un premier temps « une
campagne nationale visant la mobilisation des employeurs sur la prévention des
risques professionnels ». Il dresse également une liste de ce qui
devra désormais apparaitre dans les DUERP, afin de « mieux associer les
travailleurs et/ou leurs représentants à l’identification des risques »
(préconisation 6).
« Le renversement se fera par la capacité à agir des entreprises
où, poste par poste, au plus près du réel, va s’intensifier l’urgence des
situations au travail » a relaté Jean-François Naton. Le CESE appelle
ainsi à l’exemplarité des dirigeants mais aussi à une prise de conscience plus
générale, comme l’a confirmé Claude Kulak, intervenante et fondatrice de
l’association La Compagnie des aidants : « la transition juste du monde du travail ne pourra se faire
contre leurs dirigeants ou travailleurs, elle exige un collectif uni et un
dialogue soutenu ». Il n’y a plus qu’à !
Allison Vaslin
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